Critique | Cinéma

The Iron Claw: quand la masculinité toxique mène au K.O.

4,5 / 5
Le clan Von Erich: une famille unie jusqu'à l'étouffement. © dr
4,5 / 5

Titre - The Iron Claw

Genre - Drame/Biopic

Réalisateur-trice - Sean Durkin

Casting - Avec Zac Efron, Jeremy Allen White, Harris Dickinson

Sortie - En salles le 6 mars 2024

Durée - 2 h 12

Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Autour du clan Von Erich, famille de catcheurs américains influents des années 80 dont l’histoire fut marquée par la tragédie, Sean Durkin signe, avec The Iron Claw, une fiction majeure sur les profonds ravages occasionnés par une masculinité toxique.

En trois longs métrages seulement, il a déjà réussi à construire une œuvre cinématographique d’une cohérence rare, à l’exécution sans faille. Né au Canada au début des années 80, Sean Durkin a d’abord grandi en Angleterre, près de Londres, puis à New York, où il a étudié le 7e art. En 2011, il signe, avec Martha Marcy May Marlene, un premier film en forme d’envoûtant drame psychologique autour d’une femme sous influence qui tente de se reconstruire après avoir fui l’aliénation d’une secte dirigée par un leader aussi charismatique que manipulateur. Neuf ans plus tard, The Nest, avec Jude Law, le voit tisser sa toile à l’horreur larvée autour d’un homme à l’ambition dévorante qui emmène à sa suite toute sa famille au bord du gouffre. Le point commun entre ces deux films? Le dévoilement des mécanismes d’emprise mis en place par des figures d’autorité paternelle toxiques.

C’est à nouveau, et peut-être plus littéralement encore, la thématique qui sous-tend aujourd’hui The Iron Claw, le troisième long métrage de Durkin. Celui-ci s’y intéresse à l’histoire vraie des inséparables frères Von Erich, qui ont marqué de leur empreinte l’Histoire du catch professionnel tout au long des années 80. Entraînés par un père tyrannique, obsédé par l’idée d’assouvir à travers eux son insatiable soif de reconnaissance, ils vont devoir faire face à ce que l’on a appelé alors la malédiction des Von Erich, la fatalité n’en finissant pas de s’abattre sur le clan. Mais, entre triomphes bien éphémères et cruelles tragédies, leur histoire, on le comprend bien assez tôt, n’a rien à voir avec une infortune d’ordre mythologique: au contraire, elle est le triste produit d’une paternité nocive qui enserre et étouffe chacun des fils.

Emmené par un casting royal (un Zac Efron méconnaissable, la nouvelle coqueluche de la série The Bear Jeremy Allen White, la star de Triangle of Sadness Harris Dickinson…), The Iron Claw est un drame d’une admirable puissance immersive, aux désarmants aveux de fragilité sous les poussées fiévreuses de testostérone. Nous en avons parlé longuement avec Sean Durkin par Zoom. Morceaux choisis.

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Vous êtes fan de catch depuis l’enfance. Gamin, en Angleterre, dans les années 80, vous étiez déjà fasciné par la famille Von Erich. Qu’est-ce qui vous a fait aimer ce sport et pourquoi avez-vous spécifiquement eu envie de raconter l’histoire de cette famille?

Gamin, j’étais plutôt du genre tranquille et effacé. Je ressentais beaucoup de choses à l’intérieur mais j’avais du mal à les faire sortir. Or, face à des matchs de catch, j’ai très vite compris que je parvenais à expulser des émotions. Le catch incite tout un chacun à crier, à commenter, à s’énerver ou à s’enthousiasmer. C’est un catalyseur d’émotions, qui vous permet de ressentir énormément de choses par procuration. Sur le ring, il y a par exemple toute une mise en scène de l’injustice destinée à vous faire bouillir et qui provoque en vous des sentiments que vous pouvez exprimer comme bon vous semble. Alors que, dans la vie, face à des injustices répétées, vous n’avez pas toujours la possibilité de dire quoi que ce soit. Très tôt, j’ai ressenti une connexion émotionnelle très forte avec le catch. Je me souviens que je suis d’abord devenu fan de la famille Von Erich en regardant des cassettes VHS qui compilaient les meilleurs moments de certains matchs. Et puis j’ai eu la chance de voir Kerry combattre en vrai plusieurs fois. Quand il s’est suicidé en 1993, j’avais 11 ans, et sa mort m’a véritablement hanté. Le frère de mon père venait de décéder et je pense que je faisais des parallèles dans ma tête entre la famille de mon père, qui avait six frères, et la famille Von Erich.

