Adam Driver: « Terry et moi avons à la fois de Sancho Panza et de Don Quichotte »

Adam Driver: "Nous avons tous les deux, Terry et moi, à la fois de Sancho Panza et de Don Quichotte." © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

À l’affiche du Don Quichotte de Terry Gilliam, Adam Driver poursuit une carrière sans fausse note, l’ayant conduit des frères Coen à Jim Jarmusch en attendant, peut-être, Leos Carax…

« Je travaille surtout à l’instinct, et tout me plaisait chez Adam: il ne ressemble pas à un leading man traditionnel, ni à aucun autre acteur, il est absolument unique. Il peut se montrer maladroit dans une scène, incroyablement romantique dans la suivante, et changer ainsi à volonté. C’est étonnant. Pour moi, tout passe par le casting: si le casting est bon, le reste se met en place naturellement. » En confiant le rôle principal de The Man Who Killed Don Quixote à Adam Driver, Terry Gilliam a en tout cas eu le nez fin, le comédien endossant avec un même bonheur les habits de Toby, le réalisateur de pub arrogant au coeur de l’histoire, et ceux du Sancho Panza issu de l’imaginaire perturbé du Quichotte qu’incarne Jonathan Pryce. Découvert en 2012 dans la série Girls, Driver, 35 ans dans quelques semaines, est rapidement devenu un incontournable du grand écran, imposant sa longue silhouette du Frances Ha de Noah Baumbach au Lincoln de Steven Spielberg, côtoyant Oscar Isaac dans Inside Llewyn Davis des frères Coen puis Alba Rohrwacher dans Hungry Hearts de Saverio Costanzo, prêtant ses traits au Paterson de Jim Jarmusch avant d’être du Silence de Martin Scorsese, non sans trouver le temps, au passage, de rallier la saga Star Wars sous les traits de Kylo Ren. C’est dire s’il est à l’aise dans les registres les plus divers, constat qu’il accueille avec le sourire: « Une grande qualité du cinéma à mes yeux, c’est que cela peut aussi bien être Star Wars que Paterson. Je n’ai pas vraiment de préférence entre jouer dans l’un ou dans l’autre: le premier a un budget plus conséquent et vous y disposerez de plus de confort, mais aucun spectateur ne va aller voir le film en se disant: « Waouh, ils devaient avoir un super catering.  » Cela n’a pas vraiment d’importance, un film se doit d’être sincère, la pression est toujours la même. Le résultat sera là pour toujours, et quand vous demandez à des gens de vous consacrer deux heures et demie de leur temps, vous avez intérêt à être bon, c’est tout. »

Au service d’un projet

Formé à la Juilliard School, Adam Driver présente un profil peu banal, qui l’avait vu s’enrôler et servir deux ans chez les Marines au lendemain des attentats du 11 septembre. Une expérience formatrice sinon fondatrice. « Travailler en équipe est la plus grande leçon que j’ai apprise de l’armée, explique-t-il. Sur un plateau de cinéma, vous avez un rôle, et vous devez connaître votre rôle au sein de l’équipe. Tout ne tourne pas autour de vous, vous êtes partie intégrante d’un projet racontant une histoire qui dépasse chaque individu. Il faut être là pour ses partenaires, et s’assurer qu’ils puissent donner le meilleur d’eux-mêmes. C’est le projet dans son ensemble qui représente la mission la plus importante. » Discipline qu’il applique invariablement, qu’il travaille avec Spike Lee pour BlackKklansman, où il brille sous les traits d’un flic infiltrant le Ku Klux Klan (un film que l’on découvrira sur les écrans belges fin septembre), ou qu’il intègre l’imaginaire échevelé de Terry Gilliam le temps d’une relecture toute personnelle du Don Quichotte de Cervantes.

