Trop peu d’inclusivité à l’écran? « Seules 0,47 % des personnes visibles dans les médias belges affichent un handicap visible »
Malgré le succès récent du film d’Artus Un p’tit truc en plus ou des Jeux paralympiques, le validisme reste l’un des grands impensés de l’inclusivité, notamment dans le secteur du cinéma.
Alors que se profile la Journée internationale des personnes handicapées (ce 3 décembre), nous avons rencontré les organisateurs de The Extraordinary Film Festival (TEFF), ainsi que de La PERCHE (Projections Et Rencontres pour Cinéphiles en situation de Handicap ou d’Empêchement) afin de faire le point sur l’inclusion des personnes handicapées au cinéma, sachant que l’on estime que près d’un adulte sur quatre présente une forme de handicap en Europe. Le handicap peut être aussi bien physique que sensoriel ou cognitif, visible ou invisible. Pourtant, les chiffres de sa représentation à l’écran sont loin d’atteindre ce quart de la population. « Un récent rapport du CSA indiquait que seules 0,47 % des personnes visibles dans les médias belges affichent un handicap visible, explique Luc Boland, réalisateur et fondateur du TEFF, et père du musicien Lou Boland, porteur du syndrome de Morsier. Au cinéma et dans les fictions, c’est la même chose, on voit peu de personnages handicapés. Et comme le dit Adda Abdelli, comédien et co-créateur de la série Vestiaires, et que nous avons reçu au festival: plus on nous verra, moins on nous verra. »
Au cours de la discussion, on essaie de se remémorer les films célèbres -et célébrés- mettant en scène des personnages avec un handicap: Intouchables en 2011 (« Vous savez ce qui est drôle avec ce film? C’est qu’à l’époque, il n’y avait pas une seule salle de cinéma accessible aux PMR en Belgique! »), et bien sûr, des classiques hollywoodiens comme Rain Man, My Left Foot, Forrest Gump… Le point commun entre ces films? Leurs interprètes valides jouant un personnage handicapé ont décroché un Oscar… « C’est ce que les Anglo-Saxons appellent le cripping up. On invoque souvent le box-office, en disant qu’il faut des acteurs bankables, que ça « servira la cause » en faisant venir le public. En attendant, ces rôles sont aussi des aimants à récompenses pour les comédiens. C’est ce qui rend singuliers à cet égard des films comme Un p’tit truc en plus récemment, ou Le Huitième Jour. »
Il faut dire que le secteur reste frileux, et rechigne à appliquer les belles paroles sur le devoir d’exemplarité du cinéma. « Un grand producteur belge m’a affirmé que ce n’était pas possible de recruter des seconds rôles, ou même des figurants handicapés, car ce serait un élément perturbateur à l’écran. On saura que les choses auront bougé quand le handicap ne sera plus le sujet des films, mais juste une caractéristique parmi d’autres d’un personnage. »
Responsable de la production et de l’organisation du Festival, Frédérique Laniel revient sur l’une des questions qui obsède l’équipe: comment rendre accessibles les films à tous les publics? « On est confrontés à des problématiques complexes. Je me souviens que nous voulions montrer un film espagnol, mais celui-ci était très bavard. Il aurait été impossible à proposer en audio-description avec sous-titres SME (sourds et malentendants). De plus, pour les producteurs et diffuseurs, ça représente une très grosse somme alors qu’ils pensent que le public ne se déplace pas. Mais ce public ne se déplace pas car les copies ne sont pas adaptées! Il faudrait créer un cercle vertueux en la matière. » Mais elle précise: les personnes handicapées ne représentent que 5 à 8 % de l’audience du TEFF (plus de 8 000 personnes en 2023). Le festival s’adresse à tous les publics, comptant sur le pouvoir du cinéma comme créateur d’empathie, permettant aux spectateurs de comprendre la notion de « privilège valide », qui fait que l’on occulte que notre monde est pensé par et pour les personnes valides, excluant de fait une large partie de celles et ceux qui pourtant le constituent.
Mélanger les publics
Mélanger les publics est justement au cœur du programme de CinéCité depuis sa création, avec l’ambition de faire de ce cinéma bruxellois un projet coopératif, mobilisant les citoyens et citoyennes de tous horizons, comme le rappelle Maëlle Rey, qui a coordonné la mise en place des séances La PERCHE.
Un jour, lors d’une séance « poussette » dédiée aux jeunes parents organisées par CinéCité, une dame venue avec son fils autiste est allée remercier l’équipe car le volume sonore adapté leur avait permis de profiter pleinement de la séance. Cela a fait réfléchir l’équipe, qui s’est inspirée de ce qui existait ailleurs, notamment les séances Ciné Relax en France, pour créer la PERCHE, des séances accessibles à des personnes présentant des handicaps à la fois sensoriels, physiques ou cognitifs. « Ca implique beaucoup de choses que l’on ne soupçonne pas a priori, détaille Maëlle Rey, comme équiper la salle d’une boucle à induction magnétique pour permettre aux gens qui ont un équipement auditif de se connecter, laisser une lumière tamisée pour permettre la circulation, se procurer des copies sous-titrées SME mais aussi audiodécrites, baisser le volume sonore, aménager un espace relax en dehors de la salle pour les spectateurs qui auraient besoin d’un lieu pour décompresser pendant la projection. Et bien sûr ça a un impact en termes de programmation, d’abord parce qu’il faut trouver des copies qui disposent de tous ces éléments techniques, mais aussi car nous sommes attentifs au contenu des films, non seulement pour s’adresser à différents types de public -enfants, familles mais aussi adultes-, mais aussi pour veiller à ce que les narrations ne soient pas trop complexes à suivre. »
L’ASBL a reçu des aides pour une durée de 18 mois, « et même si c’est difficile à financer, on constate un changement au niveau des opérateurs culturels, et on est sincèrement convaincus qu’il faut mettre en place un cercle vertueux. Il y a des habitudes à créer. Pour nombre de spectateurs présentant un handicap, c’est un premier vrai contact avec la salle de cinéma. C’est aussi pour ça que les notions d’accueil, de communication et de partage sont primordiales pour nous. C’est un travail sur le long terme qu’il va falloir mener. »
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici