Uberto Pasolini (Nowhere Special): “La vie des autres est plus intéressante que la nôtre”

John (James Norton) et Michael (Daniel Lamont): une complicité sans faille. © PETER MARLEY
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Avec Nowhere Special, Uberto Pasolini signe un drame pudique sur la relation entre un père condamné par la maladie et son garçon de 4 ans pour qui il cherche une famille d’adoption.

La finance mène à tout, à condition d’en sortir. Neveu de Luchino Visconti et héritier d’une famille de la haute société italienne, Uberto Pasolini a ainsi entamé son parcours professionnel comme banquier d’investissement avant de revenir à ses premières amours, le 7e art, et de devenir producteur à succès d’abord – The Full Monty, c’était lui -, réalisateur ensuite. “Le cinéma a toujours été ma passion, explique-t-il sans se faire prier alors qu’on le rencontre non loin du Casino du Lido, au lendemain de la présentation de Nowhere Special, son troisième long métrage, à la Mostra. J’ai grandi à Milan, et n’ayant guère de succès auprès des filles, je passais toutes mes soirées à la Cinémathèque, où j’ai vu tous les films imaginables. J’ai débuté dans la finance, mais je n’y suis resté que trois ans. Quand ça a commencé à marcher pour moi, et qu’on m’a promis un poste de direction dans une banque de commerce anglaise, j’ai préféré arrêter, de crainte d’y consacrer le reste mon existence. J’ai eu la chance extraordinaire d’être engagé en 1983 comme stagiaire sur The Killing Fields, que produisait David Puttnam qui restait sur l’Oscar de Chariots of Fire. Ce fut ma première expérience d’un tournage. Même si ce n’était que pour apporter le thé, je ne pouvais espérer débuter à un niveau plus élevé. Le cinéma m’est entré dans la peau, et j’ai continué, sans que ça résulte pour autant d’un choix culture vs. non-culture: il y a de la culture dans la finance également, et vice versa…

© National

La vie des autres

Issu d’un milieu privilégié, Pasolini confesse avoir envisagé le cinéma comme un moyen de découvrir des réalités et des existences qui ne lui étaient pas familières. “Je pense, d’une façon générale, que la vie des autres est plus intéressante que la nôtre.” Disposition qui, après les travailleurs de l’acier du Yorkshire se retrouvant sans emploi dans The Full Monty, l’a incité à s’intéresser à l’histoire (vraie) de Sri Lankais ayant inventé une équipe de handball afin de pouvoir immigrer en Occident pour son premier film comme metteur en scène, Sri Lanka National Handball Team. Ou lui vaut aujourd’hui de se pencher, dans Nowhere Special, sur la relation entre un jeune père célibataire se sachant condamné par la maladie et son fils de 4 ans (James Norton et Daniel Lamont, impeccables), pour qui il va lui falloir trouver une famille d’adoption. “Le scénario a nécessité beaucoup de recherches, explique-t-il. J’ai rencontré de nombreuses personnes impliquées dans des structures d’accueil et d’adoption en Grande-Bretagne, des professionnels, mais aussi des particuliers qui étaient engagés dans un processus d’adoption ou attendaient d’être approuvés comme candidats à l’adoption. On trouve également beaucoup de choses sur Internet, où des gens partagent leur expérience de l’adoption. Et j’ai également lu des livres consacrés à des malades en phase terminale, les journaux de personnes aujourd’hui disparues, pour nourrir le personnage du père et pouvoir se représenter quelqu’un à qui il a été notifié qu’il n’en avait plus que pour cinq mois à vivre.

Si le film est inspiré d’une histoire vraie, il est extrêmement rare, dans les faits, qu’un parent choisisse la famille qui accueillera son enfant, explique encore Pasolini: “Les enfants sont, le plus souvent, confiés à l’adoption en cas de décès des parents, ou quand ceux-ci s’en sont vu retirer la garde. Le cas présent, très rare en Angleterre, répond au nom de “relinquishing” (abandon) , et résulte du fait qu’un parent, ou les deux, considèrent ne pas être en mesure de s’occuper de l’enfant, qu’ils abandonnent à l’adoption ou à l’accueil. Ça se produit notamment dans le cas de femmes venues de l’étranger et tombant enceintes qui, afin d’éviter que leur famille ne l’apprenne, optent pour l’abandon d’enfant. Elles ont six semaines pour changer d’avis, après quoi le bébé est confié à l’adoption. Dans la réalité, il est toutefois exceptionnel qu’un parent soit, comme dans le film, impliqué dans le choix de la famille d’adoption.

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Celles qui se succèdent à l’écran ont toutes quelque chose de différent à offrir. Et au-delà de la relation privilégiée l’unissant à son enfant, Nowhere Special raconte aussi le voyage d’un père qui va devoir apprendre le lâcher prise à l’heure de poser un choix crucial pour l’avenir de son fils. “Au départ, il pense savoir précisément ce qu’il souhaite pour son garçon, mais en cours de route, il se rend compte qu’il ne dispose pas de tous les éléments pour poser ce choix. Il va, en quelque sorte, devoir permettre à son fils de le faire pour lui”, observe encore le réalisateur. Une situation à haut potentiel mélodramatique, que Pasolini a toutefois veillé à aborder à l’abri du sentimentalisme. “J’aime m’en tenir à un volume modéré, je ne serais pas bon dans le mélodrame, faute de savoir à quel niveau m’arrêter. Pour moi, il y a différentes façons d’établir un dialogue avec le spectateur. On peut le bombarder avec un drame et des émotions plein pot à l’écran, jusqu’à le saturer. Au risque que l’expérience s’achève avec le film, faute de connexion réelle. Ou on peut procéder plus en douceur, à l’image de l’existence paisible que mènent la plupart d’entre nous. Du coup, une connexion est possible, et les émotions et les personnages vont accompagner le spectateur plus longtemps. Nowhere Special en apporte la pudique et bouleversante démonstration…

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