Une première réalisation pour Laetitia Dosch: «Ce que j’aime dans le film de procès, c’est le combat d’idées»
Comédienne chez Justine Triet ou les frères Larrieu, Laetitia Dosch revient en cette rentrée comme réalisatrice avec son premier long métrage, Le Procès du chien. Une comédie qui part d’un postulat absurde pour soulever des questions éthiques.
On peut fumer pendant qu’on parle, non? Et puis si on dépasse de cinq minutes c’est pas grave, c’est ma pause de toutes façons. ça vous a plu le film? Vous voulez pas vous asseoir? » Rencontrer Laetitia Dosch, c’est une expérience en soi, un moment suspendu avec un feu follet à la fois ici et ailleurs, qui rebondit d’une idée à l’autre dans une conversation pleine d’interférences mais parfaitement cohérente, dégageant une énergie hyper stimulante.
Alors on essaie de commencer par le début. Qu’est-ce qui lui a donné envie, à Laetitia, comédienne chérie du cinéma français, bien que Genevoise de cœur, de passer à la réalisation? « Je ne pensais pas en être capable, mais un jour un producteur m’a dit: « Si tu peux travailler avec un cheval, tu peux bien faire un film« (elle a écrit et mis en scène en 2018 la pièce de théâtre Hate, où elle partage la scène avec… un cheval, NDLR). Je me suis dit qu’il avait raison. Quand on m’a raconté cette histoire de procès autour d’un chien, qui a réellement eu lieu, où un maître était sur le banc des accusés car son chien avait mordu trois fois, une histoire où une ville entière s’était passionnée pour ce procès qui avait été jusqu’à la Cour de justice de l’Union européenne, je me suis dit qu’il y avait là un film qui me touchait, qui disait quelque chose de la façon dont on traite les animaux, et qu’il y avait là un incroyable terreau de comédie. Le chien comme une chose ou un individu, ça parlait aussi de notre rapport aux autres espèces, d’exploitation et de domination. Une porte d’entrée pour parler de spécisme, mais aussi de sexisme! Parce que longtemps, les femmes ont eu un statut de chose, comme ce chien, qu’on déplace d’un endroit à un autre en dépit de sa volonté propre. »
Le Procès du chien (lire la critique ici) était dévoilé en avant-première en mai dernier au Festival de Cannes, en Sélection officielle, sous les yeux notamment de Justine Triet (avec laquelle Laetitia Dosch a collaboré pour La Bataille de Solférino), autrice d’un autre film de procès, le fameux Anatomie d’une chute. Le tribunal depuis quelque temps est décidément au cœur des envies des cinéastes. « Ce que j’aimais, c’était le côté combat d’idées. Elles peuvent se confronter, on a le temps de les écouter, on a plein de points de vue, et on est invité à se faire notre avis. J’adore les tribunaux, écouter les problèmes des gens, les comprendre. On ne juge qu’avec du temps. Aujourd’hui, la vitesse avec laquelle on réagit ou on juge, ça me blesse, je ne trouve pas ça constructif. »
Ni trop snob, ni trop sérieux
Si la situation de départ peut sembler absurde, sorte d’intrusion dans le bureau du juge d’instruction de nos vieux cours de philosophie revus à la sauce des procès de sorcellerie, en mode « ce chien a-t-il une âme? », ce débat à première vue inoffensif soulève des sujets fondamentaux, qui relèvent de notre être au monde sur le plan éthique. « Pour pouvoir poser ces questions, comme le fait mon avocate Avril à la fin du film, il fallait d’abord bien accueillir le spectateur. Imaginer une histoire simple et qui fasse rire, que les gens soient charmés, que ça n’ait l’air ni trop snob, ni trop sérieux. Parce qu’au final, c’est une fable qui pose des questions sur notre présent qui me sont essentielles. »
Il est vrai que le film a l’élégance d’être drôle, en plein d’endroits et de plein de façons. La tonalité change, surprend. Cette hétérogénéité revendiquée par l’autrice transparaît d’ailleurs dans le casting, qui réunit François Damiens et Anne Dorval, Jean-Pascal Zadi et Pierre Deladonchamps. « Ça, c’est quelque chose que j’adore chez Louis C.K. notamment, qui caste aussi bien Parker Posey et Chloé Sevigny, des égéries du cinéma d’auteur, que l’humoriste Ricky Gervais. J’aimais ces décrochages, et j’ai aimé aussi les proposer aux comédiens au sein même de leur partition. François Damiens, par exemple, commence sur le ton de ses caméras cachées, avant de changer complètement de registre. On trouve ça aussi à un autre niveau dans Fleabag, où au cours d’une même journée on change radicalement de ton. La vie, c’est un patchwork, on vit plein d’histoires en même temps, qui se télescopent. »
Faire des grimaces
Pour unir ces contraires, il fallait une colonne vertébrale, incarnée par le personnage d’Avril, jouée par Laetitia Dosch elle-même, qui bien que chancelante garde toujours les pieds sur terre. Avril, c’est une loseuse magnifique, un personnage qui se conjugue d’habitude plutôt au masculin. « Oui, c’est vrai, toujours comme chez Louis C.K., mais aussi Nanni Moretti, une vraie inspiration pour moi. Des personnages un peu à la marge, caractérisés par leur maladresse. Chez Avril, ça se traduit par sa voix, qui fait des sorties de route, elle n’arrive pas à s’assumer telle qu’elle est. C’est le parcours de cette femme qui ne va pas trouver sa voix grave, mais qui va réussir à s’affirmer par sa pensée. Elle trouve sa langue, sa place. Elle va aussi trouver le sens de sa vie, devenir avocate environnementale, lutter pour le droit des forêts et des animaux. » Forcément, on a envie de lui demander si écrire son propre rôle lui a permis de satisfaire des envies d’actrice jusqu’ici inassouvies. « Ce qui m’amusait, c’était de pouvoir faire des grimaces. Des choses que les hommes se permettent à l’écran, mais les femmes non. Alors que dans la vie, on fait de ces têtes! » Une expérience libératrice, qui ouvre de nouvelles voies d’expression, une fois passé les principaux obstacles.
Quand on interroge Laetitia Dosch sur le plus grand défi qu’elle a dû relever, elle n’hésite pas une seconde: « Le montage! Je ne connaissais pas. Une comédie, c’est une question de rythme. À quel moment, à la seconde près, met-on un plan pour que les gens rigolent? On a fait beaucoup d’allers-retours entre les projections tests et le banc de montage. Un vrai dialogue avec les spectateurs s’est créé très tôt, ce qui était très plaisant. »
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