Critique

[critique ciné] In a Silent Way, un fascinant documentaire sur Talk Talk sans Talk Talk

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Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Comment proposer un documentaire sur Talk Talk sans pouvoir s’entretenir avec ses principaux protagonistes et en utiliser les chansons? Gwenaël Breës a trouvé dans ces restrictions la force et la forme d’un fascinant documentaire.

Article initialement paru dans le Focus du 05/08/21 à l’occasion de la diffusion du documentaire sur La Trois.

« En aucun cas, notre client n’acceptera de coopérer ou d’être associé à ce produit. » La lettre a été envoyée par un avocat. Le client en question interdit aussi d’utiliser sa musique. Gwenaël Breës veut réaliser un documentaire sur Talk Talk. Mais Mark Hollis, via l’homme de loi qui lui sert de représentant, lui demande d’abandonner l’idée. Beaucoup se seraient arrêtés là. Comment proposer un documentaire intéressant d’une heure et demie sur un groupe sans pouvoir s’entretenir avec ses principaux protagonistes et en utiliser les chansons? Tant se cassent déjà les dents en ayant tout le matériel qu’ils désirent à leur disposition…

Gwenaël Breës a pourtant puisé dans ces restrictions une certaine forme de motivation. Il y a vu une invitation à la créativité, à l’emprunt d’autres chemins. Et y a trouvé la force et la forme d’un fascinant documentaire. Le réalisateur belge a commencé par embaucher cinq musiciens plus ou moins expérimentaux (dont le guitariste Clément Nourry) pour composer la musique d’un film qui n’existait pas encore. Il est ensuite parti sur les traces de son héros. Discuter avec certains de ses musiciens occasionnels. Humer l’air qu’il avait respiré. Se promener dans les paysages anglais qui l’avaient inspiré. In a Silent Way est le docu d’un mec qui avait quatorze ans en 1988, a été profondément marqué par la culture anglo-saxonne et a découvert avec Spirit of Eden de Talk Talk une musique pleine de nuances et de silences, apaisante et dérangeante qui a nourri ses mondes intérieurs et ouvert ses horizons sonores.

Breës embarque pour Douvres et se balade là où les membres du groupe se sont rencontrés (sur une île artificielle dans l’estuaire de la Tamise). Il part en pèlerinage, toujours bien accompagné, au studio où Talk Talk a enregistré ses deux derniers albums. Il filme aussi la nature pour mieux raconter un mec totalement inadapté à l’industrie du disque et au fonctionnement des labels. L’ingénieur du son Phill Brown, qui a travaillé avec Bob Marley et Jimi Hendrix, Barrie Masters d’Eddie and the Hot Rods, dont Mark Hollis a été roadie de 1976 à 1977, Wilko Johnson (Dr. Feelgood, Ian Dury and the Blockheads) ou encore un ancien boxeur qui lui chante Elvis, peuplent ce film original, personnel et même poétique. Il raconte le technicien de laboratoire dans une usine, puis étudiant en psychologie infantile qui plaqua tout pour se consacrer à la musique. Il évoque sa conscience aiguë de l’environnement, son glissement vers le silence et l’apaisement. Un docu singulier qui ramène à la lumière des musiciens qui ont tout fait pour retourner dans l’ombre.

Documentaire de Gwenaël Breës. Sortie: 24/11. ****(*)

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