Bruxelles à l’heure du polar

Caryl Férey, un "esprit rock" et éclectique. © BELGA IMAGE/Arnaud Dumontier
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Le week-end du 11 juin, la Bourse et le boulevard Anspach deviendront le Boulevard du polar, galop d’essai d’un éventuel futur festival – ne dites pas foire! – du livre policier. Avec, entre autres, Caryl Férey en invité.

D’habitude, les salons du livre, le Français Caryl Férey, connu pour ses polars violents, gauchos et exotiques (son dernier opus, Condor, se déroule au Chili), il n’aime pas ça. « C’est d’un ennui! Mais ici, j’ai accepté l’invitation parce que les organisateurs avaient de bonnes références: la Foire du livre de Bruxelles, les Quais du polar à Lyon, ce sont de bons repères. » Dont acte: le Boulevard du polar connaîtra son « numéro zéro » ou son « épisode pilote » (pour reprendre les termes très mesurés des organisateurs) ce deuxième week-end de juin, en plein centre de Bruxelles: la Bourse accueillera en ses murs une librairie éphémère entièrement consacrée au genre sous toutes ses formes, mais aussi des rencontres, des signatures, des débats, des projections… Une naissance qui ne s’est pas faite sans mal (lire l’encadré ci-dessous), mais qui a déjà convaincu quelques professionnels et de nombreux auteurs.

Parmi eux, deux parrains bien de circonstance, Nadine Monfils et Patrick Raynal, et donc, un invité d’honneur: Caryl Férey, devenu en quelques romans coups de poing la coqueluche des lecteurs francophones avides de romans policiers – un public en constante expansion qui a fait du genre le premier de tous, et de loin. Il y a deux mois, ce petit blond aux yeux bleus, qui revendique « un esprit rock » et une fin de quarantaine hyperactive, publiait Condor, suite ou plutôt « cousin pas très éloigné » de Mapuche, qui se déroulait en Argentine. Avant ça, Caryl Férey s’était fait connaître dès 1998 avec Haka, polar se situant en Nouvelle-Zélande, ou avec Zulu, qui parcourait l’Afrique du Sud. Une passion pour les voyages qui éloigne ses intrigues de la France, mais le rapproche, lui, des hit-parades des ventes. Tentative d’explication avec le principal intéressé qui, ce matin-là, ne manquait pas d’activités. Car il n’y a pas que le roman noir dans la vie de Caryl Férey: il y a aussi la musique, le théâtre, la BD…

Condor, bien que moins violent, peut se lire comme une suite éloignée de Mapuche, votre précédent polar à la Série noire: le même peuple, vu à travers deux pays proches, mais très différents…

Oui. Je savais en écrivant Mapuche que je devais garder une grosse partie de la matière pour ce roman-ci. Je n’aime pas me répéter, et il y a justement énormément de différences entre l’Argentine et le Chili. Ce sont des pays voisins, mais qui ont apporté des réponses très différentes aux dictatures qu’ils ont subies: l’Argentine a jugé ses bourreaux, a envoyé le FMI se faire voir, a mis en place un relatif partage des richesses. Au Chili, par contre, on a immédiatement installé le système le plus néolibéral du continent, sans régler les comptes de Pinochet. Pour les indiens Mapuche (NDLR: prononcez « Maputché »), comme pour mes romans, cela donne deux environnements complètement différents.

La Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud, le Chili, l’Argentine… Votre ancienne vie de chroniqueur pour Le Routard vous sert encore!

Je lis beaucoup, je me documente énormément, mais je choisis toujours des pays que je connais un peu, et toujours des pays colonisés depuis longtemps, où les codes sociaux se rapprochent des nôtres. Il me serait impossible d’écrire sur la Chine ou le Japon par exemple, je ne serais pas crédible. Au Japon, tout est inversé, on ne fume pas dehors mais on fume à l’intérieur, je ne saurais pas comment faire! Par contre, je sais déjà que le prochain, à la Série noire, se déroulera en Colombie.

Et la France dans tout ça? Les premières pages de Condor démarrent sur une violente manifestation, réprimée par la police. Des images qui collent tout à fait avec la réalité française d’aujourd’hui, qui devrait donc vous inspirer…

On a évidemment raison, en Europe, de défendre les services sociaux, et de ne pas laisser régner le néolibéralisme, mais pour l’auteur de fiction que je suis, c’est un peu plus compliqué: au Chili, ils en sont à se battre pour obtenir le simple droit d’étudier! Et il n’y a aucun service social, c’est vraiment une catastrophe. Vu de là-bas, la France reste un pays de privilégiés. Par ailleurs, il me faut beaucoup de temps pour écrire des livres comme Condor, et en France, une problématique chasse l’autre, elles vont trop vite pour moi! J’ai besoin, pour mes romans, d’un sujet qui restera dans l’actualité deux ou trois ans après. C’est pour ça que j’écris actuellement un nouvel opus de ma série Mc Cash (NDLR: un ex-flic borgne et irlandais, fou de rock’n’roll, dont deux « aventures » sont parues chez Gallimard puis en Folio), et qui se passera entre la Grèce et la France, dans les pas des migrants coincés aux frontières de l’Europe: je sais, hélas, que ce problème ne va pas disparaître demain…

Pourquoi traiter des migrants dans cette série disons plus légère, et non dans un de vos romans de la Série noire?

