Jean-Pierre Jeunet: « Aujourd’hui, Amélie Poulain, ce ne serait plus possible »

Jean-Pierre Jeunet a trouvé en Audrey Tautou son Amélie: "ça s'est fait en dix secondes". © BELGAIMAGE
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Pour ses 20 ans, Le fabuleux destin d’Amélie Poulain s’offre un retour en salles. L’occasion d’un flash-back en compagnie de son réalisateur, Jean-Pierre Jeunet. Rencontre, à Cannes.

Ironie de l’histoire, Amélie Poulain (lire la critique) a fêté ses 20 ans au festival de Cannes, là-même où sa non-sélection en 2001 avait suscité la controverse, certains étant prompts à intenter un procès en élitisme à la manifestation et à celui qui était alors son président, Gilles Jacob. Deux décennies plus tard, et alors que le film, dûment restauré pour le coup, s’apprête à opérer son retour en salles, l’épisode prête plutôt à sourire. Une péripétie parmi d’autres, serait-on tenté d’écrire: difficile, par exemple, d’imaginer que ce succès phénoménal (32 millions d’entrées dans le monde) rencontra les pires difficultés à trouver un financement. « Ça oui, sourit Jean-Pierre Jeunet, venu accompagner Amélie sur la Croisette. Delicatessen, pareil, et BigBug, que je suis en train de finir, aussi: à chaque fois qu’on sort des sentiers battus, c’est compliqué. À l’époque de Delicatessen, je pouvais le comprendre, c’était le premier. Mais maintenant, cela m’énerve: j’en ai fait huit et on ne peut toujours pas me faire confiance? Pour Amélie, j’étais chez Pathé, et ils m’ont viré parce que c’était trop cher, on n’y arrivait pas. J’entends encore un producteur chez Claude Berri me dire: « Jean-Pierre, faites-le en bricolant avec des copains, sinon vous ne le ferez jamais« . C’est merveilleux, quand même. Pour BigBug, on a mis trois ans à trouver l’argent. Brigitte Maccioni, d’UGC, qui avait sauvé Amélie a aussi voulu le sauver, mais elle n’y est pas arrivée. Et c’est Netflix qui, en 24 heures, m’a dit oui. Et donc, je l’ai tourné avec de bons moyens et une liberté totale pour Netflix. »

Heureux accident

L’expérience aidant, Jeunet a appris à envisager les écueils pavant sa route de cinéaste avec philosophie: « Tout film a ses catastrophes, observe-t-il, avant de citer Pierre Granier-Deferre, le réalisateur de La Veuve Couderc: « On attend avec impatience la catastrophe, comme ça elle est passée, et elle est derrière« . Après, certains films ont une catastrophe tous les jours, comme The Young and Prodigious T.S. Spivet. Dans le cas d’Amélie, la défection d’Emily Watson a été un coup dur. » Jean-Pierre Jeunet a flashé sur la candeur et la détermination de l’actrice britannique dans Breaking the Waves de Lars von Trier. Mais alors que le projet se monte autour d’elle -Amélie s’appelait d’ailleurs Emily à l’origine-, la comédienne se retire au dernier moment. Ce qui sera, à l’autopsie, plutôt un « heureux accident ». « J’ai pensé ne pas m’en relever, mais ce n’est pas vrai: personne n’est irremplaçable. J’ai proposé le rôle à Vanessa Paradis qui n’était pas libre, j’ai vu Emma De Caunes, je peux le dire aujourd’hui, et Audrey Tautou en deuxième. On voit les essais dans le bonus du DVD: Audrey, je me suis demandé de quelle planète elle débarquait, cela s’est fait en dix secondes et UGC a suivi. Ce qui ne serait plus le cas aujourd’hui, où il faudrait Léa Seydoux ou Marion Cotillard, une star, alors qu’à l’époque, Audrey n’était pas connue, elle avait juste un petit rôle dans Venus Beauté (Institut). Aujourd’hui, Amélie, ce ne serait plus possible. »

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L’histoire d’Amélie Poulain, cette jeune fille naïve de Montmartre s’employant à faire le bonheur des autres, le réalisateur raconte qu’il la portait depuis longtemps déjà: « Amélie, c’était 25 ans de notes, d’envies de formes et d’anecdotes. J’en avais plein mon ordinateur, et il fallait trouver comment les relier. ça a pris du temps, et puis, à un moment, je suis parti tourner un film à Hollywood (Alien: Resurrection), je suis revenu et m’y suis remis. Dans mes notes, il y avait l’histoire d’une fille qui aime les autres gratuitement, sans rien demander en échange, et un matin, c’était une révélation, je me suis dit: mais ce détail, bien sûr que c’est ça le sujet. Et tout s’est mis en place, comme une pyramide qui s’écroule, mais filmée à l’envers. » Qu’est-ce qui fait qu’un film, aussi ingénieux et esthétiquement soigné soit-il, ne soit pas seulement un succès, mais un phénomène de société? « Il y a un moment où les choses m’échappent, savoure Jeunet. Les étoiles s’alignent: il y a une idée forte, cette fille qui commet l’acte de générosité sans rien demander en échange, puis les autres idées autour, la main dans le sac de grains et les petits plaisirs de la vie qui touchent tout le monde. Et ensuite, le fait qu’on a envie de voir à un moment un Paris transfiguré, la musique de Yann Tiersen, la découverte d’Audrey. Tout s’aligne, à une période où les gens ont envie de voir ça. Peut-être que deux mois plus tôt ou plus tard, cela n’aurait pas marché. On ne sait pas, c’est comme ça, Michel Hazanavicius a connu cela avec The Artist. »

Vingt ans après, et alors qu’elle a engendré une descendance nombreuse, de la pub au cinéma -« c’est plutôt flatteur, mais j’aime bien quand les gens le reconnaissent« , observe le réalisateur-, Amélie s’apprête donc à retrouver les écrans. « Je me demande… On est quand même dans une époque où on cherche à tout prix la polémique, la controverse, le scandale. Le cynisme est bien présent, je ne sais pas ce qui se passerait si le film sortait pour la première fois aujourd’hui, soupèse Jean-Pierre Jeunet. Mais je sais que c’est comme un monument. On va toujours voir la tour Eiffel, donc il y a des gens qui vont retourner le voir, ça continue… » Après tout, 20 ans est l’âge de tous les possibles et même, pourquoi pas, de réenchanter le monde…

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