[Critique scènes] « Des hommes endormis », violence des échanges

"Des hommes endormis" de Michael Delaunoy © Alessia Contu.
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Le Rideau fait sa rentrée avec une mise en scène de son directeur en partance, Michael Delaunoy. Après La Ville, ce dernier monte à nouveau un texte de l’écrivain britannique Martin Crimp: Des hommes endormis, un match de catch verbal pour quartet nocturne.

Tout se passe dans la cuisine. La scénographie de Didier Payen a gardé les armoires, le plan de travail, le frigo et l’évier mais l’a tordue pour l’hybrider jusqu’au plafond avec un ring, que le public entoure sur les quatre côtés. Julia (Anne-Claire, glaçante) et Paul (Serge Demoulin, idéalement passif) sont les premiers à entrer dans l’arène, vieux couple qui a perdu la flamme, sans enfant et dont la vie se résume à « travailler et manger ».

Vers 2 heures du matin, leur train-train est interrompu par la visite d’un autre couple, jeune et fougueux, lui: Josefine (Pauline Serneels, fofolle), l’assitante de Julia à l’université, et Tilman (Mikael Di Marzo, amené à donner beaucoup de sa personne), fabricant de meubles.

Echanges sans pitié

Les premières répliques annoncent directement la couleur: les échanges seront sans pitié, comme en MMA. D’une violence tellement énorme qu’elle en devient drôle. Et si la brutalité et l’humiliation passent essentiellement par les mots, il n’est pas interdit de sortir les gants de boxe… Au sein de son quatuor, Martin Crimp s’amuse à renverser les alliances -jeunes contre vieux, hommes contre femmes, patrons contre subalternes-et n’interdit aucun coup bas. A la manoeuvre, Michael Delaunoy orchestre impeccablement la partition, jusqu’à aux minimes changements d’accessoires entre les scènes.

« Des hommes endormis » de Michael Delaunoy.© Alessia Contu

Seul bémol: l’impression d’avoir déjà vu tout ça, il n’y a pas si longtemps. Pas qu’une impression d’ailleurs: en novembre dernier, Mesut Arslan montait au KVS un magistral Qui a peur de Virginia Woolf ?, dans un méli-mélo de chaises qui osait une proximité totale avec les spectateurs (bonne nouvelle: c’est repris en janvier!). C’est que Crimp signe ici une variation contemporaine (montée initialement à la Schauspielhaus de Hambourg en 2018) sur le classique d’Edward Albee. Le canevas et les ingrédients du drame sont inchangé: le jeune couple qui débarque chez le vieux couple en plein nuit, les torrents de fiel qui sortent des bouches et éclaboussent tout, l’alcool, et jusqu’à la question de l’enfant (en avoir ou pas) qui rampe sous tout cela. Dans le match entre l’Américain et le British, le second n’égale pas le premier. Quelle drôle d’idée d’avoir voulu s’y mesurer…

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