Toujours plus haut: zoom sur l’alpinisme au cinéma

Everest de Baltasar Kormakur (en 2015), ou quand expédition sur la plus haute montagne du monde rime avec tempête apocalyptique...
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Le cinéma ne pouvait ignorer l’appel des sommets. Avec des résultats parfois vertigineux.

Chaque semaine de l’été, zoom sur un sport extrême vu à travers ses déclinaisons au cinéma.

La nature se fait la plus spectaculaire à mesure qu’on s’élève vers les cimes des montagnes, cadre presque toujours grandiose et quelquefois sublime. Il était logique de voir le cinéma lever son regard vers ces paysages majestueux, vers ces sommets dont le caractère imposant, les dangers qu’ils recèlent très souvent, invitent aussi l’être humain à s’y mesurer, quitte à risquer sa vie. L’alpinisme, l’escalade, sont devenues des activités largement répandues. On fait même désormais la file sur certaines pentes fameuses de l’Himalaya… Mais longtemps ce furent les passions de quelques audacieux, grimpant en solitaire ou en tout petit groupes dans des conditions extraordinairement périlleuses, sans bulletin météo fiable ni matériel high-tech, sans balise de détresse ni moyen de communication directe avec le monde d’en bas. C’est dans la seconde moitié du XIXe siècle que l’alpinisme tel que nous le connaissons naquit et se développa, sous l’impulsion surtout de riches Britanniques épris de défis et certainement marqués par le romantisme alors à son apogée. Un mouvement artistique et philosophique faisant de la nature sauvage une forme d’idéal. Au cinéma, les Anglais ne furent pourtant pas précurseurs. Les Italiens et les Allemands furent les premiers de cordée pour faire de l’alpinisme un sujet de films…

Avec la France et la Suisse, ces deux pays formaient le coeur de zone élu par les premiers escaladeurs, massif alpin oblige. Dès les années 10, le réalisateur et alpiniste Mario Piacenza épatait son monde avec Ascension au Cervin et Ascension à la dent du Géant, deux documentaires de 1911 encore impressionnants à regarder aujourd’hui. Cinq ans plus tard, auréolé du triomphe de son méga péplum Cabiria, Giovanni Pastrone signait avec Maciste Alpino (1916) le premier film de fiction inscrit dans le cadre. Un tournant décisif! La décennie suivante voyait le cinéma allemand imposer sa marque en érigeant la montagne en décor dramatique, symbolique, voire un moteur décisif d’intrigues exacerbant les passions, amoureuses surtout. Après le très romantique La Montagne sacrée (1924), Arnold Fanck réalisa entre autres Prisonniers de la montagne (1929) et Tempête sur le mont Blanc (1931) avec une jeune actrice dont on allait vite reparler: Leni Riefenstahl. Laquelle allait réaliser elle-même l’extraordinaire Lumière bleue dès l’année suivante. La décennie voyant aussi l’alpiniste Luis Trenker, devenu cinéaste, enchaîner les succès dont Le Défi sur la concurrence de deux hommes voulant vaincre en premier le Cervin. Le genre allait décliner ensuite en Allemagne, à la notable exception du formidable Gasherbrum, la montagne lumineuse, le documentaire halluciné de Werner Herzog.

Premier de cordée
Premier de cordée

La France s’élève, Hollywood dévisse

Comme en réaction au romantisme échevelé de leur voisin teuton, les cinéastes français allaient adopter un ton plus modéré, un style plus épuré. La montagne cessait chez eux d’attirer amour fou et jalousie meurtrière. Ouste le pathos! Les alpinistes se retrouvaient au centre des films de l’école française, notablement dans Premier de cordée (1944), adaptation par Louis Daquin du roman à succès de Roger Frison-Roche. L’histoire d’un jeune homme, fils de guide de haute montagne, qui poursuit envers et contre tout le projet de faire ce même et périlleux métier. Mais le réalisateur le plus important de ces années-là sera Marcel Ichac, alpiniste comme Trenker et qui usa de caméras légères (de fabrication allemande…) pour réussir des plans sensationnels en caméra subjective, de son film manifeste À l’assaut des aiguilles du Diable (1942) au fameux Victoire sur l’Annapurna (1950).

