« Charlotte de Belgique était une bombe, étonnement oubliée »

© Dargaud
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Le premier tome d’un vaste biopic consacré à Charlotte de Belgique, la fille de Léopold Ier, fait partie des grandes réussites BD de l’année. Pas étonnant quand on connaît son extraordinaire histoire et son destin tragique.

« Une histoire à la Sissi qui bascule dans un film de Peckinpah! » Fabien Nury, le scénariste de Charlotte impératrice, a le chic des formules fortes et des grandes fresques baignant dans le réel: La Mort de Staline, Il était une fois en France, Katanga… Le Français a l’habitude des personnages forts et historiques. « Mais je ne m’attendais pas à me lancer dans un mélodrame autour d’une princesse! Je cherchais d’éventuels sujets autour du Second Empire, quand les Français étaient aventureux. Je regardais vers le Mexique et le destin de Maximilien d’Autriche, et je suis tombé sur Charlotte. Et c’était bien mieux que tout ce que je pouvais inventer! Il y avait tout ce que j’aurais voulu qu’il y ait, mais en plus tout était nouveau: un portrait de femme, une ascension aussi vertigineuse que la chute, la violence d’une dictature masculine omniprésente, la quantité de thèmes traités. Une grande aventure historique comme elles me sont familières… Je me suis très vite dit que cette nana était une bombe, étonnement oubliée. »

Matthieu Bonhomme:
Matthieu Bonhomme: « On a beaucoup travaillé la mise en scène. »© RITA SCAGLIA/DARGAUD

Le destin de Marie Charlotte Amélie Auguste Victoire Clémentine Léopoldine de Saxe-Cobourg-Gotha tient en effet autant du mélo que d’un romanesque qui ne peut s’inventer: née en 1840 et mariée par son père à l’âge de 16 ans à l’archiduc Maximilien d’Autriche, afin de lier le jeune royaume de Belgique à la dynastie des Habsbourg, Charlotte connaîtra une existence qui tient de l’Odyssée; elle deviendra tour à tour vice-reine de Lombardie, puis impératrice du Mexique, avant d’être abandonnée de tous, d’être déclarée folle et de vivre en recluse jusqu’à sa mort, à l’âge de 86 ans. Et ce ne sont là que les grandes lignes très grossières d’une vaste saga qui demandera quatre tomes à ses auteurs pour essayer d’en faire le tour mêlant drames, conspiration, folie, tour du monde et grande histoire. « Mais notre sujet, explique pour sa part Matthieu Bonhomme, sans doute le meilleur dessinateur semi-réaliste de sa génération, c’est aussi l’intimité de cette princesse qui rencontre l’histoire et le grand faste. Nous voulions absolument jouer sur ces contrastes, et on a beaucoup travaillé sur la mise en scène, pour éviter les prises de vue du château par hélicoptère ou les reconstitutions choucroutes. On a fait exploser le budget là où c’était nécessaire: pour sa nuit de noces, par exemple, on est dans un faste pas possible, avec des figurants jusqu’à l’horizon. Puis on tourne la page et c’est l’intimité, le tout petit, l’économie de moyens. Et le drame intime de cette femme incroyable. On colle au regard de cette jeune fille. Et on fait péter le conte de fées. » « Il y a dans son histoire quelque chose que l’on retrouve beaucoup dans le cinéma italien, et qui nous a beaucoup inspiré, ajoute Fabien Nury: ce contraste prodigieux entre le sacré et le trivial. Les histoires de princesses offrent le sacré, derrière lequel on discerne vite de la souffrance, du sordide, voire de l’obscène. »

Presque vrai, pas tout à fait faux

Ce premier tome se concentre donc sur les premières années de la princesse promue archiduchesse, avant qu’elle ne devienne l’impératrice d’un pays dont elle n’a jamais touché le sol, et qui le lui rendra bien – un « Sissi chez les cowboys », qui fera l’objet du prochain épisode, ce qui n’a pas empêché le duo de traiter certaines scènes dignes de Visconti comme, déjà, un pur western: « Une scène de mélo, dans un récit comme celui-ci, c’est un morceau de bravoure, équivalent à un gunfight dans un western, s’emballe Fabien Nury. Il faut la traiter avec la même ampleur, prendre le pli de la longueur: on passe donc dix pages dans les jardins du palais de Laeken pendant que Maximilien fait sa cour à Charlotte, mais on voit tout de suite que le conte est pourri par le politique: Léopold Ier les épie par la fenêtre, les espions sont partout dans les jardins… La romance est déjà vérolée. » Elle a en tout cas inspiré le scénariste, très bien documenté pour bâtir sur du vrai une fiction intense et passionnante à suivre, offrant des réponses parfois piquantes à quelques énigmes historiques (Maximilien était-il stérile? Charlotte était-elle réellement folle? A-t-elle eu un enfant caché?) tout en répétant qu’il fait ici oeuvre de fiction: « Je suis scrupuleusement la maxime d’Alexandre Dumas: peu importe le viol si les enfants sont beaux! Ce livre n’est pas un bouquin d’histoire, mais si les lecteurs veulent aller se renseigner pour démêler le vrai du faux, on aura réussi notre pari. Notre but, c’est que ça ne saute pas aux yeux: plein de choses sont ici presque vraies, et d’autres ne sont pas tout à fait fausses… »

Charlotte impératrice - 1. La Princesse et l'archiduc, par Fabien Nury et Matthieu Bonhomme, éd. Dargaud, 72 p.
Charlotte impératrice – 1. La Princesse et l’archiduc, par Fabien Nury et Matthieu Bonhomme, éd. Dargaud, 72 p.

La Belgique et sa famille royale semblent en tout cas être des terreaux fertiles pour l’imaginaire de Fabien Nury: avant Charlotte, ce dernier avait déjà commis Katanga, qui plongeait le lecteur dans le chaos et les injustices du Congo belge à peine postcolonial. Un hasard qui ne l’est pas tant que ça: « J’évolue en tant qu’auteur dans un univers narratif qui n’est finalement pas si grand, qui couvre environ cent cinquante ans d’histoire. Or, j’y retrouve malgré moi des thématiques comme la famille royale belge, car l’ère des Empires, ce sont cinq ou six familles régnantes, tous cousins, et tous grenouilles de bénitier, qui ont besoin d’une dispense papale pour se marier entre eux! Si on ajoute à ça les empires coloniaux, cinq ou six familles dominaient les deux tiers de la population mondiale! Ce simple fait énonce la nécessité des révolutions à venir et de la démocratie. » Et de conclure sur un parallèle qui achève de faire de ce biopic historique un opus très contemporain: « Or, en 2018, nous vivons une période moyennement sympathique, qui voit la résurgence des nationalismes et une volonté de créer une deuxième ère des Empires, économique cette fois… L’histoire est un tiroir. »

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