Gil Blondel

Kinogringo #2: « le hot-dog au guacamole »

Gil Blondel alias Un Faux Graphiste

Connu pour ses détournements sous le pseudo d’Un Faux Graphiste, Gil Blondel est parti pour un an en Amérique latine. Il a décidé d’y squatter les salles obscures et de nous ramener des instantanés de culture locale, à travers ces films improbables dont on n’entend jamais parler en Europe. Deuxième étape chilienne, avec le film d’horreur Wekufe.

Après le désastreux épisode American Huaso, on était allé noyer notre tristesse dans quelques spécialités chiliennes, autant liquides que solides. L’horrible « Hoyts » ne projetait plus que des films américains, et je sentais que mon expérience cinématographique de Santiago allait se réduire à l’image de Joe cachant son sexe avec un poulet en caoutchouc. En sortant du restaurant, ma copine tentait de me consoler: « Allez, on n’est pas venu au Chili pour ton petit stage au Vif, oublie un peu le cinéma et pense qu’on sera bientôt en pleine brousse, sur l’île Chiloé! » J’étais en train de rêvasser aux cabanes colorées de cette île perdue au sud du pays quand j’aperçus une bande de gothiques chiliens (singulier cocktail) attroupés devant une sorte de centre culturel. Quand j’ai questionné le moins effrayant de ces gentlemans, il sembla hésiter un instant puis nous tira au sous-sol où la projection d’un film commençait. Par le plus grand des hasards (promis, je suis trop feignant pour programmer quoi que ce soit), nous étions tombé sur la dernière projection du Santiago Horror Film Festival: Wekufe, réalisé et scénarisé par Javier Attridge.

L’histoire

Paula, une étudiante en journalisme et Matías, son petit rigolo de copain, réalisent un reportage s’intéressant aux liens entre un personnage folklorique et le taux important d’agressions sexuelles sur l’île de… Chiloé. Le Trauco, sorte de gobelin maléfique à la petite taille et au grand appétit sexuel, est-il réellement responsable? Ou sert-il à dissimuler les pratiques sordides d’un groupe de notables? En s’enfonçant peu à peu dans les forêts chilotes, les deux jeunes gens n’imaginent pas quel sinistre piège va se refermer sur eux.

Ce que le gringo en a pensé

Tout d’abord, rendons hommage à la gringa. C’était une belle soirée, l’air de Santiago était doux et voilà que son gringo la traîne dans un sous-sol, pour voir un film d’horreur (genre qu’elle ne porte pas dans son coeur) sur des agressions sexuelles (pratique qu’elle ne porte pas dans son coeur) ayant lieu pile-poil sur l’île où elle prévoyait de paisibles vacances au grand air.

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Ceci étant dit, Wekufe est assez réussi. Il découle d’une longue tradition de films d’horreur en « found footage ». Des images soi-disant retrouvées, soi-disant documentaires, dont le réalisme est censé favoriser l’aspect terrifiant. Bon, clairement, Wekufe n’est pas révolutionnaire, mais il ne semble pas avoir cette prétention. On est davantage face à un pastiche de The Blair Witch Project, les protagonistes suivant une trame narrative fort similaire avec beaucoup d’autodérision, dénonçant régulièrement les ficelles du genre. Je sais qu’un bon faux-documentaire n’est pas facile à réaliser, mon mémoire de fin d’étude s’intéressant à son pendant comique (plus particulièrement au génial Best in Show de Christopher Guest). Attridge a bien compris que l’improvisation était primordiale pour reconstituer le caractère spontané d’un documentaire. Les échanges entre Paula et Matías ne semblent pas vraiment avoir été écrits et on croit facilement à ce couple sympathique qui enquête tout en échangeant des blagues grivoises. Beaucoup de gens interviewés ne sont d’ailleurs pas des acteurs, mais de véritables habitants de l’île se confiant sur leurs mythes et leurs traditions. Cette habile manière d’intégrer le documentaire à la fiction permet d’accroître l’adhésion du spectateur, ce que Roger Odin, inventeur de l’approche sémio-pragmatique, nomme la mise en phase (cf. De la fiction, Bruxelles: De Boeck, 2000). C’est fou comme j’écris bien quand je suis sérieux… J’aurais dû postuler pour devenir assistant à l’université au lieu de prendre ma vie pour une chanson de Manu Chao.

Kinogringo #2:

Une autre des qualités du film est son ancrage dans la réalité chilienne. Alors qu’American Huaso (on y revient) nous présente la campagne comme une version légèrement latine du Texas, Wekufe brasse de nombreuses références, aisément identifiables par un Chilien. C’est évidemment mon humble avis d’étranger, mais j’ai constaté que la salle riait beaucoup quand on mentionnait certaines habitudes alimentaires ou certains personnages du paysage national. Au début du film par exemple, Matías se moque gratuitement d’un mochilero (comprenez un pouilleux à sac à dos) qui fait du stop au bord de la route. Les Chiliens ont beaucoup ri, les deux gringos-mochileros moins mais c’était de bonne guerre. Au-delà de cette petite pique, le film aborde diverses thématiques nationales comme la place donnée au peuple mapuche et l’hybridité du folklore local, issu des cultures espagnoles et précolombiennes. Bref, on rigole, on apprend des trucs et on a peur de se faire déflorer par un petit gnome en pagne, que demande le peuple?

Dans les rues de Santiago, on vend un hot-dog agrémenté de tomates et de guacamole. Cela ne révolutionne pas ce sandwich classique, mais c’est bon et ça donne l’impression de manger local. Wekufe m’a fait penser à ce hot-dog: une adaptation locale pleine de saveurs.

Alors, le Trauco, mythe ou réalité? Créature maléfique en chair et en os ou poupée folklorique brandie pour masquer une vérité plus sordide? Je vous promets de mener l’enquête quand nous serons à Chiloé. Toujours est-il que ce n’est pas un petit gobelin obsédé et son chapeau de paille qui vont effrayer un Belge biberonné aux histoires du Grand Méchant Dutroux. Mais qui sait, peut-être que ce pauvre Marc n’était lui-même que le bouc émissaire d’une machination politique pour étouffer les partouzes satanistes des Gilles de Binche…

Un Faux Livre, d’Un Faux Graphiste, aux éditions Delcourt. Tome 2 à paraître.

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