Rencontre avec Vanessa Paradis, qui brille dans Cette musique ne joue pour personne

Gustave Kervern et Vanessa Paradis dans Cette musique ne joue pour personne. Ou la naissance d'un amour entre violence et poésie.
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

En coiffeuse bègue et théâtreuse se prenant pour Simone de Beauvoir, Vanessa Paradis illumine le nouveau film de son compagnon Samuel Benchetrit, comédie poético-punk noyautée autour de gros durs au coeur d’artichaut pris du vertige de l’amour et de l’art. Rencontre, à Cannes.

On se souvient que Samuel Benchetrit avait fait tourner Alain Bashung, en 2008, dans J’ai toujours rêvé d’être un gangster. Au détour d’une séquence de son nouveau long métrage, Cette musique ne joue pour personne (lire la critique), on entend filtrer depuis l’habitacle d’une voiture les paroles cultes de l’un des plus grands tubes du regretté patron de la chanson française: Vertige de l’amour. Lequel aurait très bien pu donner son titre au film, tant l’univers du réalisateur semble indissociable de celui du chanteur. C’est une autre grande figure de la scène musicale hexagonale qui illumine pourtant cette fois ce nouveau concentré de cinéma fort en gueules et en tchatche qui célèbre la force et le plaisir des mots. Compagne de Benchetrit à la ville, Vanessa Paradis y brille, en effet, au beau milieu d’un généreux choeur d’hommes, mi-truands mi-poètes, en quête de transcendance. Rencontre en tête-à-tête avec celle qui en connaît un rayon en matière de variations sur le même t’aime.

Qu’est-ce qui vous touche dans ce film?

J’aime tout dans ce film: l’écriture de Samuel, ses dialogues… Ce qui me parle particulièrement, ce sont ses situations absolument folles mais qui nous ramènent à l’art. Comment l’art touche la vie des gens et change la vie des gens. Comment il les rapproche de l’amour, et comment l’art est indispensable au bien-être de l’humanité.

Le film est drôle et poétique à la fois, avec en même temps un côté irrévérencieux, iconoclaste, presque punk… Ça vous parle, ce mélange des genres?

Totalement. Je pense que la vie est toujours meilleure quand on mélange les genres et les différences. Et donc évidemment au cinéma c’est la même chose. Les films sont faits pour nous faire voyager, pour nous faire réfléchir, pour nous faire nous sentir moins seuls… Et donc voilà, quand un film mêle autant d’émotions, je ne peux être que comblée.

Comment percevez-vous votre personnage?

Disons que c’est quand même quelqu’un de très spécial, Suzanne. Elle est coiffeuse, elle a une vie très inscrite dans le quotidien, elle bégaie, mais quand elle joue la comédie quelque chose se passe. On comprend qu’elle a suivi plusieurs ateliers artistiques et que le théâtre l’a révélée. Le théâtre lui permet de se sentir normale, en tout cas de parler normalement, et change sa vie. Mais elle est aussi extrêmement dans l’absurde, quand même, c’est-à-dire que son mari est mort et elle ne pense qu’à une chose: jouer. C’est plutôt bizarre comme situation. Mais tout ça est laissé à l’interprétation du spectateur. On suppose quand même qu’ils ne s’aimaient plus beaucoup. Et puis elle est habitée, elle est tendre, elle est douce, mais elle est intense aussi. Elle est très très spéciale, cette Suzanne.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Le fait de devoir bégayer amène-t-il une difficulté supplémentaire dans le jeu?

C’est une grosse difficulté, d’autant qu’il s’agit d’un tout petit bégaiement, donc c’est vraiment quelque chose de très subtil à mettre en place. Moi je voulais travailler avec un coach, mais Samuel était contre. Au début, j’étais vraiment très effrayée à l’idée de devoir travailler ce bégaiement sur le plateau plutôt qu’en amont… Mais Samuel voulait quelque chose de tellement imperceptible que j’imagine que si j’avais répété avec un coach ça aurait été trop marqué, j’aurais eu trop de mal à m’en défaire. Au final, on a travaillé ça beaucoup à l’oreille avec Samuel et Miguel, l’ingénieur du son. De manière très musicale. Parce qu’il fallait que ce bégaiement soit subtil mais il fallait aussi qu’il soit extrêmement bien placé dans le texte, pour ne pas qu’il prenne le pas sur l’émotion et la situation.

Qu’est-ce que vous avez eu de plus compliqué à jouer dans votre carrière au cinéma?

C’est toujours très difficile de jouer quelqu’un qui est très opposé à vous, je dirais. Par exemple, il y a quelques années, j’ai fait ce film de Yann Gonzalez qui s’appelait Un couteau dans le coeur, dans lequel je jouais une femme agressive, violente. Et c’était vraiment difficile pour moi. En même temps, c’est en quelque sorte l’essence de ce métier, évidemment, de justement être capable de s’écarter de soi. Mais oui, jouer la violence, c’est ce qui reste le plus compliqué pour moi. Là je viens de tourner dans le premier film de Hugo Thomas, L’Appel du devoir, et à un moment je dois mettre une gifle à un adolescent. Et ça, vraiment, c’était dur. Parce que, pour le coup, ce n’est pas que du jeu, il y a vraiment un contact physique qui vous met dans une violence effective.

Vous avez commencé à chanter très jeune, est-ce que le désir de jouer était déjà présent à ce moment-là?