Lily James et Zac Efron dans la peau de Pam Adkisson et Kevin Von Erich: un couple royal.
Lily James et Zac Efron dans la peau de Pam Adkisson et Kevin Von Erich: un couple royal. © dr

Comme dans The Nest, l’idée même de fragilité, ou de sensibilité, semble bannie de la vie des personnages masculins de The Iron Claw. Pourtant, elle finit toujours par faire résurgence. L’histoire de la famille Von Erich est moins l’histoire d’une malédiction que celle d’un clan victime de ses propres ambitions et croyances…

Bien sûr. La malédiction, en soi, n’existe pas. Elle tient à l’aveuglement masculin qui érige la force et le succès en valeurs cardinales. Casser le moule est le seul moyen d’échapper à la malédiction. C’est le chemin libérateur que seul entrevoit le personnage de Kevin, joué par Zac Efron.

Chacun de vos films se construit autour d’une figure patriarcale toxique…

C’est vrai. Mais, comme dans The Nest, le père de The Iron Claw fait, je crois, ce qu’il pense être juste et bon pour sa famille. Même s’il se trompe lourdement. Ce sont, me semble-t-il, des pères aimants mais qui se fourvoient complètement. Ce qui m’intéresse sans doute plus que tout, c’est ce décalage énorme entre la volonté de bien faire et les ravages que cela peut provoquer à l’arrivée. Il y a là-derrière un angle mort qu’il est fascinant d’observer. Par ailleurs, ces pères sont, à leur façon, tous les deux victimes du rêve américain. Ils courent après une ambition chimérique qui est destructrice. Chacun de mes films questionne la nature de nos ambitions et de nos croyances. Pourquoi croyons-nous ce que nous croyons? Pourquoi vivons-nous comme nous vivons? Ce sont des questionnements qui étaient présents, en effet, dès Martha Marcy May Marlene.

De bien des manières, la famille Von Erich est la pure incarnation de cette expression très typique de la culture du divertissement américaine qu’est “The show must go on”…

C’est quelque chose de très américain, oui, et c’est un mode de pensée particulièrement présent dans le monde du catch, que la famille Von Erich a poussé à un degré de quintessence assez extrême. Cette idée de divertissement à tout prix me fascine, quelque part, mais me questionne aussi beaucoup, par ses aspects les plus destructeurs. La malédiction des Von Erich tient au fond, je crois, énormément à leur refus de s’arrêter un moment pour ressentir la douleur, le chagrin et le deuil. David Von Erich est mort pour et par cette idée de “The show must go on”. Il n’allait pas bien et a refusé de voir un médecin, afin de continuer à pouvoir se battre. Il en est mort, et en un sens cette mort a scellé toutes les autres. Dans le film, Fritz, le père Von Erich, dit à la mort de David: “Ne laissons pas cette tragédie nous définir.” Or c’est exactement ce qu’il provoque en adoptant cette attitude. Il faut savoir que Fritz venait lui-même d’un milieu très brutal. Il était le fils d’un shérif violent au Texas. Il incarne bien cette idée que la violence est une chose qui se transmet de père en fils à travers les générations.

Kerry Von Erich (Jeremy Allen White), itinéraire d'un enfant gâché.
Kerry Von Erich (Jeremy Allen White), itinéraire d’un enfant gâché. © dr

Il y a de la violence, mais aussi une incroyable générosité dans cette idée de divertissement offert à n’importe quel prix…

Complètement. Chavo Guerrero, un catcheur professionnel, nous a servi de coach et de consultant privilégié. Son oncle, Eddie Guerrero, un catcheur très célèbre, est mort dans ses bras dans une chambre d’hôtel en novembre 2005. Le soir même, Chavo combattait devant des milliers de personnes, en hommage à son oncle mais surtout pour répondre à l’attente des fans. Il y a là un sens du sacrifice assez radical, qui confine à une sorte de grande générosité, oui.

