Swallow: femme-objet

Dans Swallow, Hunter (Haley Bennett) souffre du pica. Un thème inspiré au réalisateur Carlo Mirabella-Davis par sa grand-mère.
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Premier long métrage gonflé du très prometteur Carlo Mirabella-Davis, Swallow fait le portrait singulier d’une femme mal mariée qui se rebelle en avalant des objets peu digestes.

Connaissez-vous le pica, trouble du comportement alimentaire caractérisé par l’ingestion de substances non comestibles? Dans Swallow, récit d’angoisse domestique à l’implacable mécanique de dérèglement, Hunter, une femme au foyer friquée à l’impassible visage de cire, trompe le vide et l’ennui de son existence routinière en avalant des objets à sa disposition: épingle, bille, pierre, rembourrage de matelas… La matière de ce premier long métrage étonnant, qui est sans doute avant tout à envisager comme une ode déviante à la liberté et à l’émancipation, a été inspirée au réalisateur Carlo Mirabella-Davis, timide échalas dégingandé au look attachant de grand hobo burtonien, par la vie de sa propre grand-mère. « Ma grand-mère était une femme au foyer emprisonnée dans un mariage malheureux au coeur de l’Amérique des années 50, nous racontait-il en septembre dernier au festival de Deauville, d’où le film est reparti auréolé du Prix spécial de cette 45e édition. Incapable de s’accommoder du paradigme oppressif qui régissait son quotidien, elle a commencé à développer des rituels de contrôle maladifs, qui lui permettaient plus que probablement de réintroduire de l’ordre et du sens dans une existence qui en était cruellement dépourvue pour elle. Concrètement, elle se lavait les mains de manière compulsive. Elle pouvait ainsi user jusqu’à quatre blocs de savon par jour et vider jusqu’à douze bouteilles de désinfectant par semaine. À tel point que mon grand-père a fini par la faire interner dans un institut psychiatrique où on la « soignait » à coups d’électrochocs, de chocs d’insuline et de lobotomie non-consentie. Elle était complètement cassée. Elle a perdu le goût et l’odorat. Je pense qu’il y avait quelque chose de très punitif dans cette thérapie. On la punissait en quelque sorte de ne pas avoir répondu aux attentes normatives de la société d’alors, de ne pas être capable de se conformer à la figure traditionnelle de mère et d’épouse. C’est de sa différence, au fond, qu’on entendait la guérir, et ce sujet s’est imposé à moi comme le coeur battant de mon premier film. »

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Un cinéma de la subjectivité

Mirabella-Davis commence alors à s’intéresser de près à la question du pica, qui lui semble illustrer de manière assez limpide le désir profond de renouer avec son moi primal et essentiel dans un cadre coercitif où l’on se sent dépossédé de son âme et de son identité. « J’ai rencontré beaucoup d’experts qui m’ont guidé dans l’élaboration du personnage de Hunter. J’ai également rencontré plusieurs personnes atteintes du pica, dont un homme qui en était arrivé à avaler des brosses à dents entières encore dans leur emballage et qui devait bien sûr à chaque fois subir une intervention chirurgicale pour les extraire de son corps. Il existe beaucoup de cas très différents. Certains avalent de la terre, d’autres de la peinture séchée… Je me souviens des premières images que j’ai vues du contenu extrait de l’estomac de quelqu’un qui avait le pica. Tous ces objets alignés comme s’ils avaient été exhumés d’une fouille archéologique… J’étais fasciné par la question de savoir pourquoi cette personne avait choisi ces objets-là en particulier. Je crois que, en un sens, chaque objet fonctionne comme un artefact sacré, qu’il est censé représenter une émotion ou un souvenir. Vous savez, tous les rituels de contrôle liés à un trouble obsessionnel compulsif ont quelque chose de réconfortant parce qu’ils ramènent les problèmes et la complexité du monde qui vous entoure à quelque chose de très réduit, de très précis. Moi-même, je m’adonne à des rituels de ce genre, qui consistent notamment à collecter des objets et à les aligner. Et je pense que c’est vraiment l’idée de se donner l’illusion qu’on est capable de reprendre le contrôle sur ce qui nous échappe dans notre vie. Si vous pouvez aligner correctement tous les objets qui se présentent à vous, eh bien c’est peut-être que l’univers n’est pas aussi chaotique qu’il n’y paraît à première vue. Pour en revenir à Swallow, j’espère vraiment que tous les gens qui se sont sentis un jour en proie à des angoisses dans leur vie, qui ne se sont pas sentis à leur place à tel moment ou dans tel endroit, pourront d’une certaine manière connecter avec le film et le personnage de Hunter. »

Swallow: femme-objet

Si le film ne tient peut-être pas tout à fait ses promesses sur la distance -ce final étrangement surexplicatif-, il impressionne durablement par la capacité qu’a sa mise en scène à suspendre le temps. Et à nous faire entrer dans la subjectivité de son étrange protagoniste, une femme éteinte, prisonnière d’une maison de verre dont les microfissures révèlent les failles intimes. « J’ai beaucoup pensé au cinéma de Terrence Malick en faisant ce film. J’aime la façon dont sa mise en scène a la capacité de vous faire pénétrer à l’intérieur de la conscience d’un personnage. Malick est un grand cinéaste de la subjectivité. Son travail m’a beaucoup inspiré dans ce sens-là. Notamment dans ces moments où Hunter peut éprouver une véritable épiphanie, une expérience mystique, quasiment transcendantale, avec les objets qu’elle entreprend d’ingérer. »

Swallow. De Carlo Mirabella-Davis. Avec Haley Bennett, Austin Stowell, Elizabeth Marvel. 1h35. Disponible en Premium VOD sur UniversCiné, Proximus Pickx, VOO, Lumière – Ciné chez vous. ***(*)

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