Et si on fermait le robinet à peurs et qu’on respirait un bon coup?

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Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Débranche, chantait France Gall. We gotta get out of this place, beuglaient The Animals. Is this real life or is it fantasy?, se demandait Queen. Et si on s’éloignait du robinet de la peur et de la boue qui alimente les névroses, propose quant à lui ce Crash Test S07E13 dans un message de Noël très en avance!

Sur Twitter, j’ai deux profils. L’un où je suis actif sous mon vrai nom, l’autre où je reste anonyme et passif. Sur le premier, je ne suis pour ainsi dire que des journalistes prescripteurs, des graphistes, des cinémathèques, des labels de musique, des polémistes rigolos et des curateurs d’art. Sur l’autre, je suis abonné à Emmanuel André, à Johanne Montay et à Arnaud Ruyssen, à Sophie Sine et à Michel Henrion, à des figures écologistes, des « cycloyens », Sandrine Rousseau, Alice Coffin, à toute la « twittosphère francophone belge » et à « toustes celleux » qui souffrent du Georges-Louis Bouchez Derangement Syndrome. Je retire du premier fil pas mal de choses très positives: des listes de films à voir, de livres à lire. Beaucoup de musique à écouter. Des envies de voyages et de visites culturelles. Quand je traîne sur le second compte, il ne suffit en revanche souvent que d’une dizaine de minutes seulement pour m’énerver, me rendre cynique, méchant, moqueur et me donner envie de rejoindre illico presto une ferme à trolls russes, histoire de nous anéantir tout ça « by any means necessary » en s’alliant au Tout Puissant Internet de la Glorieuse Armée Rouge. Ce fil-là me met non seulement facilement de fort mauvaise humeur mais me donne surtout l’impression de traverser la Vallée de l’Ombre et de la Mort, le chemin qui mène en droite ligne à la Fin des Temps. Il instille aussi en moi l’idée fort paranoïaque que tout cela est juste fabriqué pour me faire vivre dans La Peur, qu’il y a là derrière une conspiration qui entend m’aliéner à la boue constante qui sort de ce robinet ouvert sans interruption depuis plus de dix ans.

Je ne lis plus les infos qu’en diagonale. Je n’ai pas la tu0026#xE9;lu0026#xE9;vision. Je n’u0026#xE9;coute jamais la radio. Pourquoi le ferais-je?

Que cela soit clair, je n’entends pas ici vexer qui que ce soit. Ni provoquer celles et ceux dont je cite le nom dans un but plus illustratif que méprisant. À vrai dire, je ne pense même pas que Michel Henrion fasse constamment couler un tsunami de boue sur les réseaux sociaux. Un peu quand même, allez, mais c’est surtout quand sa petite production s’intègre au contexte général qu’elle participe à cet assommoir géant. C’est l’accumulation, les interactions, le « grand mix » qui donne la nausée. Comme le disait jadis Brice Hortefeux: les Twittosses, « quand il n’y en a qu’un ça va. C’est quand ils sont beaucoup qu’on a un problème« . Je ne pense même pas que ce soit typique aux réseaux sociaux, en fait, vu que je ressens exactement la même chose en ouvrant une gazette, en écoutant une radio et en allant lire les nouvelles sur un site d’actualité. Ce que je ne fais pas souvent. Je ne lis plus les infos qu’en diagonale. Je n’ai pas la télévision. Je n’écoute jamais la radio. Pourquoi le ferais-je? J’aime des musiques qui n’y passent jamais et je m’intéresse à beaucoup de sujets qui y sont drôlement mal traités quand pas totalement niés. Cela fait donc des années que j’évite la radio, les médias traditionnels écrits et la télévision non pas par snobisme mais tout simplement parce que je n’y trouve pas ce qui m’intéresse. Et qui, depuis Internet, est très facile à dégotter ailleurs.

Depuis la pandu0026#xE9;mie, j’ai bien l’impression que cela me sauve carru0026#xE9;ment la santu0026#xE9; mentale.

Ce n’était donc jusqu’ici qu’une affaire de goûts mais depuis la pandémie, j’ai bien l’impression que cela me sauve carrément la santé mentale. Quand je suis sur mon second profil Twitter à espionner des Twittosses causer de leurs intérêts du moment et donc beaucoup du Covid, leur peur m’est palpable. Leur aliénation, leurs tourments. Encore une fois, je ne méprise pas (vraiment) ça. Moi aussi, j’ai des peurs et des tourments. Mais pas les mêmes. La pandémie, ce n’est pas que je m’en cogne mais on ne peut pas dire qu’elle me fasse réellement flipper. Je la vis plus comme une corvée qu’une angoisse, et certainement pas comme une crise existentielle. Je la subis comme j’ai subi de très longs dimanches sans vin en ne sachant trop que le lendemain était férié. Histoire de ne pas être totalement à la ramasse, je lis sur le Covid. Le strict nécessaire, le plus objectif possible. Mais je n’ai pas envie de discuter de ce sujet, encore moins de chercher une information alternative, d’accumuler du savoir. Ça ne m’intéresse pas d’avoir un avis sur la vaccination obligatoire, sur l’entreprise Pfizer et sur Didier Raoult. Ça ne m’intéresse pas de tenir la comptabilité des infections et de distribuer des petits coeurs aux journalistes dont le test est soudainement positif mais qui s’en sortent malgré tout au bout d’une seule tablette de paracétamol.

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J’ai pourtant la cinquantaine, un début d’obésité et une grosse carence en vitamines D. Tout à fait le genre de type à qui Emmanuel André préconiserait 7 doses et de ne plus sortir de chez lui avant juin 2037. Malgré tout, je m’intéresse en ce moment bien plus au groupe pop danois Halasan Bazar, découvert il y a peu, et au cinéma de Mario Bava, toujours fun, qu’à la dangerosité présumée de l’Omicron. Le virus reste un sujet un peu périphérique à ma vie et il est hors de question de lui en laisser envahir la place centrale. J’en discute certes un peu, principalement lorsque je ronchonne contre les mesures que je juge débiles et qui sont pourtant appliquées avec beaucoup de zèle par certains commerçants. Ou que je rigole des gens qui portent le masque même au fond des bois et annoncent publiquement qu’ils ne respecteront pas les bulles, juste pour se donner des allures de rebelles invétérés ou d’apôtres du bon sens. Encore que ça ne me fait plus tant rigoler que ça non plus. Parce que peut-être ces gens ont-ils juste un peu trop écouté la RTBF débiter sa couverture apocalyptique de la pandémie et suivi sur Twitter les délires de virologues dont le quart d’heure warholien de célébrité n’a que trop duré (« Allez, merci pour tout, hein, Marc, mais on va essayer à notre façon, maintenant! Bisous et on se revoit sans faute pour Ebola!« ). Plutôt que de ricaner des névroses des autres en les pointant du doigt, peut-être est-il tout simplement temps d’attaquer les causes de ces névroses, autrement dit de proposer du recul, de débrancher, de fermer quelques robinets et d’ouvrir bien grandes les fenêtres, surtout dans les têtes? Plutôt que de pouffer en croisant des randonneurs masqués dans les sapinières, il serait peut-être aussi pas mal de leur dire « Hé fieu, respire un peu! C’est bon, le sapin! » Un chouette message de Noël, tiens, ainsi qu’une super résolution pour 2022!

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