Suzume: récit d’apprentissage japonais d’une soufflante beauté

Suzume, un récit d’apprentissage au féminin doublé d’un road-trip à travers le Japon. © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Dans Suzume, Makoto Shinkai accompagne une jeune fille de 17 ans dans un récit d’apprentissage passant le Japon au crible d’un imaginaire fantastique pour un résultat d’une soufflante beauté.

L’un des événements de la 73e Berlinale, en février dernier, aura sans conteste été la présentation, en compétition, de Suzume, le nouveau long métrage de Makoto Shinkai, l’auteur de Your Name. Une première pour un anime japonais depuis Le Voyage de Chihiro d’Hayao Miyazaki, en 2002, c’est dire. L’auteur des Enfants du temps y raconte l’histoire de Suzume, jeune fille de 17 ans d’une petite ville de Kyushu, que sa rencontre avec Sota, un sémillant garçon lui annonçant chercher une porte, va entraîner dans un étonnant voyage. Situées dans des ruines disséminées aux quatre coins du Japon, ces portes constituent en effet les points de passage entre deux mondes, ouvrant la voie aux catastrophes dévastant régulièrement le pays. À charge pour des gardiens, au rang desquels Sota, de les refermer pour éviter le pire. Un kami malicieux déguisé en chat ayant transformé ce dernier en chaise animée à trois pieds, Suzume va tenter de l’aider dans sa mission. Le début d’un film d’aventures trépidant où le récit d’apprentissage au féminin se double d’un road-trip de toute beauté à travers le Japon et dans un imaginaire fantastique, arpentant encore les couloirs du temps et l’histoire personnelle chargée de la jeune fille. Une réussite majeure venue confirmer, si besoin, que Shinkai compte parmi les grands maîtres de l’animation nipponne.

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Assembler un puzzle

Cette histoire, Makoto Shinkai, que l’on rencontre au lendemain de la présentation du film dans un hôtel berlinois, raconte l’avoir mûrie pendant de longs mois, arrêtant d’abord les contours généraux de l’intrigue, avant de la fignoler au gré d’un processus de réécriture maintes fois renouvelé: “Je tenais à inclure beaucoup d’éléments dans ce film, intégrant aussi bien les cataclysmes naturels qu’une touche humoristique, et j’ai donc dû jongler avec eux. Il m’a fallu un an environ pour les assembler, comme on le ferait des pièces d’un puzzle.Un processus parfaitement maîtrisé, le film, au-delà de sa splendeur graphique, impressionnant par sa remarquable fluidité alors même que le scénario peut en paraître complexe.

En son cœur, donc, Suzume, une (grande) adolescente à l’aube d’un voyage initiatique qui, en plus de devoir accomplir la mission qu’elle s’est impartie, va lui tenir lieu de révélateur intime. Cette héroïne, le réalisateur confie n’avoir eu aucune peine à se projeter en elle: “Une partie de moi lui ressemble. Je peux vraiment comprendre ce qu’elle ressent. J’ai le sentiment qu’en chacun de nous réside aussi une jeune femme comme Suzume: nous sommes tous en mesure de comprendre ce par quoi elle passe, et je peux toujours me référer aux émotions que j’éprouvais quand j’avais son âge”, relève-t-il. Avant de détailler son processus créatif: “Sur base de cette expérience et de mes souvenirs, j’écris mon histoire et je crée un story-board. J’écris l’ensemble des dialogues, je pose les voix, j’ajoute une musique, et je crée un film très simple de 2 heures environ, que je montre à quelques personnes dont je recueille le feed-back, ce qui leur a semblé intéressant ou amusant, mais aussi ce qu’elles n’ont pas compris. En fonction de quoi on termine le story-board pour enfin passer à l’animation.

Après Fukushima

Comme dans d’autres de ses films, les désastres naturels occupent une place prépondérante dans Suzume. Le séisme du 11 mars 2011, suivi d’un tsunami dévastateur et de la catastrophe nucléaire de Fukushima, est passé par là bien sûr, dont Makoto Shinkai observe combien il infuse désormais son œuvre. “On ne peut décemment écrire sur le Japon d’aujourd’hui et ignorer ces désastres: les tremblements de terre, mais aussi les crues et inondations provoquées par le changement climatique, et jusqu’à la pandémie du Covid qui peut être considérée comme une catastrophe elle aussi. ça ne vaut d’ailleurs pas uniquement pour le Japon: on observe ça partout dans le monde, de même que l’on voit des guerres éclater. Si l’on considère le futur à l’horizon de 10 ou 20 ans, nous allons faire face à des désastres que nous ne pourrons ignorer, il va nous falloir composer avec eux. C’est aussi pourquoi il m’a semblé naturel de les intégrer à mes films.” Pour autant, si Suzume abonde en impressionnants décors de sites dévastés, le cinéaste veille aussi à imprimer au film une surprenante légèreté, idéalement “incarnée” par cette chaise à trois pieds qui en est un personnage aussi attachant qu’essentiel: “Le drame qui s’est produit il y a douze ans se trouvant au cœur du film, j’ai voulu contrebalancer la tristesse de l’histoire en dotant Suzume d’un compagnon qui soit à la fois singulier et amusant, et j’ai eu l’idée de cette chaise en laquelle se métamorphose Sota. Il s’agissait d’alléger quelque peu l’humeur d’ensemble.” Prolongement de cette volonté, le film dispense un message se voulant résolument positif. “À mes débuts, quand j’ai commencé à produire mes films, 5 centimètres par seconde par exemple, où je racontais l’histoire d’un premier amour qui n’aboutissait pas vraiment, il n’y avait pas de place pour un happy ending. Beaucoup de gens m’ont confié avoir apprécié ce film, parce qu’ils avaient vécu une expérience similaire, et on a vu en moi un réalisateur peu enclin à donner une résolution heureuse à ses films. La catastrophe de 2011 a complètement changé ma perception, et j’ai voulu porter un message d’espoir et la croyance en un avenir plus lumineux pour autant que l’on ne baisse pas les bras. Suzume, l’antidote aux temps présents?

Suzume ****, de Makoto Shinkai. 2 h 02. Sortie: 12/04.

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