Mensonges et vérité

Récompensée pour son rôle dans The Farewell, Awkwafina est devenue la première actrice d'origine asiatique à recevoir un Golden Globe.
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Dans The Farewell, deuxième long métrage d’inspiration largement autobiographique, la réalisatrice sino-américaine Lulu Wang fictionnalise un épisode assez improbable de sa récente histoire familiale. Rencontre.

« Ce film est basé sur un vrai mensonge« , annonce ironiquement son ouverture. Amusante formule qui, sans trop avoir l’air d’y toucher, en dit pourtant très long sur les enjeux inscrits au coeur de The Farewell (lire la critique). Deuxième long métrage de Lulu Wang, cinéaste née en Chine mais qui a grandi et vit aux États-Unis, cette comédie dramatique s’inspire en effet d’un épisode peu ordinaire de sa propre histoire familiale. En 2013, alors qu’elle entamait le montage de Posthumous, son premier film, elle apprend que sa grand-mère, toujours basée en Chine, est condamnée par un cancer arrivé à un stade terminal. Décidant de se rendre en Asie pour lui dire adieu avec sa famille, la réalisatrice y découvre que les membres de celle-ci ont choisi de cacher la vérité à la malade, la vieille femme ignorant totalement que ces retrouvailles préfigurent sa mort prochaine. Si elle désapprouve ce grand mensonge organisé, Wang n’en finit pas moins par accepter de se prêter au jeu, tiraillée qu’elle est entre son désir d’être honnête avec sa grand-mère et sa volonté de préserver la bonne entente familiale. De passage récemment au Film Fest de Gand pour présenter The Farewell, elle explique: « Le vrai point de départ pour moi, c’est le ton que je voulais imprimer au film. Cette espèce de juxtaposition très personnelle entre l’humour et le drame. Il m’importait également de ne surtout pas être dans le jugement. C’est-à-dire que l’intérêt du film n’est certainement pas de déterminer si les personnages ont raison de mentir ou bien s’ils devraient plutôt dire la vérité. Non. Je cherchais vraiment à développer une façon différente de voir les choses. Et à montrer aussi qu’on peut très bien, par exemple, ne pas être d’accord avec leur décision de mentir, mais qu’on peut tout de même la respecter. Parfois, il y a de la vérité aussi dans les non-dits. C’est davantage une question de ressenti. »

Les langages de l’amour

Aujourd’hui basée à Los Angeles, où elle vit en couple avec Barry Jenkins, le réalisateur de Moonlight, Wang raconte qu’elle a beaucoup ramé pour financer The Farewell. « Quand j’ai pitché le film à des producteurs américains, ils m’ont dit qu’ils trouvaient ça trop chinois pour eux. Parce qu’une bonne partie de l’action se situe sur le sol asiatique, et que le film mélange l’anglais, le chinois et même un peu de japonais. Le fait est que je me considère vraiment comme une réalisatrice américaine, avec un point de vue américain sur les choses, et que je tenais à ce que le film ait la possibilité d’être sélectionné au festival de Sundance, par exemple, un véritable incontournable pour le cinéma indépendant US. La mort dans l’âme, j’ai quand même fini par me tourner vers des producteurs chinois, mais eux m’ont répondu qu’ils trouvaient ça beaucoup trop américain. Bref, ça a été très compliqué (sourire). J’ai dû beaucoup batailler, et j’ai réalisé à quel point il est difficile aujourd’hui de faire entendre une voix personnelle, qui ne cherche pas forcément à rentrer dans une case bien définie. »

Lulu Wang
Lulu Wang

Finalement en partie financé par Big Beach, société de production américaine spécialisée dans les comédies dramatiques à petit budget comme Little Miss Sunshine ou Away We Go, The Farewell a, à l’arrivée, bien été sélectionné à Sundance l’an dernier, où la famille proche de Lulu Wang, directement concernée par l’intrigue, a pu découvrir le film. « Mes parents l’ont vu tous les deux à Sundance. Mon père était très fier. J’avais peur qu’il n’apprécie pas la manière dont il était représenté par le biais de la fiction mais, à ma grande surprise, il était super content. Par contre ma mère trouvait qu’elle avait l’air trop dur. Elle n’arrêtait pas de me dire: « Je ne suis pas comme ça. Je ne suis pas comme ça. » (rires) »

Dans la foulée de ce grand rendez-vous de l’indie américain, The Farewell a remporté un très beau succès en salles et dans les festivals, trustant les récompenses, d’Atlanta à Londres en passant par Valladolid, avant de se retrouver catapulté aux récents Golden Globes, où la jeune Awkwafina, portant son rôle principal, a été sacrée meilleure actrice dans un musical ou une comédie. Preuve que la matière intime et très spécifique qui est au coeur du film peut résonner de manière universelle. « J’ai beaucoup lutté pour que ce film reste modeste, intime, spécifique, quand tout le monde me poussait à faire quelque chose de plus gros, de plus impersonnel, de plus universel. À l’arrivée, c’est une joie immense que le film résonne à ce point chez les gens. Je crois sincèrement qu’il n’est pas nécessaire de donner forcément toutes les clés de compréhension du monde que vous choisissez de mettre en scène. Ça me semble plus intéressant d’immerger complètement le spectateur dans cette réalité. Si elle sonne juste et vraie, alors elle pourra parler à tout un chacun. À mes yeux, The Farewell est avant tout une histoire sur les langages de l’amour, autrement dit sur nos différentes façons d’exprimer notre amour en fonction de notre culture et de notre personnalité.  »

Famille et amour seront à nouveau les deux grands axes autour desquels se structurera le prochain film de Lulu Wang. « Il s’agit d’un projet de science-fiction, que je suis déjà occupée à écrire. C’est l’histoire d’un couple qui a des enfants digitaux, virtuels. J’entends y questionner le concept même d’amour parental. Est-ce que l’amour est réel si les enfants que vous aimez n’existent pas vraiment? » Tout un programme…

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