Après Condor, j’ai vraiment eu besoin de me laver la tête. C’est le genre de livres qui demandent un véritable travail de synthèse, que je me fasse un peu violence. Avec Mc Cash, qui se veut plus léger, plus drôle, avec une écriture un peu plus « jetée », je peux me lâcher un peu plus. Et je vous l’ai dit, je n’aime pas me répéter, j’aime faire d’autres choses: actuellement, je travaille d’ailleurs aussi sur une bande dessinée qui paraîtra chez Aire libre, et sur une pièce de théâtre que l’on m’a commandée, autour des attentats du 7 janvier 2015, à Charlie Hebdo. Je participe aussi à des lectures musicales avec mon ami Bertrand Cantat.

Ce concert musical, intitulé Condor live, reprend les mots du « roman dans le roman » contenu dans votre polar, écrit par un de vos personnages. Un texte visiblement important?

C’est une allégorie autour du Chili néolibéral de Pinochet et un texte qui compte beaucoup pour moi, qui m’éloigne un peu des canons de la littérature dite noire. Bertrand le lit et l’interprète avec quelques musiciens dans une ambiance post-rock. Un vrai cadeau.

Un spectacle que l’on n’a pas encore vu en Belgique…

On a voulu le jouer à Bruxelles, mais on n’a pas pu trouver de lieu… Bertrand sur scène, ça reste touchy, et ça le restera sans doute. Mais c’est mon ami…

Condor, par Caryl Férey, éd. Série noire/Gallimard, 413 p.

Ni Foire, ni Quais

Tim Willocks
Tim Willocks© PG

Brutalement licenciée en juillet dernier après vingt ans de service, l’ancienne commissaire générale de la Foire du livre Ana Garcia n’aura donc pas mis longtemps pour retomber sur ses pieds – et, qui sait, faire un peu d’ombre à la Foire: c’est elle qui, via son asbl Compartiments Auteurs, est à l’origine de ce nouveau Boulevard du polar. Un rendez-vous ambitieux, très différent d’une foire car basé sur la rencontre, la proximité et surtout le conseil, et directement inspiré du succès du festival Quais du polar à Lyon. En dix ans, ce festival entièrement consacré au genre policier est effectivement devenu une référence et un vrai succès populaire, entre autres via sa « librairie éphémère » organisée, non pas par des éditeurs, mais via un réseau de libraires et de librairies si pas spécialisés, au moins passionnés par le genre. Résultat: plus de 50.000 polars y sont vendus le temps d’un week-end, et toutes les rencontres et tables rondes, innombrables, y affichent complet.

Franck Thilliez
Franck Thilliez© Didier Cohen/PG

Ana Garcia n’a donc pas eu trop de mal à convaincre la Ville de Bruxelles, Yvan Mayeur et son collège de s’associer à pareil festival, que tous espèrent récurrent: sa Bourse vide et son célèbre piétonnier n’en demandaient pas tant! Les lieux, ainsi que des espaces d’affichage, ont donc rapidement été mis à la disposition du Boulevard du polar. Les choses furent par contre plus compliquées pour mettre en place la librairie éphémère et 100% polar. A l’origine, Marc Filipson et son paquebot, la librairie Filigranes, devaient en effet être associés de près au projet. Un enthousiasme débordant vite échaudé par la perspective de devoir partager l’événement et les lieux, puis définitivement refroidi par les attentats du 22 mars et le lockdown mortifère, qui a suivi. Filigranes, finalement, ne sera pas de la partie: c’est Polar & Co, la librairie montoise mais ex-bruxelloise qui assurera l’essentiel du rayonnage, en compagnie de Brüsel, voisin des lieux et spécialisé BD, et Tulitu, petite structure de la rue de Flandre axée, elle, sur les auteurs québécois.

Larry Tremblay
Larry Tremblay© Bernard Prefontaine/PG

Reste le programme, déjà riche pour un galop d’essai: une quarantaine d’auteurs invités, essentiellement belges et français, et qui tous participeront à des séances de dédicaces, des rencontres, des tables rondes -, les romanciers « Ch’tis » avec Frank Thilliez et Christophe Collins, les rapports entre romans de gare et polars avec Agnès Dumont, Eva Kavian et Xavier Deutsch, le « psycho polar » avec Marc Lits et Jacques-Philippe Leyens… – avec une large part consacrée au maître du « hard boiled » Dashiell Hammet – dont une exposition. L’irlandais Tim Willocks et le québécois Larry Tremblay sont également annoncés au programme, à défaut de grandes stars américaines. Peut-être l’année prochaine?

Boulevard du polar, à la Bourse de Bruxelles, boulevard Anspach (entrée via la rue du Midi). Les 11 et 12 juin, de 10 à 19 heures. www.boulevard-du-polar.be

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