J’ai toujours eu envie de jouer la comédie. Peut-être parce que mon premier coup de foudre artistique, quand j’étais petite, ça a été les comédies musicales de la MGM. Ça m’a toujours fait rêver. À cette époque, je faisais de la danse. Donc il y avait toujours un moment où on présentait un spectacle. Et on jouait dans des théâtres. J’adorais le moment où on se préparait avant de grimper sur scène, quand on est tous ensemble dans les loges, et puis que le rideau s’ouvre, avec l’adrénaline qui monte en flèche… Je faisais ça dès l’âge de cinq ou six ans. À cette époque, je ne me disais peut-être pas clairement que plus tard je serais actrice, mais c’est sûr que ça me faisait déjà beaucoup rêver.

Aujourd’hui, vous sentez-vous aussi légitime au cinéma que dans la chanson?

Disons que la musique me prend et me demande beaucoup plus de temps et de présence. De travail, aussi. Quand je fais un disque, ça monopolise toute mon attention, toute mon énergie. La musique, c’est vraiment mon monde à moi. Au cinéma, je rentre dans le monde de quelqu’un d’autre. Et donc en un sens c’est plus léger. Même si ça reste beaucoup de travail, bien sûr, d’incarner un rôle. Mais les tournées, les concerts, c’est quelque chose de tellement intense, c’est vraiment hyper sportif. Donc oui, je suis vraiment très investie dans les rôles que je joue, mais la musique me réclame tellement plus. Puisque c’est ma création à moi, c’est plus proche de moi. Mais j’aimerais toujours continuer à tourner dans des films. Parce que c’est merveilleux de jouer, mais aussi parce que la vie d’un tournage est assez merveilleuse. La vie avec une équipe. À ce niveau, avec Cette musique ne joue pour personne, j’ai été servie. On a énormément rigolé. Et puis ça me passionne toujours autant de regarder tous ces gens oeuvrer ensemble pour créer quelque chose. C’est déjà une chose qui me fascine en musique. Ce sont des belles leçons de vie de parvenir à collaborer en se regardant vraiment, en s’écoutant. On quitte tous son chez-soi, on vit, on mange, on passe tout son temps ensemble. Il y a quelque chose de très fort humainement, là-dedans.

Nourrissez-vous des regrets particuliers en tant qu’actrice? On sait, par exemple, que vous avez décliné à l’époque le rôle principal du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain ou bien encore celui de Proposition indécente

Ah non, Proposition indécente, ils ne m’ont pas choisie, c’est différent. J’étais trop jeune pour le rôle, j’ai dix ans de moins que Demi Moore. Mais non, je ne peux pas regretter des choses qui ne se sont pas faites, parce qu’au moment où j’ai dû refuser certaines choses c’est que j’avais fait un choix de vie. J’étais donc en accord avec mon choix. Alors évidemment peut-être qu’il y a des rôles qui m’auraient permis d’accéder à une plus grande carrière internationale… Mais bon, je suis déjà tellement comblée avec les métiers que je vis aujourd’hui, et qui me font énormément voyager, que je ne peux pas avoir de regrets. Je suis tellement chanceuse et remplie de tout ce qu’on me donne à vivre. Ça va, quoi, je ne me plains pas (sourire).

Et nourrissez-vous encore des désirs forts de cinéma? À l’égard d’un réalisateur avec lequel vous n’avez jamais tourné, un genre de film que vous n’avez pas encore exploré…

Je rêve qu’on me propose une comédie musicale. Où je chante, où je danse, où je joue… Où je fais tout. Moins un truc à la Damien Chazelle qu’un truc à la Bob Fosse. Je n’attends que ça.

3 questions à Samuel Benchetrit

Rencontre avec Vanessa Paradis, qui brille dans Cette musique ne joue pour personne
© STEPHANE CARDINALE / CORBIS VIA GETTY IMAGES

Quel était le désir premier qui vous a donné envie de partir sur ce projet-là?

J’avais envie de faire un film d’amour. Et puis j’avais envie de parler de gars qui ressemblent un peu aux copains qu’avait mon père quand j’étais gamin. Mon père bossait à l’usine avec des mecs assez durs, mais j’étais toujours touché de les voir tendres à un moment donné avec leurs femmes ou leurs enfants. Il y avait quelque chose qui me touchait dans leurs moments d’abandon très pudiques. Et donc l’idée c’était de parler de gars un peu durs mais qui sont comme de petites fleurs. De ne quasiment rien montrer de leur violence au quotidien, mais de les prendre à un moment où ils tombent amoureux et où ils doivent en tout cas être très délicats.

On sent chez vous le plaisir immense qu’il y a à raconter des histoires, à les enchâsser les unes dans le autres, et à les multiplier via un nombre pléthorique de personnages…

Oui j’adore quand les choses s’entremêlent et qu’il y a des digressions partout. Souvent, je trouve que le cinéma est un peu étouffé par une psychologie qui empêche de faire passer des choses. Selon moi, ce n’est pas très grave de ne pas tout comprendre, et ce n’est surtout pas très intéressant de tout expliquer. Je préfère que ce soit plus foutraque, que ça parte un peu dans tous les sens. À l’image de la vie.

Dans le film, justement, il y a cette idée que la vie c’est du théâtre…

C’est vrai. La vie est souvent moins sérieuse qu’on le pense. Un jour, Jean-Louis Trintignant m’a emmené voir un copain à lui complètement déprimé. Et, en effet, le mec nous raconte que sa femme l’a quitté, qu’il a perdu son boulot, qu’il va se faire virer de son appart et qu’en plus il est malade… Et là Jean-Louis lui lâche cette phrase incroyable, qui nous a tous beaucoup fait marrer: « Ah bah écoute, t’as qu’à t’en foutre. » Je pense souvent à ça. C’était gonflé, mais c’était aussi très vrai.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content