Et Hollywood dans tout ça? Un des plus grands studios de production, Paramount, avait bien choisi pour logo, dès les années 10, l’image d’un sommet montagneux enneigé (une interprétation graphique de la Ben Lomond Mountain, en… Écosse). Mais les films tardèrent un peu à suivre dans l’usine à rêves toute proche des plages californiennes. Non sans ironie, la première oeuvre marquante fut l’oeuvre d’un immigré européen (et juif), l’Autrichien Erich von Stroheim. Dans Blind Husbands (La Loi des montagnes, 1919), ce génie excentrique narre la séduction d’une touriste par un militaire (qu’il joue lui-même), l’inévitable confrontation avec le mari alpiniste et jaloux se déroulant durant une ascension fatale…

L’héritage allemand du film faisant de la montagne un décor dramatique marqua d’autant plus l’approche hollywoodienne que le contingent de transfuges locaux poussés vers l’exil par la politique et les exactions des nazis ne cessa de grandir dans les années 30. Pas ou peu d’alpinisme au menu dès lors, et ce jusqu’aux années 50 où The Mountain (Edward Dmytryk, 1956) adapta le roman français d’Henri Troyat La Neige en deuil avec le grand Spencer Tracy dans le rôle d’un guide de montagne chevronné, confronté au crash d’un avion dans le massif du mont Blanc. Il fallut attendre 1982 et le Five Days One Summer de Fred Zinnemann pour pouvoir célébrer une authentique réussite. Hollywood semblait ne pas pouvoir échouer au pied de l’obstacle, ni dévisser en pleine ascension. En termes de moyens financiers et surtout techniques, la force était avec l’industrie étatsunienne du cinéma. Les résultats ne furent pourtant pas à la hauteur du potentiel disponible!

Cliffhanger
Cliffhanger

Thrillers en altitude

Il revint à Clint Eastwood, au milieu des années 70, d’esquisser le sous-genre du thriller alpiniste. Dans The Eiger Sanction, il incarne lui-même un savant doublé d’un tueur, dont la cible est un collègue (tueur) au service de l’URSS, les deux hommes faisant partie d’un groupe d’alpinistes lancés à l’assaut de l’Eiger, un sommet suisse des plus redoutables. Parmi les films poursuivant dans cette voie avec un succès mitigé, on signalera Cliffhanger (1993) avec un Sylvester Stallone campant un alpiniste et secouriste pris en otage par les malfrats rescapés d’un avion qui s’est écrasé en haute montagne. En 2008, l’Allemagne reprenait la main avec le prenant Duel au sommet de Philipp Stölzl, sur la course de vitesse entre deux cordées (l’une allemande et l’autre autrichienne) grimpant la face nord de l’Eiger, sur fond de propagande nazie à peu de temps des Jeux olympiques de Berlin. Un suspense spectaculaire, comme l’avait été huit ans plus tôt celui de Vertical Limit (réalisé par Martin Campbell), où un alpiniste joué par Chris O’Donnell se trouve par deux fois confronté à des circonstances tragiques -et familiales- lors de ses missions. La dernière étant de sauver sa soeur en péril sur le K2, le deuxième plus haut sommet du monde après l’Everest.