Ce projet, le réalisateur de Fisher King le portait depuis près de 30 ans, le film semblant frappé de malédictions à répétition -jusqu’à tout récemment encore, lorsque le producteur portugais Paolo Branco, un temps associé au projet, tenta d’en faire interdire la sortie. Circonstances n’ayant pas eu l’heur d’émouvoir le comédien: « Je trouve stimulant de travailler avec quelqu’un qui a essayé de mener un projet à bien depuis si longtemps. Quand on fait preuve d’une telle ténacité, on peut espérer que quelque chose d’intéressant va en ressortir. » S’il évoque encore la petite fête organisée après une semaine de tournage, cap qu’une précédente tentative, réunissant Jean Rochefort et Johnny Depp, n’avait pu dépasser, c’est pour aussitôt préciser: « Honnêtement, tous les films qui se font sont des petits miracles à mes yeux, par le simple fait de pouvoir réunir tout ce monde au service d’une histoire. J’avais vécu une expérience semblable avec Martin Scorsese, qui essayait de tourner Silence depuis plus de 20 ans, et qui, alors même que nous allions enfin nous y mettre, a encore dû le reporter de six mois. »

La réalité et l’inspiration

De son expérience de tournage aux côtés de Terry Gilliam, Adam Driver souligne encore combien elle fut « inspirante. C’est une catharsis pour lui. Il n’utilise pas de filtres pour ses sentiments: quand cela ne fonctionne pas, c’est évident, et dans le cas contraire également. La seule limite à son imagination réside dans le budget. Il installe une atmosphère où chacun est au taquet, il faut être disposé à travailler vite, même s’il vous encourage à suivre vos impulsions, et à avoir confiance en vous. Ce tournage aurait très facilement pu ressembler à une dictature où il nous aurait dit: « Je suis sur ce projet depuis 25 ans, je l’ai en tête, faites ce que je vous dis. » Mais il réussit à faire comme s’il ne savait pas, ce que j’ai considéré comme une bonne leçon, et que j’avais déjà constaté chez d’autres grands réalisateurs. »

Quant aux thèmes soulevés par le film, ils sont virtuellement inépuisables, Gilliam veillant d’ailleurs à laisser les questions ouvertes à la réflexion des spectateurs, brèche dans laquelle l’acteur n’a pas manqué de s’engouffrer. « Nous avons tous les deux, Terry et moi, à la fois de Sancho Panza et de Don Quichotte: nous sommes ancrés dans la réalité et essayons de contrôler les choses, tout en nous en remettant à l’inspiration. Cette dernière cohabite avec le business dans le cinéma, dont ils constituent les deux facettes. Il y a des choses qu’il faut faire et un côté qui est pure inspiration, laquelle peut s’avérer toxique si elle n’est pas maniée correctement. Sans même compter que travailler sur des plateaux de cinéma est une expérience formidable, mais aussi étrange: on y rencontre des gens sous une pression intense, on les voit douze à quinze heures par jour pendant trois, quatre, voire six mois, après quoi on ne sera plus jamais la même personne avec eux. Les connaît-on seulement vraiment, alors qu’on ne garde guère de contacts? On aimerait recréer ces moments, mais cela ne correspond pas à la vie. » Toutes questions que le film aborde par la bande, cette relecture de Don Quixote tenant aussi, on l’aura compris, de la mise en abyme.

Entre la vie et le travail, justement, Adam Driver confesse avoir des difficultés à trouver l’équilibre, lui qui croule à l’évidence sous les sollicitations. « J’essaye de n’accepter que des propositions qui coulent de source, sourit-il. Travailler avec Scorsese? Oui, sans hésiter. Terry Gilliam? Bien sûr. Spike Lee, Jim Jarmusch? Naturellement. Je trouve donc le temps, même si c’est parfois délicat et que je ne veux pas passer ma vie entière sur les plateaux. C’est plutôt un problème positif, mais il faut aussi veiller à vivre sa vie. » La quadrature du cercle, en quelque sorte, et une équation que l’on devine insoluble, lui que l’on annonce prochainement chez Noah Baumbach et Jim Jarmusch, à nouveau, mais encore chez Scott Burns et dans une énième déclinaison de Star Wars. Sans même parler d’ Annette, ce projet dont il discute depuis cinq ans maintenant avec Leos Carax, resté « éternellement dans le pipeline », mais qu’il ne désespère pas de voir enfin sur les rails. Et nous donc…

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