Once Upon a Time… in Cannes: le menu du festival

The Dead Don't Die, de Jim Jarmusch © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Le 72e festival de Cannes s’ouvrira mardi sur The Dead Don’t Die, film de zombies de Jim Jarmusch. Présentation d’une sélection officielle s’annonçant résolument solide, avec cinq anciens lauréats de la Palme d’or en compétition, à défaut d’être franchement aventureuse…

« On a craint que le film ne soit pas prêt mais Quentin Tarantino, qui n’a pas quitté sa salle de montage depuis quatre mois, est un vrai enfant de Cannes, fidèle et ponctuel! » Le 2 mai dernier, Thierry Frémaux mettait fin au (faux) suspense en annonçant la sélection, en compétition cannoise, de Once Upon a Time… in Hollywood, nouvel opus de Quentin Tarantino, Palme d’or il y a tout juste 25 ans avec Pulp Fiction. De quoi, si besoin, assurer au festival un surcroît de glamour -le générique aligne Brad Pitt, Leonardo DiCaprio et Margot Robbie- tout en achevant de bétonner le programme d’une 72e édition capitalisant sur les valeurs sûres.

Once Upon a Time... in Hollywood
Once Upon a Time… in Hollywood

De petits airs de déjà-vu

Le line-up de la compétition est, à cet égard, éloquent, puisque parmi les 20 candidats à la Palme d’or, que devra départager le jury présidé par Alejandro González Iñárritu, figurent pas moins de cinq (et même six) anciens lauréats. Soit, par ordre alphabétique, les frères Dardenne avec Le Jeune Ahmed, Abdellatif Kechiche avec Mektoub, My Love: Intermezzo, Ken Loach avec Sorry We Missed You, Terrence Malick avec A Hidden Life, et donc le réalisateur de Inglourious Basterds. De quoi donner à la sélection des petits airs de déjà-vu, sentiment conforté par la présence à leurs côtés de réalisateurs ayant déjà concouru à la Palme d’or, et pour certains habitués de la Croisette, les Pedro Almodóvar (Dolor y gloria), Marco Bellocchio (Il traditore), Bong Joon-ho (Parasite), Arnaud Desplechin ( Roubaix, une lumière), Xavier Dolan (Matthias et Maxime) et autre Kleber Mendonça Filho (Bacurau), sans oublier le revenant palestinien Elia Suleiman (It Must Be Heaven). À leurs côtés, huit cinéastes découvrent la section reine du festival, parmi lesquels quatre femmes (soit le double de l’an dernier), à savoir la Sénégalaise Mati Diop avec Atlantique, l’Autrichienne Jessica Hausner avec Little Joe, et les Françaises Céline Sciamma et Justine Triet, l’une avec Portrait de la jeune fille en feu, l’autre avec Sibyl. À qui s’ajoutent le Chinois Diao Yi’Nan ( The Wild Goose Lake), le Français Ladj Ly (Les Misérables, seul premier film en compétition), le Roumain Corneliu Porumboiu (La Gomera), et l’Américain Ira Sachs (Frankie).

Once Upon a Time... in Cannes: le menu du festival

Du solide donc, comme en réponse à la pluie de critiques qui s’étaient abattues sur le délégué-général l’an dernier, pour une sélection sans véritable surprise. Jusque dans sa distribution géographique, qui fait la part belle à l’Europe et à la France en particulier, loin devant les États-Unis (à l’exclusion de Netflix qui, un an après une polémique de grande ampleur, brille une fois encore par son absence), l’Asie et le reste du monde. Et où, s’agissant des Belges (lire notre point sur la présence des Belges au festival), on notera qu’outre les frères Dardenne, ils seront quelques-uns à monter les marches du palais, Virginie Efira retrouvant Justine Triet, la réalisatrice de Victoria, dans Sibyl, tandis que Jérémie Renier et Matthias Schoenaerts tâtent du cinéma américain, le premier dans Frankie, le second dans A Hidden Life.

Zombies et nostalgie

Petite soeur de la compétition, la section Un Certain Regard en apparaît pour sa part plus que jamais comme le laboratoire. Une demi-douzaine de premières oeuvres figurent ainsi à son programme, parmi lesquelles les débuts comme réalisatrice de Monia Chokri, actrice chez Xavier Dolan et autrice de La Femme de mon frère. Si l’on pointe encore les présences de Bruno Dumont (Jeanne) ou Albert Serra (Liberté), deux films d’animation comptent également parmi la vingtaine de titres proposés, à savoir Les Hirondelles de Kaboul, de Zabou Breitman et Eléa Gobé Mévellec, et La Fameuse Invasion des ours en Sicile, de Lorenzo Mattotti. Enfin, une poignée de séances spéciales et autres midnight screenings complètent le volet officiel de la sélection. Après celui de vampires dans Only Lovers Left Alive, Jim Jarmusch s’essaie au film de zombies dans The Dead Don’t Die, ouverture attendue avec une impatience non dissimulée; le Chilien Patricio Guzmán ponctue sa réflexion documentaire sur son pays dans La Cordillère des songes; Asif Kapadia se penche sur Diego Maradona après Amy Winehouse; Dexter Fletcher livre un biopic sur Elton John avec Rocketman; Bono accompagne le Ward 5B de Dan Krauss, et l’on en oublie -jusqu’à Claude Lelouch qui, plus de 50 ans après (!), donne une suite à Un homme et une femme dans Les Plus Belles Années d’une vie. Ce qui, à défaut d’autre chose, devrait valoir au festival une bouffée de nostalgie: il était une fois à Cannes, da ba da ba da da ba da ba da…

