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[critique BD] Blacksad T.6: le retour du chat noir

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Après huit ans d’absence, revoilà Blacksad à New York, pour un diptyque où son duo d’auteurs espagnols n’a rien perdu de sa complicité.

Le détective privé John Blacksad, archétype du détective hard boiled, taiseux, cogneur mais pas insensible, est de retour à New York, huit ans déjà après avoir parcouru, dans Amarillo les étendues sauvages des États-Unis. Un retour aux sources et à sa ville fétiche qui commence, tel un clin d’oeil cultivé, autre particularité de cette série populaire, par la représentation très bucolique et zen d’une pièce de Shakespeare à Central Park. Un moment suspendu qui ne le reste pas longtemps: sur le chemin du retour, il sauve puis est embauché par Kenneth Clarke pour lui sauver encore une fois la mise. Ce président d’un syndicat de travailleurs est sous la menace du tout-puissant Solomon, maître bâtisseur de la Grosse Pomme qui entend bien la recouvrir d’autoroutes, de ponts suspendus et d’automobiles -on n’arrête pas la marche du progrès (nous sommes dans les fifties)! Démarre alors une intrigue aux fils bien plus multiples que d’habitude, qui verra Weekly, le copain journaliste de Blacksad, prendre de l’importance au fil des pages, somptueuses ou surchargées en fonction des points de vue. Seule certitude: le duo d’auteurs est au sommet de son art, le seul sans doute capable de manier ainsi intrigue de polar, réalité historique et pure fantaisie: on en vient vite à oublier, comme à chaque fois, que les protagonistes particulièrement humains et non manichéens des histoires de Blacksad nous sont interprétés par un chat noir, une fouine, une chauve-souris ou un aigle.

Plus Orwell que Disney

Entamée en 2000 avec Quelque part entre les ombres, la série Blacksad est en réalité bien plus ancienne que ça: le duo Canales-Guarnido y pensait déjà dix ans plus tôt, quand ils travaillaient ensemble aux studios d’animation Lápiz Azul. Depuis, leur carrière respective et leurs projets parallèles (les scénarios de la reprise de Corto Maltese pour l’un, le grand roman graphique et picaresque Les Indes Fourbes pour l’autre) n’ont fait que nourrir la qualité tant graphique que narrative de leur bébé commun qu’ils quittent parfois longtemps, mais n’abandonnent jamais. Et si Juanjo Guarnido assume plus que jamais l’héritage disneyien de son dessin qui semble fait autant pour la bande dessinée que pour l’animation, c’est plutôt du côté d’Orwell et de sa Ferme des animaux qu’il faut chercher les racines de ce chat noir de Blacksad: derrière les personnages zoomorphes et très expressifs, c’est à une critique sociale acerbe et très fouillée que se livrent les auteurs, en l’occurrence ici, de ce tout-à-la-voiture et au béton aveugle qui pourrait faire sourire aujourd’hui. Et qui s’inspire directement du parcours de l’urbaniste Robert Moses, lequel façonna réellement New York. Fantaisiste, mais pas tant que ça.

Blacksad – t. 6: Alors, tout tombe (1/2)

Polar animalier de Juan Díaz Canales et Juanjo Guarnido, Éditions Dargaud, 60 pages. ***(*)

[critique BD] Blacksad T.6: le retour du chat noir

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