Cédric Kahn: « Toute la vie, on court après le regard de ses parents »

Cédric Kahn gratte là où ça fait mal au sein du noyau familial.
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Pour son onzième long métrage, Cédric Kahn imagineune fantaisie chorale aux accents dramatiques noyautée autour d’un personnage fortement perturbé, catalyseur des névroses familiales qui explosent sous des airs de fête.

Bar des rails, Trop de bonheur, L’Ennui, Roberto Succo, Feux rouges, L’Avion, Les Regrets, Une vie meilleure, Vie sauvage… Cinéaste très éclectique dans les thématiques qu’il choisit d’aborder, Cédric Kahn reconnaît faire chacun de ses films en réponse au précédent. Un an à peine après La Prière, récit patient d’une reconstruction au sein d’une communauté religieuse, le voici qui revient avec Fête de famille (lire la critique), une fantaisie chorale où les masques sont appelés à tomber et les conventions à se dynamiter dans l’outrance. Soit l’histoire d’un rassemblement familial qui tourne au fiasco à l’arrivée inopinée de Claire (Emmanuelle Bercot), fille aînée allumée de l’impassible grand-mère (Catherine Deneuve) dont on est occupé à célébrer l’anniversaire. Kahn décrypte: « Au centre de mon envie de faire le film, il y avait ce personnage de la fille borderline confié à Emmanuelle Bercot. C’est de ça dont je voulais parler. De sa folie, de sa fragilité. Mais je ne voulais pas aborder cette question du trouble mental de manière trop frontale. Ça me semblait plus intéressant de l’inclure dans un contexte familial, de montrer comment l’entourage pouvait ou non gérer ça. »

Marqueur limpide de cette volonté d’aborder la question de la folie par la bande, le film affiche d’abord un ton prédominant de comédie, léger, avant de basculer insensiblement vers plus de gravité. Jusqu’à l’inconfort. « Pour arriver à dire cette chose-là, cette folie, il fallait que je passe par la farce et la dérision. Je tenais absolument à faire rire avec cette tribu assez dingue où chacun se veut un peu artiste à sa façon. Et ça a été très libérateur, pour moi, de l’envisager sous cet angle-là. En un sens, le film ne me semblait possible que sous cette forme. » Et Kahn, soudain plus solennel, de marquer une pause: « Parce que c’étaient des choses vraiment pas évidentes à raconter pour moi… »

De là à supposer que le réalisateur, par ailleurs scénariste du film, a été puiser son inspiration dans une matière très personnelle, il n’y a évidemment qu’un pas… L’intéressé, lui, choisit de botter en touche: « À cette question, je préfère répondre par une formule: que je traite d’un sujet éloigné ou proche de moi, le trajet est similaire. Il y a un trajet d’appropriation quand c’est loin et il y a un trajet de distanciation, pour aller vers la fiction, quand c’est près. Si bien qu’à la fin, je ne sais plus très bien distinguer ce qui était vrai ou faux à la base, ce qui est autobiographique de ce qui ne l’est pas. »

Un certain regard

Genre cinématographique en soi, le film de famille possède bien sûr ses usages et ses codes, auxquels le nouveau long métrage de Cédric Kahn ne déroge pas: unité de temps et de lieu, ou presque, typologie marquée des personnages, secrets, mensonges, révélations… Avec, en guise de boussole créative, la quête de vérité acide et provocante du Festen de Thomas Vinterberg, référence avouée du cinéaste français. « Bon, il se trouve que je l’ai revu récemment et qu’il n’a pas si bien vieilli que ça. Mais soit. C’est le souvenir très fort de ce film qui m’a servi d’impulsion. Après, les choses s’enchaînent, les éléments s’imbriquent les uns dans les autres, sans toujours que l’on comprenne très bien comment ni pourquoi, d’ailleurs. »

Dans sa capacité à gratter là où ça fait mal au sein du noyau familial, sur la question du fric notamment, le film rappelle aussi plus d’une fois L’Économie du couple de Joachim Lafosse, une oeuvre où Cédric Kahn, également acteur à ses heures, tenait le premier rôle aux côtés de Bérénice Bejo. Et en particulier cette scène de repas singulièrement malaisante où le couple lessivé que les deux comédiens formaient se déchirait en prenant son entourage à témoin. « Probablement que cette expérience chez Joachim a quelque part nourri mon film, oui. C’est intéressant de l’envisager comme ça, en tout cas. Même si chez moi, tout est vraiment très écrit, alors que chez Joachim cette scène-là a été entièrement improvisée. Si l’on diffère très fort sur la méthode, avec Joachim, je pense par contre que l’on se retrouve sur la direction qu’on imprime à notre cinéma, en ce sens qu’on fait vraiment des films de personnages. Un des trucs qui me plaît le plus dans le fait de faire l’acteur, c’est de pouvoir regarder d’autres metteurs en scène travailler. À ce titre, Joachim était passionnant à observer. »

Bien qu’empreint d’une théâtralité assumée, Fête de famille tend surtout à l’arrivée, jusque dans ses échanges très dialogués, vers beaucoup de naturalisme. Quelque chose d’organique. Normal, somme toute, venant d’un disciple historique de Pialat -Kahn, en effet, a fait ses classes, à 20 ans à peine, comme assistant monteur sur Sous le Soleil de Satan (1987). « Fête de famille est un film en trois actes qui se déroule sur un temps très court, et qui ne parle que d’amour, résume encore le cinéaste français. Un amour qui peut prendre des formes terribles, parfois. J’ai vu Dolor y Gloria de Pedro Almodóvar cet été, et ça m’a bouleversé. Il raconte quelque chose qui me touche énormément dans ce film, et qui transparaît aussi un peu dans Fête de famille, je crois: quand on crée, quand on entreprend des choses, on cherche le succès bien sûr, une certaine reconnaissance, mais on veut surtout le regard de ses parents. Je pense que toute sa vie on court après ça: le regard de ses parents.« 

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