Ceci n’est pas un spectacle de danse africaine (2)

© Bohummil Kostohryz
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Dans le cadre de son focus sur l’Afrique du Sud, le festival liégeois Pays de Danses accueillait le spectacle d’une pionnière, Robyn Orlin. Porté par un Albert Silindokuhle Ibokwe Khoza filmé quasiment en permanence, And so you see… fait avec panache le tour des vices humains. Ça décoiffe.

Quelle est cette créature étrange enveloppée des pieds à la tête à la manière d’une momie, enfermée dans une gangue de cellophane comme une chenille dans sa chrysalide et qui attend, calée dans son fauteuil, que tous les spectateurs soient entrés dans la salle pour commencer à s’agiter? Est-ce un homme ou une femme? Est-ce un être humain, une divinité ou un animal? Rien de tout cela ou tout à la fois? Il s’agit d’Albert Silindokuhle Ibokwe Khoza, performeur sud-africain hors norme pour qui sa compatriote la chorégraphe Robyn Orlin a taillé sur mesure ce saisissant solo, And so you see… our honourable blue sky and ever enduring sun… can only be consumed slice by slice… (Robyn Orlin aime les titres longs). À nouveau (voir aussi la critique de De-Apart-Hate), ce n’est pas de la « danse africaine » telle qu’on la conçoit généralement. Et ici aussi, ceux qui attendent un débordement de joie et des pas traditionnels risquent d’être désarçonnés.

Tout à tour espiègle, magnifique et effrayant, dissimulant une étonnante souplesse derrière ses replis de chair et disposant d’un fameux sens de la répartie, ledit Albert va se vautrer dans les sept péchés capitaux consignés au XIIIe siècle par Thomas d’Aquin dans sa Somme théologique, fil rouge de cette performance avec le Requiem de Mozart. Colère, avarice, envie, orgueil, gourmandise, paresse et luxure: tous sont de la revue au fil de tableaux mordants et d’une beauté plastique étourdissante. Rien de bien complexe pourtant dans le dispositif: tournant le dos au public, d’Albert Silindokuhle Ibokwe Khoza est capté de haut et de face par des caméras qui diffusent en live son image agrandie sur un écran. Il suffit alors de quelques accessoires -plateau d’oranges, fouets, miroir, maquillage étalé au doigt…- pour qu’il se transforme en monstre rigolard et concupiscent, en reine nubienne, en chèvre à cloche ou en paon faisant la roue. Son défilé des vices humains égratigne au passage quelques réalités sud-africaines difficiles à avaler: accords avec la Russie sur le nucléaire, homophobie, exploitation de l’or et du diamant injuste pour la population locale… Jusqu’à ce que soit projetée, sur la peau recouverte progressivement de bleu (un clin d’oeil à Yves Klein?) au fil d’un chant a capella beau à en pleurer, l’image d’un enfant-soldat paré d’ailes de papillon. Qui voudrait s’envoler mais que ses lourdes bottes retiennent au sol. Le couperet final d’une prestation bigger than life.

And so you see…, vu le 14 février au Théâtre de Liège dans le cadre du Festival Pays de Danses (jusqu’au 24 février). www.theatredeliege.be

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