Laurent Lafitte, homme à tout faire

Dans L'Heure de la sortie, Laurent Lafitte est un professeur confronté à la défiance de ses élèves. Une coloration fantastique en plus... © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Laurent Lafitte excelle dans L’Heure de la sortie, épatant thriller fantastique de Sébastien Marnier. En attendant de réaliser son premier long métrage.

Si l’expression n’était aussi galvaudée, on qualifierait sans hésiter Laurent Lafitte d’acteur tous terrains. Le genre à se partager avec bonheur entre les planches (il est, depuis 2012, pensionnaire de la Comédie-Française, où il interprétait encore récemment Le Voyage de G. Mastorna, d’après Fellini) et le grand écran. Et à s’employer à déjouer les catégorisations par trop réductrices, aussi à l’aise dans le cinéma d’auteur que dans son pendant populaire, dans Elle de Paul Verhoeven que dans Papa ou maman de Martin Bourboulon. Disposition qu’illustre limpidement son actualité, puisque, après avoir retrouvé son compère Guillaume Canet pour Nous finirons ensemble, leur quatrième film en commun, il est aujourd’hui à l’affiche de L’Heure de la sortie (lire la critique), le second long métrage de Sébastien Marnier, thriller librement adapté du roman éponyme de Christophe Dufossé.

Film de genre et politique

Le comédien parisien y campe Pierre Hoffman, un prof suppléant débarqué dans un collège huppé afin de remplacer un collègue s’étant jeté par la fenêtre sous les yeux de ses élèves, une classe pilote d’adolescents à haut potentiel qui vont témoigner d’une hostilité diffuse à l’égard du nouveau venu. Lequel, pas plus que le spectateur, ne sera au bout de ses surprises, le réalisateur réussissant à amener ce film de genre en terrain stimulant, donnant au suspense une coloration fantastique, non sans brasser des enjeux on ne peut plus contemporains. « Je connaissais Sébastien, qui m’avait été présenté par Marina Foïs (NDLR: sa partenaire dans Papa ou maman), et j’avais vu son premier film, Irréprochable. A la lecture du scénario, j’ai été captivé par l’histoire. J’avais envie de savoir ce qui allait se passer, sans arriver à l’anticiper, une sensation agréable. Et puis, j’ai apprécié la dimension politique du propos et son efficacité de film de genre, avec des influences comme celle de John Carpenter, qui est aussi une référence pour moi. J’ai grandi avec le cinéma de genre, le fantastique, le film d’horreur, une forme vraiment intéressante quand de vrais cinéastes s’y frottent, et non juste des faiseurs, et qu’il y a un regard, un discours. »

Avec les personnages, j’essaie d’u0026#xEA;tre tru0026#xE8;s premier degru0026#xE9; dans le jeu.

John Carpenter, David Cronenberg ou Bong Joon-ho, Palme d’or il y a quelques semaines à peine avec Parasite, en sont divers exemples. Sébastien Marnier leur emboîte le pas qui, non content de donner des couleurs à l’hypothèse d’un renouveau du cinéma fantastique français – voir encore l’étonnant K.O. de Fabrice Gobert avec, déjà… Laurent Lafitte – s’empare de thématiques d’une acuité brûlante. Inscrit dans un environnement à la normalité anxiogène, L’Heure de la sortie bruit aussi de la catastrophe écologique annoncée, venue entraîner la fiction en terrain aussi singulier qu’inquiétant. « Tout ce dont on parle dans le film est réel, ce n’est pas de la paranoïa, souligne Laurent Lafitte. Les événements s’y passant se sont déjà réellement produits, ou pourraient le faire. C’est une réalité, que l’on pourrait aborder de manière moins sombre, mais les adolescents ont un rapport au morbide un peu particulier… » Et le sentiment d’angoisse de se propager, insidieusement – on pense au Village des damnés, le classique tourné par Wolf Rilla en 1960 -, renforcé encore par le regard que porte sur les événements Pierre Hoffman, individu aussi opaque qu’obsessionnel se débattant, seul, face à une mécanique semblant toujours devoir se dérober. Soit un moteur narratif efficace s’il en fut…

Chassez le surnaturel…

Après ses rôles récents dans Elle, K.O. ou Paul Sanchez est revenu!, de Patricia Mazuy, l’acteur y confirme son inclination présente à incarner des personnages plus « borderline » que ceux l’ayant fait connaître. « L’envie a toujours été là, mais je ne suis qu’un interprète, et donc dépendant de ce qu’on m’envoie. On ne peut pas parler d’orientation de carrière, c’est ce qui me paraît intéressant à explorer par rapport à ce que je reçois. Ce sont des films plus sombres que d’habitude, c’est sûr, mais aussi des personnages très différents. Je ne me suis pas dit que j’aimerais aborder des rôles plus sombres, je lis un scénario, et si l’histoire et le travail du réalisateur me plaisent et que je n’ai pas encore fait un rôle comme celui-là, voilà. Ce n’est pas comme si j’avais des cases à cocher, c’est l’envie du moment, je n’anticipe pas. Et j’essaie toujours, même dans la comédie, de ne pas avoir de distance avec les personnages et de ne pas jouer l’idée que je me fais d’eux, j’essaie d’être très premier degré dans le jeu. »

Méthode lui ayant incontestablement réussi, mais qui n’exclut pas la prise de tête momentanée – ainsi, tout récemment, quand il lui a fallu incarner Louis XVI pour Un peuple et son roi, de Pierre Schoeller. « Je me suis dit que ce n’était pas un rôle pour moi: je n’ai pas le nez bourbon, je ne pense pas être particulièrement aristocratique, je ne lui ressemble pas du tout, je n’ai pas compris. Mais en même temps, j’aime tellement de travail de Pierre Schoeller, que j’ai estimé qu’il savait ce qu’il faisait: « Mets-toi au service de celui qui sait, et vas-y. » Et au bout d’un moment, j’ai arrêté de me poser des questions.  » Pour un résultat, là encore, on ne peut plus concluant, déjouant les pièges de la reconstitution historique pour s’ériger en oeuvre politique dialoguant avec le monde d’aujourd’hui.

Son actualité, c’est aussi L’Origine du monde, son premier long métrage en qualité de réalisateur, attendu en novembre, un projet qu’il caressait déjà du bout des lèvres en septembre dernier, quand il présentait L’Heure de la sortie à la Mostra de Venise. « Réaliser, j’y pense de plus en plus, nous confiait-il alors. Il y a quelque chose d’assez frustrant dans le métier de comédien, parce qu’on est un élément du processus de création, et qu’à un moment, on est dépossédé de notre travail. Moi, en tant qu’artiste et en tant qu’auteur, j’ai envie de raconter une histoire dans sa globalité. Et puis, le cinéma, c’est ma passion, ma vie, tous les aspects m’intéressent. Je voudrais explorer tous les possibles dans la manière de raconter des histoires aux gens. » Ne restait qu’à franchir le pas, avec un film dont le pitch vient acter, si besoin en était, ses affinités fantastiques, à savoir l’histoire d’un homme réalisant que son coeur s’est arrêté, mais restant conscient et continuant à parler et à se déplacer. Chassez le (sur)naturel…

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content