En images: le nouveau cinéma français au féminin pluriel
Dans ce cadre, retrouvez notre rencontre avec Katell Quillévéré, la réalisatrice de Réparer les vivants, ainsi que la critique du film.
Révélée en 2010 par le brûlant Belle Épine, concentré d’adolescence qui valait à Léa Seydoux le César du meilleur espoir féminin, Rebecca Zlotowski confirmait de la plus belle des manières trois ans plus tard avec Grand Central. Une centrale nucléaire y servait d’arrière-plan à la passion se nouant entre un jeune « saisonnier » et la femme de l’un des ouvriers (le couple Tahar Rahim – Léa Seydoux, incandescent), la cinéaste filant la métaphore radioactive dans un drame pudique et puissant mêlant habilement dimensions sociale et romanesque. Découvert à la Mostra de Venise, Planétarium, son troisième long métrage et le premier en anglais, réunit Natalie Portman et Lily-Rose Depp qui incarnent, dans le Paris de la fin des années 30, les soeurs Barlow, deux médiums américaines se trouvant embarquées dans un mirage de cinéma occultant la perspective de la Seconde Guerre mondiale. Un film à la résonance contemporaine, et une manière, pour la cinéaste, de sensiblement élargir sa palette…
Emmanuelle Bercot avait déjà une quinzaine d’années de présence dans le métier -elle jouait dans La Classe de neige, de Claude Miller, en 1998- et deux longs métrages à son actif (Clément et Backstage), lorsqu’elle cosigna, en 2011, le scénario de Polisse, de Maïwenn, en plus d’y incarner une des policières de la Brigade de protection des mineurs. De quoi donner un solide coup d’accélérateur à une carrière qui s’est déclinée depuis avec bonheur devant et derrière la caméra, qu’elle donne la réplique à Vincent Cassel dans le Mon roi de cette même Maïwenn, un prix d’interprétation cannois à la clé. Ou qu’elle envoie Catherine Deneuve dans une échappée belle sur les routes de France pour Elle s’en va, avant d’en faire une juge de la jeunesse à l’écoute dans La Tête haute. Attendu début 2017, La Fille de Brest retrace l’histoire d’Irène Frachon, la pneumologue par qui éclata le scandale du Mediator, un rôle qu’elle a confié à l’excellente Sidse Babett Knudsen, vue notamment dans L’Hermine de Christian Vincent.
Trois longs métrages à l’audace inversement proportionnelle à leur diffusion, relativement confidentielle, soit Demi-tarif, Charly et Bas-fonds, sélectionné à Locarno en 2010, ont imposé Isild Le Besco comme l’une des voix les plus singulières du cinéma français. Avant de passer derrière la caméra, la réalisatrice s’était composé un appréciable profil d’actrice, s’avérant indissociable du parcours d’Emmanuelle Bercot (dont elle était des premiers courts métrages comme de Backstage), en plus d’être la muse de Benoît Jacquot, infusant sa passion de Sade à A tout de suite, de L’Intouchable à Au fond des bois, parmi d’autres. Et d’exposer encore sa présence lunaire aux variations les plus diverses, elle que l’on vit aussi chez Cédric Kahn (Roberto Succo), le cinéaste islandais Dagur Kari pour The Good Heart, François Ozon dans Une nouvelle amie, et chez sa soeur Maïwenn, pour Mon roi, où elle composait un couple mémorable en compagnie de Louis Garrel, dernier coup d’éclat en date…
Comédienne chez Eugène Green (Le Pont des arts), Louis Skorecki (Les Cinéphiles) ou Serge Bozon (Mods, dont elle cosignait le scénario comme, ensuite, ceux de La France, Tip Top et Madame Hyde, annoncé prochainement sur les écrans), Axelle Ropert réalisait en 2009 La famille Wolberg, épatant premier long métrage où François Damiens troquait ses habits d’amuseur public pour se dévoiler sous un jour vulnérable dans la peau d’un maire de petite ville obsédé par la famille. Un essai décalé transformé quatre ans plus tard avec Tirez la langue, mademoiselle, un film réinventant le triangle amoureux en mode insolite autour de Louise Bourgoin. Annoncé aux alentours de Noël, La Prunelle de mes yeux rejoue pour sa part une mélodie de cinéma a priori bien connue autour d’une fille et un garçon. Ropert y met son grain de sel, puisque ces deux-là se détestent, qu’elle est aveugle et qu’il voit parfaitement, jusqu’au jour où il décide de se faire passer pour aveugle auprès d’elle, avec des conséquences inattendues. On demande… à voir.
