Critique scènes: Au cabaret des coeurs brisés, on chante!

© Marie-Françoise Plissart
Nicolas Naizy Journaliste

Réunir Roland Barthes et Jeane Manson pour parler d’amour, il fallait oser. Delphine Bibet l’a fait. Playback d’histoires d’amour, sa première mise en scène, drôle et intelligente, chante le désir comme la rupture.

Qui n’a pas dans le coin de sa tête cette petite mélodie qui a accompagné un premier baiser, un coup de foudre, voire un largage en bonne et due forme? Les chanteurs et chanteuses de variété ont eu cette riche idée d’exprimer les sentiments sans doute les plus universels. Avec ce souci d’y aller franc-jeu, à l’opposé des philosophes. « Faisons l’amour avant de nous dire adieu« , suppliait Jeane Manson en 1976. « C’est décidé, cette nuit, je pars« , confiait Nicole Croisille dans Téléphone-Moi. « On s’est aimés comme on se quitte« , tirait comme conclusion Joe Dassin dans Salut les amoureux, le sourire aux lèvres et sans rancune. La chanson populaire est le véhicule des sentiments; elle n’est pas une Rolls, mais sa tenue de route est impeccable. On est loin d’un badinage marivaudien, du discours analytique de Roland Barthes dans ses Fragments du discours amoureux ou du dialogue entre Alain Badiou et Nicolas Truong dans Éloge de l’amour.

La comédienne Delphine Bibet réussit néanmoins à réunir tout ce beau monde, artistes et intellectuels, dans sa première mise en scène créée au Théâtre de Namur et de passage au Théâtre National. La rencontre a pour cadre un cabaret subtilement scénographié par Vincent Lemaire: en avant-plan la piste de danse; à l’arrière une petite scène dotée d’un rideau pailleté et d’un micro sur pied. Le cadre parfait d’un spectacle patchwork, cousu par une playlist kitsch, nostalgique et diablement évocatrice (Dalida, Adamo, Françoise Hardy, Nino Ferrer s’ajoutent aux autres précités). Au gré des chansons et des entrées et sorties de plateau, quatre comédiens -Delphine Bibet elle-même, Catherine Mestoussis, Thierry Hellin et Alexandre Trocki, tous particulièrement habités- incarnent tour à tour femmes amoureuses, couples brisés ou fraîchement constitués, hommes mélancoliques ou jaloux. Le travestissement permet d’exploser les barrières genrées. À aucun moment vous n’entendrez leur voix en direct. Sur les rengaines populaires, l’exercice du playback se confond avec la comédie: jouer un personnage qui n’est pas soi -du loser éméché à la diva-, tout en vivant pleinement l’instant. Les fragments de dialogues et d’extraits d’auteurs se superposent aussi aux mouvements des lèvres des acteurs. Même les bruits de pas viennent d’ailleurs (un travail sonore et lumineux à épingler). Ce procédé technique apporte son lot de cocasserie et de décalage; une prise de distance qui, aussi paradoxale soit-elle, permet d’entendre l’intimité des chuchotements amoureux. Bibet mise tout sur les voix et les corps assumés dans leur diversité et leurs imperfections, la beauté venant de la sincérité des sentiments et de leur interprétation.

Playback suscite une empathie rare, une implication du spectateur qui revit ses propres histoires par substitution, du rire franc aux larmes naissantes, du coup de foudre à la mélancolie. Une sorte de Banquet de Platon sauce pop vintage qui donne une furieuse envie de fêter la rencontre avec l’homme de sa vie (Diane Dufresne) ou de crier « Reviens » (Hervé Vilard) à celle ou celui que l’on a trompé.

La seule chose que vous reprocherez à ce spectacle, c’est de vous avoir collé des mélodies dans les oreilles pendant des jours.

Playback d’histoires d’amour, de Delphine Bibet. Au Théâtre National jusqu’au 05/04. www.theatrenational.be

Le Théâtre National propose ce dimanche 31/03 son Kids Brunch: dès midi, avant la représentation de 15h, un brunch et une activité intergénérationnelle, et pendant que les parents sont au spectacle, les enfants participent à l’atelier créatif La Fabrique à histoires animé par Papier Machine. Réservations indispensables.

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