Bienvenu dans la néo-SF

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Le Français Ugo Bienvenu s’impose avec Préférence Système– « l’histoire d’un robot qui va sauver la beauté de l’humanité« – comme une grande voix de la nouvelle science-fiction, volontiers intello et plus que jamais miroir de notre présent.

Laissez tomber les extraterrestres aux tronches pas possibles, les vaisseaux spatiaux les plus ingénieux et les planètes les plus confinées de la galaxie: la SF d’aujourd’hui, surtout en BD, se passe généralement sur Terre, et dans un futur rappelant furieusement notre présent. Ainsi, le rétro-futurisme qui prévaut dans Préférence Système du Français Ugo Bienvenu et qui démarre en 2055: s’il n’y avait pas des robots, des voitures futuristes et beaucoup de lunettes noires, on pourrait presque se croire aujourd’hui, voire hier. Un futur qui nous ressemble, marqué par deux phénomènes: les robots, domestiques et omniprésents, prennent désormais en charge la gestation des humains; et les informations, désormais entièrement numérisées, sont devenues trop nombreuses. Le Bureau des Essentiels supprime donc les données qui ne sont plus considérées comme nécessaires, comme on le fait chacun, tous les jours, en effaçant des photos pour gagner de la place sur nos disques durs, mais en effaçant cette fois « ce qui obtient un taux de vue global inférieur aux quotas exigés« . Ainsi 2001, l’Odyssée de l’espace, Apocalypse Now ou les poèmes de Rimbaud, condamnés à l’oubli par leur taux de consultation! Sauf qu’un archiviste ne peut s’y résoudre, et va sauvegarder le tout dans la mémoire de Mikki, son robot domestique, enceint de sa future fille. Enclenchant un récit à la fois romanesque, poétique et vertigineux, qui soulève en chemin des questions aussi profondes que d’actualité sur le transhumanisme, la surproduction inhérente au capitalisme, la sauvegarde des données, la place de la culture et au final rien moins que l’avenir de l’homme: « Sur quoi s’est construite l’humanité, s’interroge Ugo Bienvenu. Sur des histoires qu’on partageait. Le moyen de fédérer, c’était les histoires. Mais maintenant, les histoires ne sont-elles pas devenues une manière de diviser? Au vu de la surproduction générale actuelle, le récit se construit par isolement et particularisation. On s’adresse à des niches. Ne remet-on pas en cause ainsi le devenir même de l’humanité? »

Lames de biais

Cité irréelle de D.J. Bryant, Flesh Empire de Yann Legendre, Soon de Thomas Cadène et Benjamin Adam, Jardin d’hiver de Paul Rey… On ne compte plus aujourd’hui les (bons) albums de BD volontiers auteuristes et qui renouvellent les genres de la science-fiction et de l’anticipation en BD -sans même parler de l’avalanche de titres collapsologues ou apocalyptiques, comme le bien-nommé Le Reste du monde de Chauzy (Casterman)! Un foisonnement et une qualité qui n’étonnent plus Ugo Bienvenu, jeune surdoué de l’animation et du clip qui a choisi de s’exprimer tous les deux ou trois ans en BD pour « la totale liberté que sa paupérisation a provoquée ». « Puisqu’on ne peut plus gagner sa vie avec, autant n’y faire que ce que l’on veut vraiment. Les récits contemporains ont montré leur limite. Si on veut faire une scène qui exprime le vide métaphysique, il n’y a pas beaucoup de choix: on fera un type tout seul dans un supermarché face à des cornflakes. Tout le monde l’a fait. Mais dans le futur, je peux te faire un vide métaphysique avec tout autre chose et multiplier les métaphores visuelles. La SF est devenue le seul moyen pour ne tomber dans une critique frontale de la société: elle travaille en lames de biais. » Et de préciser sa pensée, qui ramène la SF d’aujourd’hui à celle des années 60: « Son renouveau est lié à la vitesse de l’époque, à une urgence. C’est aussi le seul endroit de la littérature romanesque où on peut faire de la philosophie. Philip K. Dick parlait surtout de sociologie, de philosophie, d’économie, mais avec des éléments sexy pour y amener le lecteur: tu vas rêver, donc tu vas pouvoir réfléchir. »

Préférence Système, de Ugo Bienvenu, éditions Denoël Graphic, 168 pages. ****(*)

Bienvenu dans la néo-SF
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