Trine Dyrholm, une actrice sans peur

Trine Dyrholm a travaillé son personnage comme elle le fait toujours, "sans idée arrêtée, sans jamais être sûre de rien".
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Trine Dyrholm n’a jamais eu froid aux yeux. L’actrice danoise le prouve encore dans le transgressif Queen of Hearts. Rencontre.

« J’aime être aussi intrépide que possible quand je travaille. Il m’arrive de connaître la peur dans la vie quotidienne mais il me faut l’ignorer dans ma vie d’actrice pour pouvoir aborder ces personnages complexes qui m’attirent, pour me mettre moi-même au défi et accepter les challenges que me proposent les gens si intéressants avec lesquels je collabore. Mais il n’y a pas que la peur à écarter. La vanité n’a pas non plus sa place. Vous ne devez pas vous demander comment les choses seront perçues de l’extérieur mais bien vous concentrer sur ce qui se passe à l’intérieur des personnages. »

Trine Dyrholm parle avec enthousiasme de « cet espace de liberté absolue » où elle peut « explorer des personnages et des problèmes passionnants« . L’actrice danoise née à Odense (1) n’a pas qu’une corde à son arc. Musicienne et chanteuse (elle enregistre son premier album à… 14 ans, et se produit régulièrement sur scène), formée au théâtre et à la danse, elle a marqué le 7e art en tenant des rôles inoubliables dans Festen, En eaux troubles, Royal Affair et La Communauté. On l’a vue récemment incarner la chanteuse Nico dans Nico, 1988, et elle est à nouveau extraordinaire aujourd’hui dans Queen of Hearts. Son personnage de femme prise de désirs singuliers et posant des actes inattendus, voire choquants, la comédienne l’a joué comme elle le fait toujours, « sans idée arrêtée, sans jamais être sûre de rien, en découvrant Anne au fur et à mesure, jour après jour. Même si vous travaillez beaucoup en amont, même si vous participez à l’évolution du scénario pendant des années comme je l’ai fait, même si vous faites de nombreuses répétitions, tout commence vraiment au premier jour du tournage, et il vous reste des choses à découvrir jusqu’au tout dernier. Même après, il doit rester un certain mystère. Quand j’entends le mot « Action! », je ne sais jamais ce qui va se passer, même si c’est à moi de le faire. Je connais les mots, la situation, mais en même temps, sur le moment, je ne sais rien de ce qui va se produire et être ressenti, au fond. Comme dans la vie réelle. C’est comme ça que nous fonctionnons. »

Trine Dyrholm, une actrice sans peur

De quoi nous sommes faits

Les mots qui se pressent dans les propos de Trine Dyrholm sont d’une précision et d’une justesse peu banales. Bien consciente de la charge transgressive du personnage d’Anne, elle n’a en aucun cas voulu faire de cette femme un vecteur de débat. « Il était primordial de montrer qu’elle ne calcule pas, qu’elle navigue à vue, qu’elle s’est retrouvée d’elle-même sous pression dans un coin suite à une série d’éléments, dont les actes qu’elle pose mais aussi son éducation, sa culture, même son ADN… » L’actrice ne souhaite rien plus que de « voir les spectateurs ne pas pouvoir anticiper mais découvrir les choses en même temps que le personnage« . Elle embrasse la volonté de la réalisatrice May el-Toukhy d’explorer non pas le thème usé du bien contre le mal, mais plutôt celui du mal dans le bien. « Je ne crois pas au bien et au mal, explique-t-elle, je crois au bon comportement et au mauvais comportement, au bon choix et au mauvais choix. Nous sommes tous capables de choses horribles, sans qu’on puisse pour autant nous déclarer « mauvais ». Il y a toujours bien plus dans une histoire qu’il n’y paraît au premier abord. La vie est compliquée, la nature humaine l’est aussi, beaucoup, beaucoup, beaucoup… »

« L’art, le cinéma, peuvent nous aider à comprendre de quoi nous sommes faits« , clame Trine Dyrholm, représentante majeure de ce que le cinéma danois peut avoir de plus audacieux, de plus aventureux, de plus rebelle aux conventions et de toujours porté vers le tutoiement des limites. « Si nos films ont cette propension à bousculer, à aller loin, c’est je crois d’abord parce que nous avons les producteurs les plus ouverts du monde, commente l’actrice, des gens qui laissent aux artistes une liberté totale. Je vois aussi comme explication le fait que nous aimons beaucoup travailler ensemble, faire que le travail collectif soit bien plus que la somme des talents de ses participants. On est plus fort ensemble. Et on a beaucoup plus de courage quand on a du courage à plusieurs! »

(1) La ville natale du célèbre auteur de La Petite Sirène Hans Christian Andersen.

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Queen of Hearts ****

De May el-Toukhy. Avec Trine Dyrholm, Gustav Lindh, Magnus Krepper. 2h07. Sortie: 19/06.

Au mitan de sa vie, Anne semble avoir tout pour elle: la réussite matérielle et professionnelle (elle est avocate), une famille harmonieuse, préservée de toute crise ou presque. Quand le fils d’un premier mariage de son mari vient vivre sous leur toit, l’existence d’Anne s’en trouve bouleversée. Au point de remettre en question beaucoup de choses… Queen of Hearts tient du mélodrame intimiste et l’assume, sans chercher de flamboyances à la Douglas Sirk mais en tenant une ligne sobrement réaliste. May el-Toukhy sait qu’elle peut laisser les commandes émotionnelles de son film à une Trine Dyrholm en état de grâce. Un actrice sans inhibition qui trouve un de ses meilleurs rôles tout en repoussant, une fois de plus, des limites psychologiques et morales qu’aime décidément défier le meilleur cinéma danois. Captivant parfois jusqu’au malaise et d’une audace sans fracas, Queen of Hearts ne se laisse pas facilement oublier.

Trine Dyrholm, une actrice sans peur

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