Free Solo
Free Solo

Du réel à la fiction

Si le cinéma de fiction n’a pas toujours placé l’alpiniste au coeur de ses films de montagne, le documentaire a de plus en plus largement compensé. Dès le tout début du XXe siècle, des audacieux filmaient l’ascension du Cervin (1901), du mont Blanc (1903), et même un sauvetage sur un glacier suisse (1905). Le cinéma n’avait pas encore dix ans que l’alpinisme s’y inscrivait déjà durablement en sujet de films n’ayant pas besoin forcément d’intrigue pour captiver le regard et susciter l’émotion. Au fil des années, les documentaires se sont succédé, tournés généralement par des réalisateurs et surtout des cameramen eux-mêmes alpinistes émérites. Car même si la magie du cinéma tend à le faire oublier, l’alpiniste en plein effort le long d’une paroi difficile ne pouvait être filmé que par un technicien accroché lui-même au même niveau voire (souvent) plus haut! Aujourd’hui, pareil risque n’est plus nécessaire, grâce aux caméras montées sur des drones qui donnent un nouveau souffle au genre. Tout récemment, le captivant Free Solo (2018) chroniquait la tentative du grimpeur à mains nues Alex Honnold d’atteindre seul le sommet d’El Capitan dans la parc Yosemite en Californie. Les festivals consacrés au documentaire de montagne fleurissent un peu partout dans le monde occidental, concrétisant un intérêt fervent que soutiennent par ailleurs des films de fiction de plus en plus souvent basés sur des faits réels qu’ils recréent avec plus ou moins de bonheur. Si Everest (2015) de Baltasar Kormákur n’a pas le trait fort subtil pour évoquer l’épreuve affrontée dans les années 90 par deux expéditions sur la plus haute montagne du monde se retrouvant prises dans une tempête apocalyptique, 127 heures (2010) voit le réalisateur de Trainspotting Danny Boyle réussir l’évocation de la terrifiante mésaventure vécue par l’alpiniste Aron Ralston. Tout en ramenant le genre à son probable essentiel qui reste la combinaison d’une immense admiration vis-à-vis de la nature sauvage et du désir qu’a l’humain de s’y tester, de s’y mesurer à ses risques et périls, dans une quête d’absolu.

Les sommets du genre

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La Lumière bleue

Un an avant de rencontrer un Hitler dont elle deviendra la propagandiste inspirée dans des films comme Le Triomphe de la volonté et Les Dieux du stade, Leni Riefenstahl réalise son premier film, tout en y incarnant une jeune femme experte en escalade, seule capable d’atteindre un sommet où une grotte magique diffuse une étrange lumière. On la soupçonnera d’être une sorcière… La Lumière bleue (1932) est un tour de force dramatique et visuel. Le futur Führer en sera très impressionné. On connaît la suite…

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Five Days One Summer

Au tout début des années 30, un quinquagénaire écossais arrive dans les Alpes suisses pour pratiquer l’escalade. Il est accompagné d’une très jeune femme qu’il présente comme son épouse. Le guide qui va les accompagner vers les cimes ne sera pas insensible au charme de cette dernière… Fred Zinneman réussit en 1982 un drame montagnard en tout point fascinant. Il y réunit trois acteurs remarquables: Sean Connery, Lambert Wilson et Betsy Brantley, future femme de Steven Soderbergh, et son interprète dans Schizopolis.

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Gasherbrum, la montagne lumineuse

Werner Herzog ou le cinéaste des extrêmes, des rêves les plus fous! Le réalisateur d’Aguirre, la colère de dieu est ami avec Reinhold Meissner, une légende de l’alpinisme. En juin 1984, il le filme dans sa plus ambitieuse entreprise: enchaîner d’une traite l’ascension de deux sommets situés respectivement à 8 068 mètres et 8 035 mètres! De terribles obstacles seront à surmonter, pour une expérience existentielle et cinématographique hallucinante. De quoi vibrer, frémir et aussi méditer.

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127 Days

À seulement 27 ans, Aron Ralston est un alpiniste déjà très expérimenté. C’est avec confiance et sans avertir personne qu’il part grimper un massif de l’Utah. La chute d’un rocher qui coince son bras va le bloquer au fond d’un canyon reculé. La survie du jeune homme aura un prix, cruel… Danny Boyle dirige avec brio un excellent James Franco dans un film de 2010 très prenant, inspiré d’une histoire vraie. Un récit de survie palpitant, doublé d’une intense expérience humaine.

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