Critique | Cinéma

[Critique ciné] Douleur et gloire (Dolor y gloria), Pedro Almodovar intimement personnel

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Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

DRAME | Que peut un réalisateur quand il semble avoir déjà tout dit? Cette question, Pedro Almodovar y apporte une réponse particulièrement inspirée dans son 21e long métrage, ce Douleur et gloire qui, non content d’apparaître à certains égards comme la somme de son oeuvre, de La Loi du désir à La Mauvaise Éducation, traduit aussi les interrogations de son auteur, qui signe là peut-être son film le plus intimement personnel, une sorte d’autoportrait ciselé, tout en maîtrise non ostentatoire, au prisme déformant et revigorant de la fiction.

Soit donc l’histoire de Salvador Mallo (Antonio Banderas), réalisateur célèbre traversant, à l’entame de la soixantaine, une crise d’inspiration doublée d’une dépression sévère. Circonstances qui, assorties de la restauration de Sabor, le film qui avait assis sa réputation quelque 30 ans plus tôt, et des retrouvailles consécutives avec Alberto Crespo (Asier Etxeandia), la star héroïnomane avec qui il s’était alors brouillé à mort, vont se révéler propices à un voyage introspectif. Lequel va l’amener à revisiter aussi bien le territoire de son enfance, au coeur des années 60 dans le village de Paterna, que les folles nuits de la Movida à Madrid dans les années 80, tout en questionnant un présent en veilleuse. Et la narration de naviguer entre les époques, aventure intime zigzaguant de l’éveil du désir à la maturité angoissée, le passé charriant, au gré de rencontres fantasmées ou non -amours enfuies, figure maternelle (campée tantôt par Penélope Cruz tantôt par Julieta Serrano)…- une irrépressible mélancolie venue inoculer le présent…

Comme un torrent

Avec Douleur et gloire, c’est à une forme d’autofiction que se livre Pedro Almodovar, s’y mettant à nu émotionnellement comme jamais. Un exercice délicat dont le réalisateur de La Fleur de mon secret s’acquitte tout en retenue, signant une oeuvre de maturité embrassant des thèmes majeurs -l’amour, la douleur, le deuil, le pardon, les affres de la création…- avec une rare sobriété. Si, comme toujours chez le cinéaste espagnol, on est subjugué par l’architecture du récit, enchâssant avec brio les niveaux de narration et autres lignes de fuite, comme par la perfection de la mise en scène, le film touche aussi, l’air de rien, à quelque chose d’essentiel. Jusqu’à, contractant ses zones d’ombre et de lumière en un kaléidoscope de sentiments, libérer une émotion profonde, venue bientôt tout submerger tel un torrent. Manière aussi de rappeler que s’il avait débuté sous les auspices exubérants de la Movida, Almodovar s’est mué, le temps aidant, en orfèvre ès (mélo)drame. Un mouvement trouvant en Antonio Banderas un relais idéal, l’acteur, non content d’incarner mieux que quiconque le cinéma du maître madrilène (huit films ensemble depuis Le Labyrinthe des passions, en 1982), ayant acquis une consistance qu’on ne lui soupçonnait guère, la vulnérabilité filtrant désormais d’un visage gravé de mélancolie -soit le corps et l’âme tout désignés de ce film discrètement étincelant.

De Pedro Almodovar. Avec Antonio Banderas, Asier Etxeandia, Julieta Serrano. 1h53. Sortie: 16/05. ****(*)

Lire également notre interview d’Antonio Banderas.

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