Le Daim
Le Daim

La Quinzaine fait peau neuve

L’an dernier, la principale section parallèle du grand raout cannois fêtait sa 50e édition et clôturait un cycle. Exit Édouard Waintrop, c’est désormais le programmateur italien Paolo Moretti qui pilote la Quinzaine des Réalisateurs. Sur les 24 films sélectionnés cette année, seize sont le fruit de cinéastes dont ce sera la toute première fois à Cannes. On peut donc parler de peau neuve pour ce rendez-vous phare du festival où l’on traquera quelques très prometteuses curiosités: drame scandinave qui traite de renaissance par le biais de pratiques sadomasochistes extrêmes (Dog Don’t Wear Pants de Jukka-Pekka Valkeapää), comédie française auscultant l’étrange relation qui lie un rappeur à son réfrigérateur intelligent (Yves de Benoît Forgeard), ovni suisse où une bande de jeunes se retrouve aux prises avec l’accélérateur de particules le plus puissant du monde (Les Particules de Blaise Harrison)… Mais de Lav Diaz à Takashi Miike, en passant par Rebecca Zlotowski, les noms bien installés dans le circuit des festivals ne manquent pas. À Focus, on frétille tout particulièrement à l’annonce de la présence de trois de nos chouchous: Quentin Dupieux, Bertrand Bonello et Robert Eggers. Si le premier aura l’honneur d’ouvrir la Quinzaine (Le Daim, avec Jean Dujardin et Adèle Haenel), le second promet de réveiller les morts entre Haïti et Paris dans Zombi Child. Quant au troisième, auteur avec The Witch en 2015 d’un soufflant film d’époque aux accents horrifiques, il affole déjà tous les baromètres avec The Lighthouse, drame en noir et blanc où Robert Pattinson et Willem Dafoe évoluent en gardiens de phare dans un univers de vieux mythes marins. Ajoutez à cela que le maître du fantastique John Carpenter (The Thing) se verra remettre le Carrosse d’or, que Robert Rodriguez (Sin City) donnera une masterclass et que Luca Guadagnino (Call Me by Your Name) présentera un mystérieux nouveau moyen métrage avec Julianne Moore… Du lourd.

Myriem Akheddiou, à l’école des Dardenne

Le Jeune Ahmed
Le Jeune Ahmed© CHRISTINE PLENUS

Assistante médicale dans Le Gamin au vélo; collègue de travail à qui Sandra va demander d’accepter de renoncer à sa prime afin de pouvoir conserver son emploi dans Deux jours, une nuit; membre de l’équipe du Centre Kennedy accueillant le docteur Jenny Davin dans La Fille inconnue: voilà quelques années déjà que Myriem Akheddiou habite le cinéma des frères Dardenne. C’est donc sans surprise qu’on la retrouve aujourd’hui au générique du Jeune Ahmed, le 11e long métrage du duo, et le huitième consécutivement à avoir les honneurs de la compétition cannoise -« Ce sont des réalisateurs assez fidèles, qui aiment être en confiance dans le travail. Je pense que quand ils accrochent bien avec des gens, ils aiment retravailler avec eux« , observe-t-elle, modeste.

Processus de délestage

Festival oblige, le film fait l’objet d’un embargo sévère jusqu’à sa présentation sur la Croisette. On s’en tiendra donc, en guise de descriptif, au synopsis lapidaire figurant sur le site Allociné, à savoir: « En Belgique, aujourd’hui, le destin du jeune Ahmed, treize ans, pris entre les idéaux de pureté de son imam et les appels de la vie. » Et l’on ajoutera que Myriem Akheddiou y campe Inès, une enseignante, l’une des personnes qui tenteront de détourner le gamin de la spirale de la radicalisation. À défaut de pouvoir déflorer plus avant le sujet du film, force est de constater que celui-ci ressemble à un retour aux fondamentaux pour le duo de réalisateurs, tant dans son énergie que par sa sécheresse, pour un résultat décharné pour ainsi dire: « J’ai l’impression que dans ce film-ci, il y a quelque chose qui s’est rassemblé, poursuit la comédienne. Ils se reconcentrent sur le moment de vie du personnage principal, Ahmed, et il ne faut pas de scories, il ne faut distraire personne de sa route à lui. » Soit ce qui fait l’essence du cinéma des Dardenne, mais aussi leur singularité. « Leurs personnages ont une puissance vitale, qu’ils arrivent à filmer comme c’est rare que l’on puisse le faire. On est collés à eux, et comme ils sont dans une lutte, dans quelque chose de l’ordre de la survie, de très fort, avec un côté rouleau compresseur, on le prend en pleine tronche, tout le temps. Je trouve ça bouleversant, il y a une telle force de vie là-dedans. »

Si elle se multiplie sur tous les fronts -cinéma, de Timgad à Une part d’ombre ; télévision de La Forêt au doublage de La casa de papel; théâtre, avec notamment la reprise prochaine de Moutoufs, le spectacle sur la question de la double identité qu’elle a créé avec Jasmina et Monia Douieb, Hakim Louk’man et Othmane Moumen- l’actrice se trouve là, incontestablement, dans son élément. « Travailler avec les frères est très particulier. Souvent, on vous demande d’arriver avec ce que vous êtes. Chez eux, il y a un processus de délestage qui vaut aussi pour les acteurs, il faut éliminer les tics, les trucs, pour arriver à une épure et être au plus juste, au plus près du moment qu’on raconte. Le moindre mouvement de caméra, le moindre geste est le fruit d’une immense réflexion, tout a une vraie signification, rien n’est laissé au hasard. Je n’ai jamais senti ça de la sorte chez d’autres réalisateurs. » Quant à atteindre cet état d’abandon voulu par le duo de cinéastes? « Je fais ce métier pour être poussée dans mes limites. C’est ce que je cherche et qui me passionne! »

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