Naomi Kawase, en prise sur l’invisible

La relation de ses personnages avec la lumière permet à Naomi Kawase d'élever l'imaginaire du spectateur. © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Naomi Kawase filme délicatement la relation s’esquissant entre un homme en train de perdre la lumière et une jeune femme la poursuivant.

Il y a, entre Naomi Kawase et le festival de Cannes, une longue histoire d’amour, entamée en 1997 avec la Caméra d’or remportée par Suzaku. Depuis, la plupart des films de la cinéaste japonaise ont eu les honneurs de la Croisette, dont elle devait repartir avec le Grand Prix pour La Forêt de Mogari, avant d’éblouir les spectateurs à la faveur de Still the Water. Présenté en mai dernier en compétition, Vers la lumière, son neuvième long métrage de fiction, n’y a pas reçu l’accueil escompté. Mais si elle y a le trait plus appuyé qu’à l’accoutumée, ce film s’inscrit néanmoins dans la continuité d’une oeuvre en prise sur l’invisible. Et cela, d’une façon littérale pour ainsi dire, puisqu’il y est question de la rencontre entre une jeune femme travaillant à l’audiodescription de films pour des mal-voyants et un photographe à la cécité annoncée, la philosophie de Vers la lumière reposant dans une phrase, reproduite à satiété: « Rien n’est plus beau que ce que l’on a sous les yeux, et qui s’apprête à disparaître. »

Naomi Kawase, en prise sur l'invisible
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Élever l’imaginaire du spectateur

Ce film, Naomi Kawase en a eu l’inspiration en contrôlant la version en audiodescription des Délices de Tokyo, son précédent opus: « J’ai été étonnée par la passion des audio-descripteurs. Essayer de décrire un film avec des mots à des gens qui ne voient pas est un travail ingrat. J’ai été surprise par le soin qu’ils apportaient aux détails du vocabulaire choisi. Il faut vraiment aimer profondément le cinéma pour pouvoir y arriver. Tourner un film dont un personnage serait une audio-descriptrice allait également me permettre de parler de mon amour du cinéma. » Non sans rejoindre une réflexion plus vaste, déjà à l’oeuvre de façon souterraine dans bon nombre de ses films. « Être en mesure de voir n’est pas la seule chose que le cinéma ait à offrir, c’est aussi un médium permettant de ressentir. Bien sûr, on regarde le monde représenté sur la toile. Mais ce que l’on entend, et la façon dont l’on ressent l’ensemble fait que l’on passe des deux dimensions de l’écran à un monde en trois dimensions dans lequel nous vivons. »

L’un des éléments les plus troublants de Vers la lumière tient à la relation qui s’établit entre Misako, l’héroïne du film, et un groupe de mal-voyants invités à des projections tests pour évaluer son travail. Et de protester contre l’abus d’informations qui pourraient nuire à la vérité sensorielle de l’oeuvre, susceptible de résider aussi dans les interstices et autres ellipses. « C’est exactement ce dont il s’agit, opine la réalisatrice. Si Misako explique tout au spectateur, cela devient excessif. Mais si on ôte trop d’éléments, cela devient incompréhensible. Comment obtenir cet équilibre? Comment élever l’imaginaire du spectateur? Cela constitue toujours un défi. »

Naomi Kawase, en prise sur l'invisible
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À chaque film ses secrets et son mystère, un constat valant aussi pour la démarche de Naomi Kawase et le rapport, teinté d’animisme, qui semble la lier aux éléments. Ce qu’illustre une anecdote empruntée au tournage d’une oeuvre en quête littérale et métaphorique de lumière: « Même en payant une fortune à la Nasa, rien n’aurait pu garantir que l’on obtienne un merveilleux coucher de soleil pendant la photographie principale. Et pourtant, une lumière dorée est venue nous visiter, ce qui est pour moi de l’ordre du miracle. J’ai pris l’habitude de dire que le dieu du cinéma nous a rendu visite. Connaître l’un de ces moments est quelque chose d’incroyablement excitant. »

Quant au fait que ce film mette en scène un artiste n’étant plus en mesure d’exercer son art? « Arata Dodo, le chef-opérateur, et Masatoshi Nagase, l’acteur principal de Vers la lumière , sont tous deux photographes. Nous pouvions donc nous reconnaître dans le fait d’imaginer ce que perdre la vue veut dire. Mais la faculté de surmonter cette perte et de trouver une force insoupçonnée ainsi qu’un sens nouveau à la beauté, comme nous l’avons observée chez ceux que nous avons rencontrés, est aussi quelque chose à quoi nous avons pu nous identifier. Voilà les sentiments que nous tenions à exprimer. » Signe, sans doute, que la cinéaste nippone n’en a pas fini de cette réflexion, son prochain film, avec Juliette Binoche dans le rôle principal, s’intitulera Vision

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