Parité au théâtre: il est temps de changer de direction

Dans la valse des changements de direction des théâtres de la FWB, Cathy Min Jung est jusqu'à présent la seule femme à avoir remplacé un homme. © BEATA SZPARAGOWSKA
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

L’annonce récente du départ de Fabrice Murgia de la tête du Théâtre national, fin 2021, relance la valse des changements de direction dans les arts de la scène. Une saga de successions désormais éclairée par une étude universitaire sur la non-parité dans le milieu.

Il a choisi de partir au terme de son premier mandat, pour se consacrer à sa compagnie Artara. Fabrice Murgia, désigné à 31 ans seulement à la tête du Théâtre national, aurait pu briguer un second mandat de cinq ans. Il ne l’a pas fait. Il laisse la place à d’autres. Cette annonce prolonge une série de changements de direction dans le secteur des arts de la scène, en particulier en théâtre. Elle survient aussi après la présentation d’une étude universitaire intitulée « Présence des femmes dans le champ des arts de la scène », dévoilée le 5 octobre dernier à la Bellone, à Bruxelles.

Menée par l’ULiège, l’UCLouvain et la Chaufferie Acte 1 (structure de service liégeoise se présentant comme « incubateur d’entreprises culturelles et créatives »), cette étude a analysé la répartition entre hommes et femmes « dans le champ des arts de la scène (hors musique classique et non classique) subventionnés par la Fédération Wallonie-Bruxelles ». Et selon Rachel Brahy, codirectrice de l’étude en tant que docteure en sciences politiques et sociales et coordinatrice scientifique de la Maison des sciences de l’homme de l’ULiège, les résultats corroborent ce qui était ressenti par le terrain, mais qui est désormais objectivé: « On constate qu’il y a moins de femmes qui signent les contrats-programmes, moins de femmes qui siègent dans les conseils d’administration, moins de femmes aux postes de direction et, surtout, que les portefeuilles attribués à des femmes sont moins conséquents. »

Renverser la vapeur

L’étude s’est notamment attachée à la répartition, dans le théâtre professionnel à destination des adultes, des postes de direction générale et/ou artistique pour les opérateurs disposant des plus grandes subventions de la Fédération Wallonie- Bruxelles (contrats-programmes 2018- 2022). Sur les 20 premiers, qui représentent ensemble presque la totalité du budget (86,30% de l’enveloppe, soit 27.520.000 euros), 14 ont une direction masculine (4 féminine et 2 mixte), soit 70%. Sur les 11 premiers, 8 directions sont masculines. Ce croisement de données révélateur tempère quelque peu l’enthousiasme soulevé par les nominations de plusieurs femmes à la tête d’institutions ces derniers mois.

Premier à ouvrir le bal en juin, l’Atelier 210, casé dans la catégorie « interdisciplinaire » et bénéficiant de 575.000 euros de subsides FWB, n’avait ouvert l’appel pour sa nouvelle coordination artistique théâtre qu’aux candidates, pour préserver l’équilibre avec son coordinateur musique, masculin. Et c’est Léa Drouet qui a été choisie pour remplacer Isabelle Jonniaux. Au cours du même mois, le Rideau de Bruxelles (1,635 million) annonçait que Cathy Min Jung remplacerait Michael Delaunoy alors qu’en septembre, l’Atelier Théâtre Jean Vilar de Louvain-la-Neuve (2 millions) changeait de genre en sens inverse en choisissant Emmanuel Dekoninck pour succéder à Cécile Van Snick. Bilan des opérations: 200.000 euros dans la balance en faveur des hommes. Restent le Théâtre de Namur (1 million) et le Varia (1,8 million), où les procédures sont actuellement en cours pour remplacer respectivement Patrick Colpé et Sylvie Somen. Et dans cette valse des directeurs, voilà Fabrice Murgia qui annonce son départ. Le Théâtre national étant subventionné à hauteur de 7 millions (de loin l’opérateur théâtre le mieux doté), voilà qui pourrait bien renverser fortement la vapeur dans les statistiques.

Ciseaux

Mais au-delà des chiffres, les nominations de femmes ont un impact en matière d' »exemplarité positive », comme l’analyse Rachel Brahy: « Voir des femmes à des postes hiérarchiques valorisés a un impact à long terme sur la possibilité pour les jeunes générations de se sentir légitimes, de lutter contre ce qu’on appelle « le syndrome de l’imposteur ». En voyant ces nouvelles directrices, les femmes se diront de moins en moins que là n’est pas leur place. » « Il n’y a pas assez d’images de ce à quoi un directeur doit ressembler, c’est toujours le même archétype », déclare pour sa part Melat Gebeyaw Nigussie, écrivaine et militante d’origine éthiopienne, qui a repris en septembre dernier la direction du Beursschouwburg, phare flamand interdisciplinaire de la culture bruxelloise. J’espère que d’autres personnes pourront se dire que si moi je peux arriver à ce poste, elles aussi le peuvent. Et les réactions très positives que j’ai reçues montrent à quel point les gens étaient soulagés que ce ne soit pas à nouveau les usual supects, que ça puisse être différent. »

Plus on monte dans la carriu0026#xE8;re hiu0026#xE9;rarchique, moins on trouve de femmes.

Cette exemplarité positive vaut aussi pour d’autres fonctions. L’étude sur la place des femmes a également analysé la répartition par genre dans les programmations de huit institutions majeures en FWB (saisons 2018-2019 et 2019-2020). Sans surprise, on y trouve plus d’auteurs que d’auteures, plus de metteurs en scène que de metteuses en scène et plus de comédiens que de comédiennes. Autre point capital: l’enseignement. Dans les écoles supérieures des arts de la Fédération, il y a quasiment deux fois plus d’enseignants masculins que féminins, et plus encore pour les postes définitifs. Alors que dans ces mêmes écoles, il y a plus d’étudiantes que d’étudiants. « Le phénomène, traduit par un graphique en ciseaux (NDLR: une courbe descendante pour la présence des femmes qui croise une courbe ascendante pour celle des hommes), est fréquent et on l’observe aussi à l’université, souligne Rachel Brahy: plus on monte dans la carrière hiérarchique, moins on trouve de femmes. »

Au fil de leur carrière, les femmes s’évaporent. Mais quand on croise les discriminations, ce n’est plus d’évaporation mais d’absence qu’il faut parler. Et la commanditaire de l’étude, qui n’est ni une fédération, ni un observatoire, ni un ministère mais une comédienne, autreure et metteuse en scène, Elsa Poisot, entend bien examiner cet aspect dans un volet suivant. « Les parcours des femmes artistes s’ébauchent en effet à la jonction de multiples rapports sociaux de domination, de genre, mais aussi de classe, d’âge et de « race », explique celle qui a par ailleurs déjà mis sur pied une journée de conférence sur l’histoire de la présence des femmes dans les arts vivants et une journée de lectures sur le matrimoine dans le répertoire théâtral. A partir des résultats de l’étude quantitative, il s’agira d’interroger le « comment ». Quels sont les processus sociaux, les imaginaires, les représentations et les discours qui justifient et/ou reproduisent les inégalités? » Le chantier est énorme, mais il est plus que nécessaire.

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