Critique

[Le film de la semaine] Le Client, d’Asghar Farhadi

Taraneh Alidoosti dans Le Client d'Asghar Farhadi © DR
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

DRAME | Asghar Farhadi passe une fois de plus entre les mailles de la censure locale alors qu’il ose aborder le sujet de la prostitution et filmer une pièce de théâtre américaine écrite par un auteur juif…

On joue à Téhéran Mort d’un commis voyageur, la pièce d’Arthur Miller créée voici 67 ans à Broadway. Les rôles sont tenus par Emad et Rana, deux comédiens qui forment aussi un couple dans la vie réelle. Tandis qu’ils jouent sur scène Willy et Linda Loman, dans une famille que mine la crise autodestructrice du premier cité, leur propre harmonie sera mise à l’épreuve par un déménagement aux conséquences tragiques. L’immeuble où ils résident menaçant de s’écrouler, ils vont s’installer dans un appartement que leur prête un ami. Des effets de la locataire précédente s’y trouvent encore. On dit de cette femme qu’elle avait « des moeurs dissolues« . Un jour, un de ses clients, ignorant son départ, se présente et agresse sexuellement Rana. Laquelle ne veut pas aller à la police, déclenchant chez Emad le désir de faire lui-même justice… Le thème des rapports de couple et celui du fait divers brisant la quiétude sociale avaient déjà inspiré Asghar Farhadi pour son formidable Une séparation, en 2011. Comme il l’affirme dans l’entretien ci-contre, le grand cinéaste iranien entend creuser de plus en plus profond le matériau humain qu’il travaille à l’écran. L’intensité des émotions et interrogations suscitées par Le Client témoigne de cette approche organique, une fois de plus admirablement relayée par des interprètes incarnant plus qu’ils ne jouent. Shahab Hosseini a obtenu au festival de Cannes un prix d’interprétation qu’aurait tout aussi bien pu revendiquer sa partenaire Taraneh Alidoosti. Leur travail donne corps, littéralement, au propos d’un Farhadi qui met à jour, entre cruauté nécessaire et humanité fervente, l’hypocrisie de la société urbaine iranienne, la violence toujours prête à jaillir de sa surface policée.

[Le film de la semaine] Le Client, d'Asghar Farhadi

Le réalisateur passe une fois de plus entre les mailles de la censure locale alors qu’il ose aborder le sujet de la prostitution, filmer aussi la mise en scène d’une pièce de théâtre non seulement américaine (venant du « Grand Satan ») mais écrite par un auteur juif… La mise en abîme qu’amène cette pièce dans le film n’enrichissant guère, cependant, la portée de ce Client. La structure dramatique proposée par Farhadi se fait un peu trop artificielle. Comme l’est aussi la métaphore de l’immeuble fissuré, renvoyant à un édifice social qui contient sa propre ruine… Mais si Farhadi est plus explicite qu’à son ordinaire, le souffle de son cinéma reste d’une grande puissance, d’une belle et forte exigence aussi. Son prix du scénario à Cannes met l’accent sur la quête de vérité fervente qui le meut, et qui fait de lui le digne héritier des néoréalistes italiens plus que d’un Abbas Kiarostami enclin à l’échappée poétique. Un Kiarostami avec lequel il partage, suite à la reconnaissance internationale, la tentation d’un exil créatif qui l’a déjà fait tourner en France (Le Passé) et l’emmènera bientôt en Espagne, pour une adaptation locale d’Une séparation produite par Pedro Almodóvar avec Penélope Cruz et Javier Bardem…

D’ASGHAR FARHADI. AVEC SHAHAB HOSSEINI, TARANEH ALIDOOSTI, BABAK KARIMI. 2H05. SORTIE: 23/11. ***(*)

>> Lire également notre interview d’Asghar Farhadi.

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