Stephan Streker: « L’Ennemi, c’est un film qui questionne la vérité, l’intime conviction »

L'amour-passion est l'un des motifs au coeur du nouveau film de Stephan Streker.
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

S’inspirant librement de l’affaire Wesphael, le Belge Stephan Streker réussit un thriller de l’intime en forme de fascinant labyrinthe mental. Rencontre.

Stephan Streker nous reçoit un vendredi de décembre dans le bureau de son producteur, en plein centre de Bruxelles. Quatre ans après le succès de Noces, le réalisateur, par ailleurs consultant foot en télé, revient avec L’Ennemi (lire la critique), un long métrage -son quatrième- à nouveau librement inspiré d’un fait divers ayant défrayé la chronique en Belgique. Soit la fameuse affaire Bernard Wesphael, du nom de l’homme politique dont la compagne a été retrouvée morte dans sa chambre d’hôtel ostendaise en 2013. Meurtre? Suicide? Accident? De cette histoire, Streker choisit de ne garder que le substrat, changeant les noms et de nombreuses situations pour se concentrer sur les enjeux moraux, profonds et multiples, qui la sous-tendent. Le cinéaste précise: « Le substrat de cette histoire, c’est quoi? Un homme politique est accusé d’avoir commis quelque chose d’extrêmement grave et tout le monde a un avis sur la question. Et pourtant, personne n’était présent. Très concrètement, l’idée du film est née un jour où j’ai rencontré deux personnes qui m’ont tenu des propos radicalement différents sur l’affaire Wesphael. La première était persuadée qu’il était coupable. La seconde était certaine qu’il était innocent. Et toutes les deux avaient des arguments. Je me suis alors rendu compte que le discours de ces personnes en disait davantage sur elles-mêmes que sur la situation. D’où mon idée de faire un film qui questionne la vérité, l’intime conviction. »

Renvoyer le spectateur à son propre petit système de croyances, et instiller le doute dans la mécanique lissée de ses certitudes: c’est, d’évidence, l’un des enjeux majeurs du cinéma de Stephan Streker. « L’un des plus beaux compliments que j’ai reçus s’agissant de Noces est venu d’une jeune spectatrice, qui m’a dit à l’époque: « J’avais plus de certitudes avant de voir le film qu’après. » Au fond, la vraie noblesse du cinéma tient, selon moi, au fait de présenter les choses en respectant leur complexité. C’est d’ailleurs ce qui distingue le cinéma des réseaux sociaux, où tout est trop souvent tristement binaire. Pour moi, faire un film, c’est porter un regard, adopter un point de vue, mais laisser le jugement moral entièrement au spectateur. Avant toute chose, en effet, je cherche à faire des films qui laissent le spectateur intelligent et libre. C’est la raison pour laquelle je préférerai toujours les questions aux réponses. Toujours. Parce que la question ouvre, tandis que la réponse ferme. La question idiote n’existe pas, tandis que la réponse idiote… »

Bas les masques

Pour Stephan Streker, le pire ennemi qu’on puisse avoir dans sa vie sera toujours soi-même. Il s’agit donc d’entendre le titre de son nouveau film dans le sens d’un ennemi intime. Idée traduite à l’écran par une solide mise en scène de cinéma, le dédale des couloirs du fameux Thermae Palace Hotel ostendais où a été tourné L’Ennemi renvoyant notamment limpidement au tortueux labyrinthe mental qui habite son protagoniste. « Le véritable drame s’est déroulé à Ostende, mais pas dans cet hôtel. Je l’ai choisi précisément parce que sa configuration autorisait la mise en forme de l’une des idées fortes du film. Le cinéma permet entre autres choses cela: la superposition d’un espace réel et d’un espace mental. La situation dépeinte est un cauchemar, et le film, en un sens, l’est aussi. »

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Faisant d’Ostende un véritable personnage à part entière de son film, Streker ne se lasse pas, dans L’Ennemi, de filmer le visage sec, dur, de Jérémie Renier pour tenter de percer les tourments et le mystère d’un homme à la dérive. « Il ne faut pas se fier aux apparences« , y entend-on au détour d’une séquence-clé. D’où cette idée aussi de convoquer les célèbres masques de James Ensor, immense artiste ostendais chez qui l’artifice de l’imposture est un vecteur de vérité. Un peu comme dans la fiction cinématographique, donc. « Le film s’inspire de faits réels mais c’est une pure fiction, oui. Et il s’agit bien sûr de l’assumer. C’est-à-dire, en un sens, que tout est faux. Mais le cinéma tel que je le conçois, c’est: par la fiction, capter une forme de vérité. À partir de là, on comprend bien que les masques d’Ensor, c’est du pain bénit pour le film. Et puis les masques amènent une dimension graphique très forte, et tirent l’ensemble vers une sorte d’onirisme. »

On l’aura compris: chez Stephan Streker, dimensions symbolique et graphique s’interpénètrent et se nourrissent l’une l’autre. L’Ennemi est ainsi riche en images fortes, qui vont aussi gratter du côté de la psychanalyse et de l’inconscient. Quand un personnage dort en suçant son pouce, l’autre se réveille en position foetale sur la plage, par exemple. Manière encore d’inscrire son propos en terrain mouvant et nuancé, où le factuel et le fantasmatique se rejoignent et s’attirent -pour se confondre? Quant aux fantasmes du cinéaste, ils sont résolument tournés vers l’avenir. Son prochain long métrage est déjà écrit. Son titre? Du sang sur les mains. « Il s’agira d’un pur film de genre, d’un vrai polar d’aujourd’hui, avec des flingues et des téléphones portables. » Affaire à suivre…

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