Critique

[critique ciné] Le Genou d’Ahed: du cinéma comme un corps-à-corps

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Nadav Lapid brocarde avec virulence la faillite morale et politique d’Israël dans un film érigeant l’inconfort en principe narratif et esthétique.

D’inspiration autobiographique, le quatrième long métrage de Nadav Lapid, Ours d’or à Berlin en 2019 pour Synonymes, a pour personnage central Y (Avshalom Pollak), cinéaste israélien engagé et alter ego évident de l’auteur. Y, on le découvre alors qu’il est accaparé par le casting d’un film sur Ahed Tamimi, cette adolescente palestinienne de seize ans vivant avec sa famille dans un village de Cisjordanie occupée qui, ayant giflé un soldat israélien qui voulait entrer dans sa maison, avait été condamnée en décembre 2017 à huit mois de prison. Et de devenir un symbole de la cause palestinienne, tandis qu’un député de la Knesset, Bezalel Smotrich, allait jusqu’à suggérer qu’il aurait fallu lui tirer une balle dans le genou au moins, histoire de l’assigner à résidence à vie -faits que Lapid ne se fait faute de rappeler, dans un montage ultra-nerveux.

Les essais sont en cours lorsque Y doit s’absenter quelques jours pour répondre à un engagement antérieur, et se rendre à Sapir, dans le désert de l’Arava, où il a accepté de présenter un de ses films. Aussitôt arrivé, il est pris en charge par Yahalom (Nur Fibak), l’organisatrice de l’événement, admiratrice de son travail. Et par ailleurs fonctionnaire du ministère de la Culture, qui lui indique qu’il va devoir remplir un formulaire précisant les sujets qu’il a l’intention d’aborder lors de son intervention, histoire de s’assurer qu’il s’en tiendra aux thèmes autorisés. Une atteinte à la liberté pas même voilée, à laquelle il va répondre en se lançant dans un argumentaire véhément alors qu’ils arpentent le désert, en un déchaînement de rage aussi soudain qu’inarrêtable.

[critique ciné] Le Genou d'Ahed: du cinéma comme un corps-à-corps

Un film en ruptures

Au sujet d’Israël, Nadav Lapid écrit notamment dans sa note d’intention: « La démocratie qui existait encore ici se rétrécit de plus en plus. On vit la fin d’une certaine santé mentale israélienne, vraie ou fausse, dans laquelle j’ai grandi. C’est bien la fin d’Israël tel que je l’ai connu. » Face à cet état de fait, Le Genou d’Ahed –ainsi titré en référence à Ahed Tamimi, mais encore au… Genou de Claire, de Rohmer- apparaît comme un cri de colère, Lapid brocardant avec virulence la faillite morale et politique d’un pays avec lequel il nourrit toutefois une relation ambivalente. Et d’exorciser ses traumatismes et son rapport torturé à Israël dans un film érigeant l’inconfort en principe narratif et esthétique. Ou du cinéma comme un corps-à-corps: entre ses deux protagonistes dont il filme la joute verbale comme une rencontre amoureuse; avec son pays, dont il traduit l’impasse présente; avec le spectateur enfin, qu’il ne cherche nullement à ménager, pas plus que lui-même d’ailleurs. Soit un film en ruptures, de style, de ton et d’axe, et une expérience viscérale dont l’on ressort secoué et hagard. Prix du jury à Cannes.

Le Genou d’Ahed. De Nadav Lapid. Avec Avshalom Pollak, Nur Fibak, Lidor Edri. 1 h 49. Sortie: 22/09. ***(*)

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