S’il est un formidable levier assorti d’une caisse de résonance sans équivalent dans le monde du cinéma, le festival de Cannes peut aussi se révéler tribunal particulièrement cruel. Valérie Donzelli en a fait l’amère expérience, elle qui, après y avoir été portée aux nues en 2011 pour son formidable La guerre est déclarée, où un couple confronté à la maladie de son enfant rejouait la fureur de vivre, s’y est fait éreinter quatre ans plus tard avec Marguerite & Julien, adaptation maladroite il est vrai d’un scénario écrit à l’origine par Jean Gruault pour François Truffaut. L’actrice-scénariste-réalisatrice n’en reste pas moins l’un des talents les plus originaux apparus dans le paysage cinématographique français ces dernières années, osant dès La Reine des pommes, son premier long métrage, une stimulante liberté de ton, et défrichant avec un même bonheur le terrain de la comédie loufoque le temps d’un Main dans la main élevant le décalage chorégraphié au rang d’art, tout en instruisant un rapport généreux au monde.
L’hystérie auto-fictionnelle de Maïwenn ne s’accommode pas de demi-mesures: on aime, ou on déteste, c’est selon. Difficile de nier, pour autant, que la cinéaste a imprimé sa marque sur la production hexagonale, elle dont les films, à défaut de toujours convaincre -euphémisme-, ont régulièrement déchaîné les passions. Si Maïwenn conjugue le cinéma à la première personne, des secrets de famille de Pardonnez-moi aux confidences sur le métier de comédienne (qu’elle pratique depuis l’enfance) dans le Bal des actrices, et jusqu’à sa relation avec Joey Starr relayée par Polisse, son oeuvre parle aussi d’autre chose, qu’elle investisse dans l’urgence le quotidien d’une Brigade de la protection des mineurs (Polisse, encore), ou qu’elle s’immisce au coeur d’une passion amoureuse toxique le temps de Mon roi, le premier de ses films où elle s’effaçait de l’écran. Une disposition bienvenue, pour tout dire, l’actrice/réalisatrice faisant là l’économie d’un narcissisme devenu épuisant, à force…
Un film, La Bataille de Solférino, a suffi à faire de Justine Triet l’une des figures de proue de la nouvelle nouvelle vague française, celle des Guillaume Brac, Sébastien Betbeder et autre Antonin Peretjatko, un courant s’étant trouvé dans l’inénarrable Vincent Macaigne mieux qu’un visage, une façon d’être. L’acteur y était proprement irrésistible sous les traits d’un père irascible débarqué, à contre-temps comme de juste, chez son ex (Laetitia Dosch), journaliste partie rue de Solférino couvrir le triomphe de François Hollande à la Présidentielle. Et l’affaire de partir en vrille, méticuleusement, en un crescendo aussi grinçant qu’hilarant. Principe comique à nouveau à l’oeuvre dans Victoria, deuxième long faisant de Virginie Efira, impeccable, une avocate sentant sa vie lui échapper et enchaînant les décisions catastrophiques avec un jusqu’au-boutisme forçant le respect. Une mécanique irrésistible dont le ressort absurde culminera lors d’un procès insensé, climax d’une comédie ayant du chien…
Cinéaste appréciée et scénariste recherchée, siégeant par ailleurs à la tête de la Société des Réalisateurs de films où elle milite pour le cinéma indépendant, Céline Sciamma est désormais incontournable dans le paysage cinématographique français. Entamé en 2007 avec Naissance des pieuvres, le film qui révélait Adèle Haenel, son parcours a imposé le tranchant de son regard sur l’enfance et l’adolescence d’aujourd’hui, au coeur respectivement de Tomboy et de Bande de filles. Si bien que c’est tout naturellement qu’André Téchiné a fait appel à elle pour l’épauler sur Quand on a 17 ans, et Claude Barras pour remodeler Ma vie de Courgette, l’un des grands films de 2016, deux scripts dont elle s’est acquittée avec un égal bonheur. En attendant, espérons-le, son retour derrière la caméra qu’elle annonce à l’horizon 2018, pour un film encore en friche mais dont elle laisse entendre qu’elle le ferait avec des comédiens professionnels adultes, et « possiblement pas si contemporain que ça… » Rendez-vous est pris.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici