Craig Johnson, l’homme de l’Ouest
L’on-ne-peut-plus américain Craig Johnson continue d’épater avec ses polars tout à la gloire de l’Ouest encore sauvage, de la nation indienne et de ses territoires, directement inspirés de sa propre existence de cow-boy.
Impossible de rater Craig Johnson dans les allées d’un festival comme Quais du Polar à Lyon: l’écrivain ne se contente pas de dépasser tout le monde d’une tête; il porte, posé dessus en permanence, un spectaculaire Stetson qui le fait ressembler à son personnage fétiche, le shérif Walt Longmire dont les éditions Gallmeister viennent de publier la -déjà- huitième aventure. À vol d’oiseau se déroule comme toujours dans le comté du Wyoming désolé et fictif, bien que lui aussi très ressemblant à la réalité: Craig Johnson vit au Wyoming, dans un ranch construit de ses mains, à la frontière de réserves indiennes cheyennes et crows. Bref, un vrai cow-boy et « naturalist writer » pourtant loin d’être caricatural: ses romans, souvent fantastiques et plus drôles que ceux de Tony Hillerman, l’autre modèle du genre, en ont fait le porte-voix local et international des Amérindiens, devenus sa seconde famille et le coeur de ses romans policiers d’un humanisme rare. Des westerns modernes qui ne lassent pas et abondent en bons mots. Comme leur auteur.
Votre univers de fiction est très proche de la réalité, et de votre propre existence. On pourrait presque croire que vous manquez d’imagination!
La pire phrase que l’on trouve dans presque tous les livres, et en préambule de presque tous les films, c’est: « Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé serait purement fortuite. » Mais quelle bêtise! Notre job d’écrivain consiste justement à rendre crédibles des personnages de fiction et à faire en sorte que l’on puisse s’y reconnaître! Moi-même, je ne suis pas Walt -ma vie est super, j’ai eu beaucoup de chance et je n’ai vécu aucune des tragédies qu’il a subies-, mais Walt est aussi un bon gars, décent, intelligent, amusant… Et pour le coup, j’aimerais beaucoup lui ressembler. Quant aux Indiens, ce sont mes amis, c’est ma famille désormais. C’est un monde que je ne peux pas trouver ailleurs, et qui mérite d’être raconté.
Un monde dans lequel vous plongez plus encore que d’habitude, puisque l’intrigue se déroule cette fois-ci directement au sein d’une réserve…
Je voulais plonger Walt dans un endroit où il n’a, pour une fois, pas de pouvoir. Et entamer ainsi un processus différent. Or les réserves, ce ne sont plus les USA: c’est une nation souveraine, avec ses flics, ses lois, ses cours de justice, une autre langue… Tout y est différent. Mais je sais aussi que je ne suis pas un Crow, et ils me respectent pour ça: quand j’ignore quelque chose, j’appelle mon ami Red Thunder, à la réserve. Et s’il ne peut pas m’aider, il sait où je dois m’adresser pour trouver la réponse.
L’humour est omniprésent dans le livre, et dans les dialogues de vos personnages. Un humour très particulier, qui semble authentique, mais dont on a peu l’habitude…
Oui, les Indiens sont extrêmement drôles! Mais on ne leur a jamais reconnu cet humour parce que ce fut longtemps une voie rapide pour les déshumaniser. Ils ont toujours été maltraités et déconsidérés, entre autres par cette non-reconnaissance de ce qu’ils sont, et de ce qui fait d’eux des êtres humains. Or l’humour est très important dans leur vie, c’est une manière pour eux de résoudre les conflits.
Vous écrivez, dans À vol d’oiseau, qu’il n’y a dans le crime, « ni mines d’or, ni armes nucléaires. Le mobile est petit, personnel et souvent stupide« . Difficile de rester simple dans une époque de surenchère?
Parlez avec des policiers: ce à quoi ils sont confrontés chaque jour, ce n’est pas l’extraordinaire, mais au contraire le petit élément humain. Le challenge, c’est ensuite d’en faire une bonne histoire et d’en montrer toute la tragédie: un crime, ça tient à peu de choses. Les gens font des erreurs ou des choses stupides, se font avoir, fuient… De petits réflexes humains qui peuvent provoquer de grandes catastrophes. C’est un élément-clé de mes livres, tournés vers l’humain, l’individu. Je pourrais par exemple vous parler des horreurs de la Révolution française, vous tenir de grandes théories là-dessus. Ou je peux vous parler d’une femme assise au pied d’une guillotine, pleurant l’homme dont on vient de couper la tête… Quels images vous resteront? Quel récit va vous marquer le plus?
On a beau avoir déjà vu le shérif Walt Longmire face aux pires et aux plus improbables défis, -pensez, c’est sa huitième apparition depuis Little Bird, déjà chez le fidèle éditeur Gallmeister-, en voilà un pour lequel on ne sait s’il sera vraiment de taille: Walt marie sa fille! Une cérémonie dans la plus pure tradition cheyenne et crow, dont la préparation se trouve encore compliquée par un étrange suicide: l’Indienne Audrey Plain Feather s’est jetée de la falaise avec son fils dans les bras. Et voilà Walt obligé d’enquêter, cette fois, au sein même de la réserve du comté d’Absaroka, au Wyoming, soit le comté le moins peuplé de l’État le moins peuplé des États-Unis, et sur un territoire où il a beaucoup d’amis, mais pas d’autorité. L’occasion, aussi, de rencontrer Lolo Long, nouveau personnage et nouvelle femme forte de cet univers de cow-boys et d’Indiens dont on sait déjà qu’elle reviendra -Johnson a déjà écrit quatre autres romans depuis ce Vol, plus que jamais empreint d’humour, d’humanité et de spiritualité indienne. Un must dans le genre.
DE CRAIG JOHNSON, ÉDITIONS GALLMEISTER, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ETATS-UNIS) PAR SOPHIE ASLANIDES, 320 PAGES. ****
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