Scarlett Johansson: la femme qui venait d’ailleurs
Scarlett Johansson vampirise l’écran de Under the Skin, ovni de Jonathan Glazer où elle campe une prédatrice alien séduisant ses proies dans la grisaille écossaise. Un rôle gonflé pour une actrice ne l’étant pas moins…
Sensuelle comme nulle autre, sa voix suffisait à dispenser le trouble dans Her, de Spike Jonze. Under the Skin voit aujourd’hui Scarlett Johansson faire usage de son corps à des fins guère éloignées, instrument de séduction d’une prédatrice alien évoquant quelque déclinaison ultime de la femme fatale, et pour cause. Le film de Jonathan Glazer est un ovni; l’arrivée de Miss Johansson sur une terrasse vénitienne, cadre de la rencontre, tient pour sa part de l’apparition, femme venue d’ailleurs ayant le don de suspendre temps et conversations sur son passage. Et de se laisser porter par son timbre pour lequel la raucité semble avoir été inventée…
Qu’est-ce qui vous a séduite dans le cinéma de Jonathan Glazer?
Il a une véritable identité visuelle, c’est un visionnaire, et son travail a quelque chose d’unique. Sexy Beast est un film parfait à mes yeux, romantique, amusant et totalement fascinant. Je l’ai adoré, et cela vaut pour l’ensemble de son oeuvre. Under the Skin divise, comme l’on a pu s’en rendre compte lors de la projection, hier. Mais qu’ils l’aient aimé ou non, et si certains ont pu se sentir menés en bateau en embarquant pour ce voyage dont ils ne savaient pas où il les conduirait, j’ai surtout ressenti de la fascination parmi les spectateurs. Un sentiment que je partage à la vision des images et des films de Jonathan.
Jonathan Glazer a loué votre courage pour avoir endossé ce rôle, notamment en raison de la nudité qu’il supposait. Quel est votre sentiment à cet égard?
S’agissant de ces scènes en particulier, elles ne sont pas gratuites, il y a toujours une histoire très forte derrière. La nudité ne constitue pas seulement un élément important des scènes de séduction, elle participe aussi de la recherche de soi du personnage, pour qui il s’agit moins de nudité que de découvrir son corps, son identité et sa singularité. Jonathan et moi avons eu le sentiment que ce projet survenait à point nommé dans nos parcours artistiques, nous étions tous les deux disposés à prendre des risques. Jonathan y a travaillé pendant des années, attendant de suffisamment maîtriser le sujet pour en comprendre toute la substance, et j’ai été témoin de ce processus, voyant comment les choses s’affinaient et prenaient forme dans son esprit. Je venais pour ma part de jouer au théâtre dans une pièce d’Arthur Miller, A View from the Bridge. Cette expérience m’a entraînée hors de ma zone de confort et m’a aidée à réaliser que je n’avais pas peur d’échouer. J’ai eu une sorte d’épiphanie, où j’ai découvert que l’on peut sortir plus forte de ses échecs éventuels, continuer à se frayer son chemin, creuser plus profondément et trouver sa vérité. Toutes choses qui m’ont rendue plus confiante pour aborder un projet comme celui-ci.
Quel était le principal défi posé par ce rôle?
Ils étaient nombreux et d’ordres divers: chaque scène présentait son propre défi, physique ou autre. Mais par-dessus tout, le plus grand, et le plus contraignant, était de devoir oublier ces instincts qui nous humanisent: notre propension à nous juger, nous-mêmes ou les autres, les choses auxquelles nous aspirons et celles que nous anticipons; celles auxquelles nous prenons plaisir et d’autres qui nous rendent nerveux. Ne pas disposer de ce vocabulaire émotionnel, et trouver l’espace mental approprié s’est révélé particulièrement difficile.
Comment avez-vous procédé?
J’y ai consacré du temps. J’ai dû apprendre comment me dégager l’esprit, me délester de mes intentions pour me contenter d’être fort présente. Cela requiert de la pratique, et Jonathan ne cessait de me le rappeler. Je ne sais pas comment il fait, mais il s’y entend pour détecter le bullshit (rires). Vous voyez la scène où j’attends le bus? Il faisait glacial et humide, comme n’importe quel jour en Ecosse, et Jonathan n’arrêtait pas de réclamer une autre prise, de me faire gravir et redescendre cette colline, attendant de capturer quelque chose sans pouvoir me dire de quoi il retournait exactement. J’avais beau respecter mes marques, cela n’en finissait pas, je n’en pouvais plus. Jusqu’au moment où, au bout de l’épuisement, j’ai pu m’exécuter, et redescendre de cette colline vierge de toute pensée, état qu’il a su capter, pour une raison ou une autre, et qui correspondait non seulement à ce qu’il désirait mais aussi à ce qui fonctionnait.
Vous est-il déjà arrivé de vous sentir comme une alien? De vous retrouver dans une situation étrange, inconfortable?
Du fait de mon travail, oui. Le simple fait d’avoir un visage connu peut vous placer dans des situations étranges où vous avez l’impression d’être une alien, différente. Mais à mesure que je vieillis, je deviens plus à l’aise avec moi-même, tout en me sentant plus connectée avec les autres. Je suis désormais en mesure de mettre ces situations en perspective, même si elles restent parfois étranges.
Envisagez-vous différemment le fait de jouer dans un film indépendant comme Under the Skin et dans un blockbuster comme The Avengers?
Non, mon intérêt est toujours spécifique à chaque projet, et il découle, habituellement, de la perspective de pouvoir collaborer avec un metteur en scène, et cela, sans égard pour le type de film ni le budget. Dans le cas présent, Jonathan a été la première raison de mon intérêt: j’aimais son travail, il avait un projet avec un rôle pouvant me convenir, et on a commencé à discuter. Je vais entamer un film avec Luc Besson (Lucy, dont la sortie est annoncée le 6 août, ndlr), le budget est beaucoup plus élevé, ce sera un type de production totalement différent, mais je suis surtout emballée à l’idée de travailler avec lui, j’admire son travail.
Veillez-vous à maintenir un équilibre entre films indépendants et blockbusters?
J’estime avoir beaucoup de chance de pouvoir me retrouver dans un film comme The Avengers. J’ai tourné, pour l’essentiel, des films indépendants: c’est mon background, et je suis surtout portée vers des histoires sortant un peu des sentiers battus. Je n’ai goûté au succès de blockbusters comme Iron Man 2 ou The Avengers que fort récemment. J’en suis ravie, parce que j’apprécie sincèrement différents types de cinéma: j’ai rejoint Iron Man 2 parce que j’aimais bien le premier et le travail de Jon Favreau, tout en ayant envie de travailler avec Robert Downey. J’ai par ailleurs la chance que ces productions ressemblent à des films indépendants, dotés d’un énorme budget: tant dans leur distribution que dans le choix du réalisateur, ce sont des projets sortant des sentiers battus, chose que j’appelle de mes voeux.
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