Woody Allen: « Je suis un fervent croyant en la chance »

Je me reconnais du talent jusqu'à un certain point, mais pas au-delà. © belgaimage
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Confiné à Manhattan, Woody Allen évoque la situation et son livre Soit dit en passant, « un autoportrait réaliste« , dans cet entretien exclusif.

On apprend dès la première page de l’autobiographie de Woody Allen que son père a vécu 100 ans. Et un peu plus loin, que sa mère mourut à 96 ans. Lui-même âgé de 84 ans, le cinéaste a donc encore de la marge! De quoi ravir ceux et celles que son oeuvre a bien souvent comblés par le rire ou l’émotion. De quoi frustrer par contre celles et ceux qui écartent l’artiste pour ne voir que l’homme et les lourdes accusations (sans preuve) qui le visent au coeur même de la sphère intime. Interview avec le principal intéressé.

Comment vivez-vous le confinement imposé à New York, où le coronavirus a frappé très durement?

J’ai ce script que j’allais tourner à Paris cet été. C’est bien sûr reporté, à je ne sais pas quand. Mais c’est toute l’industrie du cinéma qui est l’arrêt. Pour ce qui est du lockdown, du confinement, ce sont des temps terribles. New York est comme une ville fantôme. Il n’est pas très amusant de se balader. Il faut éviter de croiser des gens, garder le masque, faire tout le temps attention. Pas de magasins, pas moyen de s’arrêter pour un drink ou une portion de pizza… La ville est comme morte. Chaque jour est comme le précédent: vous vous levez, vous marchez un peu dans la maison, vous allumez la télé un moment, ou vous ouvrez un livre, si vous êtes écrivain vous écrivez un petit peu. C’est un cauchemar, sans aucun doute une des pires choses qui me soient arrivées durant ma vie, une des deux pires avec l’époque nazie. Deux pestes pour l’humanité…

Comment s’est déclenché le désir d’écrire votre autobiographie?

J’ai une longue vie dans le show-business et nombreuses sont les personnes qui m’ont incité à écrire un livre sur mes expériences au cinéma, au théâtre, à la télévision, au cabaret, dans le jazz. J’ai fini par me dire que ces expériences pourraient être intéressantes à raconter. Écrire le livre fut une chose agréable. Me replonger dans mon enfance, repenser à mes débuts dans le cinéma. Il y a eu de la nostalgie, de l’amusement aussi.

Y a-t-il eu des moments révélateurs?

Non, ma vie personnelle n’a pas été particulièrement riche en événements spectaculaires. Elle ne comprend pas de moment très spécial ou traumatique. J’ai commencé à travailler à l’âge de seize ans et je n’ai pas cessé depuis. Il n’y a pas de grand tournant dans ma vie. J’ai juste été un gros bosseur.

Vous écrivez que le personnage qui vous ressemble le plus dans vos films est Cecilia, l’héroïne de La Rose pourpre du Caire.

Petit, j’aimais aller tout le temps au cinéma, m’immerger littéralement dans les films, je préférais tellement la vie qui se passait sur l’écran à la vie réelle avec tous ses problèmes. Tout était plus charmant et attirant sur l’écran. J’étais comme ce personnage, oui, je m’évadais au cinéma chaque jour, film après film, tout le temps de mon enfance.

Un autre film qui doit vous être très proche est Match Point, vu l’importance que vous attribuez au hasard, à la chance, dans votre parcours.

Les gens croient qu’ils ont le contrôle de leur vie, de leur destin, alors qu’en fait une grosse partie est due à la chance! C’est grâce à elle si vous êtes en bonne santé, si rien de fâcheux ne vous arrive, si vos projets de travail se concrétisent, si dans vos relations vous rencontrez la bonne personne. J’ai eu beaucoup de chance dans ma vie. Je suis un grand travailleur mais tout ce travail n’aurait mené à rien si je n’avais pas eu de chance. Je suis d’accord avec le personnage de Match Point quand il dit  » Il vaut mieux être chanceux qu’être bon« , car vous pouvez être bon et avoir malgré tout une vie terrible, ne jamais voir rendre justice à la grandeur qui est en vous. Je suis un croyant fervent en la chance. Peu de gens acceptent cette idée qu’ils ne contrôlent rien, ils disent qu’ils forcent leur propre chance… Mais quand celle-ci tourne, ils sont perdus.

Votre sens de l’autodérision marque le livre.

Il sert mon désir de tracer un portrait aussi réaliste que possible. Je ne voulais pas me présenter comme meilleur que je ne suis. Ni pire d’ailleurs. Je voulais être exact autant sur mon travail que sur mes relations avec les femmes. Je me reconnais du talent jusqu’à un certain point, mais pas au-delà.

Pouvez-vous développer un peu cette idée qu’en tant que réalisateur vous êtes un « imperfectionniste« ?

Je n’ai jamais été un obsédé de la perfection, comme certains de mes collègues qui soignent chaque détail et refont les choses encore et encore jusqu’à obtenir exactement ce qu’ils veulent. Je n’ai jamais été comme ça. Faire des films n’a jamais été la priorité numéro 1 dans ma vie. J’étais toujours plus intéressé par d’autres aspects comme ma famille, ma femme, mes enfants, regarder le sport aussi, faire de la musique. Qu’il y ait des choses imparfaites dans mes films ne me gêne pas. J’ai juste toujours fait du mieux que je pouvais, et c’est bien comme ça. Faire des films n’a jamais été une question de vie ou de mort pour moi.

Un parallèle peut-il être tracé entre les tentatives d’une nouvelle « police morale » de vous empêcher de travailler et les listes noires du temps du maccarthysme, évoquées dans The Front où vous teniez le rôle principal?

C’est différent, en ce sens que si vous étiez sur la liste noire dans les années 50, vous ne pouviez simplement pas travailler. Personne ne vous engageait. Avec le mouvement #MeToo, on ne vous dit pas  » Tu ne travailleras nulle part » mais « Je ne travaillerai pas avec toi« . C’est un choix personnel, pas organisé par toute une industrie. Il peut certes y avoir des points communs dans ces deux périodes de dénonciations, mais on ne peut pas les assimiler.

Vous n’en êtes pas moins obligé de prouver votre innocence, alors que ce devrait être aux accusateurs de prouver votre culpabilité…

La loi postule bien la présomption d’innocence, mais seulement dans le cadre d’une procédure judiciaire. Le grand public, lui, n’a aucune obligation de vous accorder cette présomption. Dans de nombreux cas, il ne le fait pas. Il voit dans les médias qu’on vous accuse et il est totalement libre de croire à ces accusations. Là encore, ce n’est pas neuf. Il y a 100 ans déjà des gens se retrouvaient accusés dans les médias et devaient y faire face.

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