Vous filmez l’histoire de la famille Von Erich dans un mélange de physicalité très immersive et de distance plus pudique. Avez-vous été influencé par d’autres films de sport?

Ma plus grande influence pour ce film a incontestablement été The Deer Hunter de Michael Cimino, qui n’est pas à proprement parler un film sur le sport mais qui possède quelque chose à la fois de très athlétique et de très intime dans ses séquences de chasse et de guerre. Il y a une idée de fraternité très forte entre les personnages également qui m’a beaucoup inspiré. Si je devais citer deux autres films importants, je dirais sans hésiter Raging Bull de Martin Scorsese et Dazed and Confused de Richard Linklater.

On insiste toujours énormément sur le côté chiqué et simulé du catch, mais votre film montre qu’il y a aussi beaucoup d’authenticité dans ce sport spectacle…

C’est quelque chose d’absolument primordial pour moi. Vous savez, tous les divertissements que nous consommons aujourd’hui sont hyper scénarisés. Alors pourquoi se concentrer autant sur le côté fake du catch? Le catch est une affaire de performance. Ce qui compte, c’est la connexion émotionnelle que le catcheur parvient à établir avec le public. En cela, c’est pour moi le même enjeu que pour un acteur ou un musicien sur scène. J’ai énormément d’admiration pour les bons catcheurs. Et je tenais à ce que mon film possède une vraie sincérité émotionnelle dans sa manière d’appréhender le catch. Il y a quelque chose de très cathartique qui se joue sur le ring. Les combats traduisent nos propres difficultés face à l’adversité de manière épique. Ils nous racontent des histoires de lutte et de survie comme la mythologie antique pouvait le faire, par exemple.

Plaquages et clés de bras à l’écran

La Taverne de l’enfer De Sylvester Stallone, 1978.

Juste après le succès inespéré du Rocky inaugural, Sylvester Stallone signe son premier long métrage en tant que réalisateur avec La Taverne de l’enfer (Paradise Alley en VO). Ce drame sportif poisseux dont Tarantino raffole (voir son livre Cinéma Spéculations) raconte, dans les années 40, l’histoire de trois frangins combinards issus du quartier de Hell’s Kitchen à Manhattan, où ils fréquentent un club privé malfamé dévolu à de féroces combats de catch. Méconnu, bordélique, mais percutant.

Nacho Libre De Jared Hess, 2006.

Dans cette comédie joyeusement décomplexée, l’inénarrable Jack Black incarne le cuisinier foireux d’un monastère mexicain qui se lance en secret dans une carrière de lutteur masqué. Avec sa cape, ses collants et ses bottes, il se découvre un talent insoupçonné pour l’art spectaculaire et aérien de la lucha libre. Teinté d’un humour absurde assez délirant, le film vaut avant tout pour les pitreries jusqu’au-boutistes de Jack Black, qui semble y prendre un plaisir aussi enfantin que sincère.

The Wrestler De Darren Aronofsky, 2008.

En ancienne gloire fracassée du catch tentant de renouer avec sa grandeur passée au risque d’y laisser sa peau, Mickey Rourke, ravagé, met d’évidence beaucoup de lui-même dans ce portrait tragique d’un écorché vif accro au spectacle à tout prix. Lion d’or à Venise en 2008, The Wrestler plonge dans les coulisses peu reluisantes du showbiz à la suite d’une véritable figure christique qui multiplie les pains (dans la gueule). Entre mélo tire-larmes et quasi-docu sur Rourke, brièvement ressuscité.

GLOW Une série Netflix, 2017-2019

Vrai coup de cœur pour cette série Netflix produite par Jenji Kohan (Weeds, Orange Is the New Black) et emmenée par l’attachante Alison Brie (Community). Dans le Los Angeles du milieu des années 80, une bande de marginales s’y réinventent pour devenir les Gorgeous Ladies of Wrestling, catcheuses incarnant des personnages hauts en couleur pour la télévision. Tendre sous son vernis comique, GLOW balance le virilisme dans les cordes et envoie de jolies manchettes à l’Amérique triomphante.

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