Critique scènes: Philipot ou l’étrange comédie du pouvoir

© Fany Ducat
Nicolas Naizy Journaliste

Dans Philipot, la compagnie Fany Ducat nous joue la comédie du pouvoir, en particulier quand elle secoue les rapports professionnels et intimes, avec le soupçon d’étrangeté qui fait le sel de son travail.

Elle a quelque chose de reconnaissable cette petite cité côtière dans laquelle nous emmènent Antonin Jenny, Alice De Cat et Charles-Hippolyte Chatelard, trio pensant de la compagnie Fany Ducat. Déjà dans Les Falaises, leur précédente création, ils nous faisaient entrer dans le couloir du commissariat de police de cette ville de province, où tout semble calme… bien avant que ça gronde évidemment.

Bienvenue cette fois dans la grande salle des mariages de l’hôtel de ville qui s’apprête à accueillir dimanche des noces et les élections municipales. Scrutin auquel entend bien participer la maire Daphné Philipot (Noémie Zurletti). Car ici, cela fait six générations que la famille est au pouvoir! Même si le registre de la population ne semble plus tenir que sur une demi-page, l’ambition n’en est que plus grande de perpétuer la tradition. Femme de caractère, elle peut compter sur son assistant, Gilles (Antonin Jenny), la diligence et l’organisation incarnées, et les membres du personnel communal joués par Thomas Noël et Baptiste Beignon Pivert.

Critique scènes: Philipot ou l'étrange comédie du pouvoir
© Fany Ducat

Survivre à l’agitation

Ces retrouvailles avec le travail de la compagnie rappellent à quel point son univers suit deux lignes de force immédiatement reconnaissables. Le décor d’abord: la simplicité du plateau n’empêche pas les comédiens d’être en interaction constante avec celui-ci. Des lames de parquet qui craquent, des tentures de part et d’autre qui s’ouvrent et se ferment de manière presque organique, une ampoule facétieuse… La compagnie nous a habitués à confier au lieu de l’action le premier rôle de ses spectacles.

Le jeu ensuite: au côté très terre-à-terre de certains répond l’impression d’absence des autres. Des phrases suspendues, des silences inhabituels… Travaillé lors des répétitions par l’improvisation et l’écriture de plateau, l’étrange surgit ici de l’anecdotique. Il suffit de s’attarder sur cet homme à tout faire qu’incarne Thomas Noël. Frère de la maire, il semble survoler souvent l’agitation ambiante, pris par des obsessions qui dépassent le petit monde qui l’entoure et des pulsions profondes qui ne font que transparaître subrepticement. Il vient ainsi troubler la petite mécanique du quotidien. Véritable pivot, c’est de son attitude qu’advient l’onirisme d’une histoire somme toute assez réaliste. Et de nous faire entrer ainsi dans une autre dimension.

Avoir disposé le public de manière bifrontale, de part et d’autre du parquet de cette grande salle, accentue le va-et-vient effréné dans ces jours qui précèdent l’élection. De l’extérieur fantasmé, jamais dévoilé, surgissent alors imprévus et coups bas propres au monde politique qui viendront secouer l’intrigue et lever le voile sur les tourments profonds des personnages. Mais celles et ceux qui connaissent déjà la patte des auteurs savent qu’elle tient moins dans le scénario que dans l’atmosphère de l’ensemble: une sensation d’hors-temps et d’hors-monde.

Drôle et mystérieux, Philipot confirme par l’habileté de son interprétation la capacité des trois de Fany Ducat à créer un monde à l’identité visuelle et théâtrale qui leur est propre. Maintenant que la recette est connue, reste à nous apporter un propos plus solide à leur univers poétiquement et agréablement déjanté, de dépasser l’image aussi belle soit-elle.

Philipot, de la compagnie Fany Ducat. Jusqu’au 25 septembre 2021 au Théâtre les Tanneurs, Bruxelles. www.lestanneurs.be

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