Gil Blondel

Kinogringo #1: « Le pire n’est pas toujours certain »

Gil Blondel alias Un Faux Graphiste

Connu pour ses détournements sous le pseudo d’Un Faux Graphiste, Gil Blondel est parti pour un an en Amérique latine. Il a décidé d’y squatter les salles obscures et de nous ramener des instantanés de culture locale, à travers ces films improbables dont on n’entend jamais parler en Europe. Première étape: le Chili, avec American Huaso.

Après un parcours universitaire chaotique (associant des disciplines aussi variées que la littérature latino-américaine et le cinéma d’Europe de l’Est) et sans réelle perspective d’emploi (faut dire que je l’ai cherché), je pars dix mois avec ma copine en Amérique du Sud. L’occasion de découvrir une cinématographie inconnue, exotique et, je l’espère, de qualité. Sans être un cinéphile rigoureux, je tenterai de manifester envers le septième art latino la même curiosité que j’ai pour les empanadas et le raggaton.

On a atterri à Santiago au début du printemps chilien. On y restera sept jours, avant Valparaiso et la Patagonie. Tentant d’éviter le cinéma d’art et d’essai, que j’imagine aussi barbant à l’étranger qu’à domicile, on s’est retrouvé au « Hoyts », grand complexe australien entouré d’un Starbucks et d’un H&M. Bon, c’est vrai que pour ma première chronique, j’imaginais quelque chose de plus dépaysant, de plus typique. Mais entre Venom et El Depredador, on est tombé sur l’affiche colorée d’American Huaso. Malgré son titre trompeur, voilà un film 100% chilien réalisé par José Palma Eskenazi et Diego García-Huidobro Jigins.

L’histoire

Joe, un paysan des plaines chiliennes, est amoureux de sa cousine, la belle Maria. Quand elle revient de Santiago, elle accepte de coucher avec lui, non sans lui préparer un poulet rôti au petit matin. On n’en fait plus des cousines comme ça. Pourtant, quelques jours après, elle surprend des ébats amoureux provenant de la caravane de Joe, une simple cassette pornographique créant un malentendu. La cousine humiliée se jette alors dans les bras de Salam Yassuff II, riche ranchero arabe de la région. Fou de douleur, Joe s’introduit dans le ranch de son rival, vole son plus bel étalon et se met une cuite. Il débute ainsi une quête initiatique sur les traces de son père, ancien champion de rodéo aux États-Unis.

Ce que le gringo en a pensé

À n’en pas douter, American Huaso est un énorme navet. Le scénario semble avoir été improvisé au jour le jour, tout comme les scènes dans lesquelles de mauvais acteurs incarnent des personnages schématiques et caricaturaux. Joe le paysan est évidemment un ivrogne incestueux, les femmes des bombasses sans cervelle, et les travestis (curieusement assez nombreux) des clowns grotesques sur lesquels on s’amuse à tirer. On pourrait mettre tout ça sur le compte de la comédie, une bonne blague faisant souvent passer les pires excès scénaristiques, mais le problème est bien là: il y a très peu de blagues. Pendant la plupart des séquences, on oscille entre le premier et le second degré, comme si les acteurs et les réalisateurs eux-mêmes ne savaient plus s’ils contribuaient à une comédie potache ou à un thriller palpitant. Le site Cine Hoyts participe à la confusion, présentant le film comme une comédie romantique paysanne. On aura pourtant du mal à faire passer José Palma (réalisateur du film et interprète de Joe) pour le Hugh Grant chilien, bien qu’il soit l’unique moteur des rares gags tels que: Joe cuvant aux toilettes, Joe se déguisant en danseuse du ventre, Joe cachant son sexe avec un poulet en plastique, Joe faisant tenir son chapeau sur son érection, Joe tombant amoureux du popotin de sa cousine (la plupart de ces grands moments de comédie sont à retrouver dans la bande-annonce).

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Le style maintenant. Les réalisateurs utilisent de nombreux effets de déformations et de collages psychédéliques, notre héros passant les trois quarts du film sous substance. Une sorte de Las Vegas Parano monté avec une contrefaçon indonésienne d’iMovie, basculant parfois vers la comédie musicale sans qu’on comprenne réellement pourquoi. Joe pousse la chansonnette à deux reprises, peut-être pour réveiller le spectateur qui, derrière nous, s’était assoupi. Un film mauvais et curieux donc, le deuxième adjectif n’amoindrissant en aucun cas le premier.

Notez que ma critique n’aurait peut-être pas été si sévère si cette bouse n’avait pas été financée par le gouvernement chilien. Cela me coupe le sifflet. J’ai du mal à imaginer le contenu du dossier qui a été déposé pour obtenir les subsides. Ce résumé du réalisateur dans une interview donnée à El Mercurio (charmant journal qui a soutenu un certain Pinochet quand il était au top, hum, passons) en donne un bon aperçu: Un regard sur le monde des paysans avec une optique cool, pop (…). Je suis sûr que les paysans chiliens seront touchés par cette noble réhabilitation, qui place Borat au rang du plus grand hommage jamais rendu au peuple kazakh. Autre curiosité: en cherchant des infos supplémentaires sur le film (pour voir si une subtilité ne m’avait pas échappé), j’ai remarqué que les journalistes et le réalisateur omettaient systématiquement de signaler que Maria était la cousine de Joe. Comme si personne n’assumait vraiment le principal ressort comique du film…

Quand les lumières se sont rallumées et que le seul spectateur derrière nous a arrêté de ronfler, une question s’imposait: devions-nous rentrer fissa en Belgique, pour voir si, en comparaison, le Alad’2 de Kev Adams se valait ou continuer notre route vers des plaines chiliennes et leurs ivrognes incestueux? Je terminerai par cette citation de Pedro Calderón de la Barca, le pire n’est pas toujours certain.

Un Faux Livre, d’Un Faux Graphiste, aux éditions Delcourt. Tome 2 à paraître.

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