Critique scènes: Henrietta Lacks, héroïne non consentante

© Magda Hueckel
Nicolas Naizy Journaliste

« Donneuse » malgré elle de cellules immortelles, l’une des découvertes marquantes de la médecine du XXe siècle, Henrietta Lacks retrouve un peu la lumière dans un spectacle polonais à découvrir à Liège et à Bruxelles.

Baltimore, Maryland. Janvier 1951. À 30 ans, Henrietta Lacks vient de mettre au monde son cinquième enfant. Un accouchement difficile suivi de saignements dont l’origine est mal diagnostiquée en premier lieu. Quelques semaines plus tard, un chirurgien de l’hôpital John-Hopkins ôte de l’utérus de cette jeune femme noire de condition modeste une tumeur agressive. L’opération et le traitement invasif aux tubes de radium n’empêcheront pas au cancer – foudroyant -, la jeune femme s’éteindra en octobre 1951.

Ce qu’Henrietta Lacks ne saura jamais, c’est qu’un prélèvement de sa tumeur révèlera des cellules qui ne cessent de régénérer. En clair, elles sont immortelles. Dans le secret de son laboratoire du même hôpital, le docteur George Gey mettra au jour le processus de reproduction de ces cellules (des « vampires« ), une découverte qui permettra par la suite la mise au point de vaccins majeurs (contre la polio, le papillomavirus) et le traitement de cancers, sauvant pour le coup de nombreuses vies. Les cellules nommées HeLa sont devenues célèbres sous cette domination qui rappelle tout en invisibilisant la donneuse non consentante. Helen Lane ? Helen Larson ? Il faudra du temps pour que le nom d’Henrietta Lacks réapparaisse. De quoi alimenter un nouvel exemple de l’Histoire des sciences « oubliant » ses actrices majeures, en plus de lever une question éthique aussi importante que vertigineuse. À quel prix humain peut-on faire valoir le progrès médical ?

Passage sous silence

Cette équation, entre autres, est soulevée dans le spectacle de la metteuse en scène polonaise Anna Smolar qu’accueille le Festival de Liège et le Théâtre National. Titré simplement du nom de cette héroïne malgré elle oubliée, Henrietta Lacks apparaît comme un exercice de rappel historique, de jalon. Un quatuor de jeune acteurs s’engage à nous raconter la découverte des cellules HeLa, à rebours, partant de la réussite du clonage de la brebis Dolly, succès scientifique au retentissement médiatique effarant en 1996, nous disant par la même occasion, que comme Dolly, Henrietta Lacks a été en quelque sorte considérée comme un sujet d’étude et d’expérimentation et non comme un être vivant.

L’histoire d’Henrietta Lacks et de George Gey nous est racontée sous un format rappelant la BD, qui cadre ses personnages par une poursuite lumineuse, dans une ambiance musicale et vestimentaire très fifties, comme pour mieux inscrire la naissance de la polémique dans son contexte temporel. Car controverse, il y a eu. Est-ce que l’invisibilisation d’Henrietta Lacks tient à sa condition de femme noire et modeste ? Doit-on à la domination blanche et patriarcale l’effacement de son nom des livres de sciences ? Dommage que la production du Nowy Teatr de Varsovie passe presque sous silence l’aspect racial de la polémique, quand elle risque l’ambiguïté sur l’enjeu déontologique du cas Lacks, donnant la parole au personnage du Dr Gey, assez glacial dans sa raison pragmatique, l’intéressée restant (encore une fois) silencieuse. La question de la propriété du corps dans le cadre de la recherche est elle clairement posée.

Critique scènes: Henrietta Lacks, héroïne non consentante
© Magda-Hueckel

Henrietta Lacks fait l’objet depuis plusieurs années, sinon d’une réhabilitation, d’une inscription dans la mémoire par les historiens, les scientifiques, les poètes et artistes divers. Dans sa scénographie sobre davantage appréciable dans les petites salles, ce spectacle poursuit certainement ce même but sans pour autant s’engager aussi clairement que d’autres dans le débat.

Henrietta Lacks, mis en scène par Anna Smolar, texte collectif. Le 16 février au Festival de Liège (caserne Fonck), www.festivaldeliege.be. Les 18 et 19 février au Théâtre National (Bruxelles), www.theatrenational.be

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