Dirty God: le temps de la reconstruction

"Beaucoup de spectateurs, de critiques aussi, éprouvent des difficultés à voir toutes les facettes des personnages féminins au cinéma, cherchant toujours un côté aimable, angélique."
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

La jeune réalisatrice hollandaise de Dirty God, Sacha Polak, exalte l’espoir invincible sous les blessures de la vie.

On parle beaucoup d’elle sur la scène du cinéma d’auteur européen. On dit qu’elle a la cote auprès des producteurs comme des institutions. On évoque surtout et heureusement le grand talent de cette jeune cinéaste hollandaise, dont le remarquable autant qu’inconfortable Dirty God vient confirmer les promesses de Hemel (2012, à l’érotisme bouillant, défiant les tabous) et de Zürich (2015, portrait en mouvement d’une femme prisonnière d’un passé douloureux). Sacha Polak a eu l’idée de son nouveau film voici plusieurs années déjà, en croisant à un festival musical « une jeune femme au visage couvert de cicatrices, probablement liées au feu« . « J’ai détourné le regard, et me suis aperçue que tous avaient la même réaction, se souvient la réalisatrice, cette fille ne pouvait pas cacher son état, ni prendre de vacances de cet état, mais elle avait décidé de sortir, d’être vue, sachant qu’on la dévisagerait avant de regarder ailleurs… » Hantée par cette vision et cette réflexion, Polak gardait en elle l’idée d’en faire un film. Et quand un projet de film en costumes qu’elle pouvait tourner à Londres finit par ne plus l’intéresser, elle décida que l’heure était venue! Avant même qu’un script soit terminé, elle se lança dans un casting de rue. « Pour moi, le film ne pouvait qu’être joué par une interprète qui soit elle-même dans le cas du personnage. C’est ainsi que Vicky Knight, grande brûlée, apparut très vite comme une évidence. Mais il allait me falloir un an pour vaincre ses réticences. Elle sortait d’une expérience très humiliante avec l’émission de dating Too Ugly for Love (« Trop affreux pour l’amour« , en traduction française, diffusée en 2016 sur la chaîne TLC, NDLR) pour laquelle on l’avait filmée en lui cachant le titre sous lequel cela serait diffusé! Une campagne de haine sur Internet l’avait prise pour cible à la suite de l’émission. Bref, elle ne voulait plus jamais se sentir utilisée…  » Entre-temps, les nouvelles de la vague d’agressions à l’acide subie par des femmes à Londres avaient soufflé à la réalisatrice l’élément dramatique nécessaire au déclenchement du récit. Dirty God put dès lors prendre forme, le scénario être bouclé, le tournage débuter dans une liberté que Sacha Polak aime donner au travail en équipe. « Les acteurs avaient par exemple beaucoup de marge pour leurs dialogues, certains ont énormément apporté par exemple sur le plan de l’argot populaire que je connaissais très mal« , commente celle qui est née dans une famille de documentaristes.

« Mais qui veut voir ça?! »

L’histoire prend place dans un milieu pauvre et laborieux, « car quand on a de l’argent on peut s’offrir la meilleure chirurgie esthétique, et que globalement la vie n’est pas la même quand on a de l’argent ou qu’on en manque« . La réalisatrice a demandé à ses collaborateurs artistiques (dont le directeur de la photographie belge Ruben Impens, complice attitré de Felix Van Groeningen) de faire mentir le cliché grisaille et cafardeux des nombreuses représentations d’immeubles sociaux dans le cinéma britannique. « Le bloc que nous avons choisi avait de la couleur, du rouge et du bleu, il ne sue pas la dépression et exprime bien le dynamisme de Jade et de ses copines, à travers les yeux desquelles je voulais faire voir le monde au spectateur. La musique aussi était importante, car je voulais évoquer organiquement la culture jeune d’aujourd’hui, en faire la bande sonore de la reconstruction de Jade. »

Sacha Polak aime volontiers bousculer le public, le tester. « Je ne cherche pas à torturer les spectateurs, s’exclame-t-elle en riant, et Dirty God est sans aucun doute le plus accessible de mes films. Le sujet est certes rude, quand je parlais du projet j’ai eu des réactions du genre  » Mais qui veut voir ça?! ». Alors oui, les spectateurs peuvent ressentir un certain inconfort, mais il y a de l’humour dans le film, et il inspire, je crois, des sentiments positifs. Car Jade est une battante! » La réalisatrice néerlandaise estime qu' »aujourd’hui encore beaucoup de spectateurs, de critiques aussi, éprouvent des difficultés à voir toutes les facettes des personnages féminins au cinéma, cherchant toujours un côté aimable, angélique, alors qu’il y en a tant de différents! Pourquoi chercher à idéaliser ce qui n’est après tout qu’humain? Parmi les gens qui m’entourent, il n’y a pas de saint (rire)! »

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