Laurent Raphaël

L’édito: Hotte spot

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

On a pas mal hésité à vous proposer, comme chaque année, notre sélection de cadeaux culturels. Avec la crise économique qui se profile et alors qu’une bonne partie du secteur artistique a toujours la tête sous l’eau, cela pouvait paraître indécent de partager notre lettre au Père Noël. Un peu comme un éclat de rire au milieu d’une veillée funèbre. Pas génial.

Avant de trancher, on s’est même demandé un moment si on aurait quelque chose à faire figurer sur la liste, anticipant une éventuelle frilosité des éditeurs et distributeurs à mettre les petits plats dans les grands sans savoir si les commerces seraient ouverts ni si le coeur des consommateurs serait un tant soit peu à la fête en cette fin d’annus horribilis. Une crainte vite balayée cependant quand sont arrivées les prévisions pour décembre. Covid ou pas, les lutins ont visiblement fait les 3×8 pour assurer la production de coffrets, beaux livres, tirages spéciaux et autres rééditions gavées de bonus.

À la fois rassurant et en même temps un peu chelou. Comme si deux réalités cohabitaient désormais. L’une anxiogène et dystopique, incitant à la prudence et au repli sur soi, l’autre sourde aux menaces, aux cris d’alarme et bien décidée -au motif qu’on ne peut pas s’arrêter de vivre, quand même, et que les restrictions font plus de dégâts, aux niveaux économique et psychique, que le virus lui-même-, à ne pas déroger aux rituels de saison: aller voir le sapin sur la Grand-Place, prendre d’assaut les boutiques, et probablement faire éclater la bulle du +1 le soir du réveillon. À des échelons variables, suivant son sens civique et sa porosité aux thèses complotistes, chacun est pris aujourd’hui en tenaille entre ces deux pôles.

On a pas mal hu0026#xE9;situ0026#xE9; u0026#xE0; vous proposer, comme chaque annu0026#xE9;e, notre su0026#xE9;lection de cadeaux culturels.

Pourquoi avoir maintenu ce spécial cadeaux alors? Pour au moins deux raisons. D’abord, puisqu’il est acquis que les commerces non-essentiels seront ouverts avant les fêtes -sauf dérapage généralisé dès les premiers jours-, on n’avait pas envie de laisser toute la place aux aspirateurs, aux machines à café et aux smartphones. Même si ce n’est qu’une goutte d’eau dans un océan de malheur, les achats culturels peuvent peut-être sauver quelques emplois, sinon mettre un peu de baume au coeur des créateurs et des passeurs de plats culturels, et rappeler par la même occasion l’importance du filet de sécurité artistique pour éviter de basculer dans la barbarie.

Une évidence qui en est de moins en moins une à mesure que se généralise un sentiment de lassitude alimenté par une crise de confiance envers un régime, la démocratie, dont les coutures cèdent les unes après les autres. Dans ce climat, l’attention se focalise sur les besoins primaires. On peut parier que les tables seront bien garnies le 24 ou le 25, même en comité réduit, comme si on cherchait dans la nourriture une consolation émotionnelle immédiate à toutes les frustrations endurées. Le reste, la courtoisie, la politesse, l’esprit critique, le souci des autres mais aussi la culture, ce lubrifiant cérébral, étant relégué au second plan. Des luxes superflus en ces temps de crise.

Reste cette ambiguïté insurmontable: si on fait la promotion de biens, même certifiés « Ce livre, ce disque, ce film, cette série va peut-être changer votre vie », on joue le jeu du système consumériste. Et si on refuse cette logique, on rate une occasion de faire entendre un autre son de cloche, laissant la voie libre aux produits qui aliènent plutôt qu’ils n’élèvent. Comment limiter les dégâts? En privilégiant déjà les librairies et les disquaires indépendants plutôt que l’ogre Amazon. Ou les musées pour un pass annuel, par exemple.

Ce guide, qui fait la part belle aux beaux objets, sans faire saigner nécessairement le portefeuille, est aussi un pied de nez à la dématérialisation galopante que les deux confinements ont encore renforcée. À vérifier sur le long terme mais on peut craindre qu’une génération a basculé définitivement du côté numérique de la force. Même l’école a dû se convertir à Zoom. Certains redoutent déjà que les jeunes n’iront plus au cinéma. Et par extension, ne feront plus le moindre effort pour aller chercher ailleurs que ce qui leur tombe tout cuit et pré-mâché dans la main. Aucun algorithme ne suggérera à la fois un coffret explorant le versant féminin de l’oeuvre de Claude Chabrol, la BD pop et proustienne de Chris Ware et l’intégrale des oeuvres du roi Marley. Et pourtant les trois méritent leur place sous le sapin. Ne faites pas comme tout le monde cette année, mettez le feu à la hotte!

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