Simon Coulibaly Gillard: « Aya, c’est avant tout un film sur la perte de l’enfance »

Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Jeune cinéaste basé à Bruxelles, Simon Coulibaly Gillard ramène d’une île de Côte d’Ivoire menacée par la montée des eaux un beau docu-fiction où le réel ouvre sur une dimension mentale d’ordre quasi fantasmatique.

« La mer peut venir, je ne m’en vais pas. » Tournée sur l’île de Lahou, en Côte d’Ivoire, petit coin de paradis voué à disparaître sous les eaux, la première fiction de Simon Coulibaly Gillard croque la destinée tragique, quasiment mythologique même, d’Aya (Marie-Josée Kokora), jeune fille joyeuse et insouciante qui vit avec sa mère sur une bande de terre qu’elle est déterminée à ne pas quitter. Rencontré en amont du dernier festival de Cannes, où Aya était présenté dans la petite section de l’Acid, son réalisateur insiste: « Pour moi, Aya, c’est avant tout un film sur la perte de l’enfance. Pas sur la perte d’un territoire. Dans le film, en effet, la perte du territoire n’est, quelque part, que la métaphore de ce qu’Aya va perdre. C’est-à-dire qu’elle voit les choses se désagréger, à commencer par son enfance, et qu’un jour elle devient une adulte qui n’a plus que ses souvenirs sur lesquels se retourner. Le drame qu’elle est occupée à vivre devient donc un prétexte pour illustrer symboliquement la fin d’une certaine innocence. En ce sens, son histoire est complètement universelle. Et si le film a été tourné en Afrique, ce n’est pas un film sur l’Afrique pour autant. »

Entre Simon Coulibaly Gillard et le continent africain, l’histoire n’est pas neuve, pourtant. Cinéaste ayant grandi en Bretagne, il se destine, à l’origine, à l’ingénierie mécanique. Mais un premier voyage en Afrique, à 18 ans, après sa première année de maths sup, en décidera autrement. S’il boucle ses études scientifiques, c’est pour mieux se relancer, dans la foulée, dans le circuit artistique. Durant sa formation en réalisation à l’Insas, à Bruxelles, il retourne pour la troisième fois au Burkina Faso, pays qui affole sa boussole voyageuse, et commence à y faire du cinéma avec un assistant rencontré fortuitement sur place. « C’est-à-dire que Lassina est agriculteur, sourit Simon. Il exploite des mangues et des noix de cajou. Un jour, il m’a vu traverser son champ avec ma caméra et ça l’a intrigué, parce qu’il avait fait de la photo argentique dans sa jeunesse. Ensemble, au fil des ans, on a fait un documentaire au Mali, puis trois au Burkina, avant d’aller réaliser Aya en Côte d’Ivoire. Donc oui, mon expérience du cinéma reste intimement liée au continent africain, c’est un fait. Tous mes films ont été tournés dans une région très circonscrite de l’ouest du continent, proche du golfe de Guinée. »

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Son assistant, Lassina Coulibaly, n’a pas fait que l’épauler sur ces tournages. Il lui a aussi en quelque sorte donné son nom de réalisateur… « Ce qui se passe, c’est qu’en Afrique de l’Ouest, il y a beaucoup moins de variétés de noms de famille que chez nous. Et surtout, ces noms de famille se rapportent à des ethnies, qui elles-mêmes sont hiérarchisées dans la société. C’est très important pour comprendre ce qu’on appelle le cousinage à plaisanterie, une pratique sociale typique de l’Afrique de l’Ouest qui permet de désamorcer les tensions entre ethnies voisines et donc de maintenir la société en paix. Or, quand tu es étranger, pour pouvoir blaguer avec toi, on te donne un nom qui permet de te placer sur cet échiquier de castes, en quelque sorte. En marchant avec un Coulibaly, on m’a appelé Coulibaly. Quand je suis en Europe, je m’appelle Simon Gillard bien sûr, mais là-bas on ne m’appelle que Coulibaly. J’ai donc choisi un nom de cinéaste qui rassemble ces deux identités. »

Le jour et la nuit

À ses débuts, Simon Coulibaly Gillard pratique un pur cinéma « haptique », un cinéma très sensoriel donc, presque tactile, qui raconte moins qu’il ne fait ressentir les choses. « Ça a toujours été le moteur de mon travail. J’ai très tôt pris conscience, en effet, que les films n’étaient pas tenus de raconter un drame ou des personnages. J’aime l’idée d’un cinéma davantage physique qu’informatif. Ma démarche a donc toujours été d’enlever du contexte, des explications, de la parole, afin de privilégier ce qui reste, c’est-à-dire des images et des sons qui existent avant tout pour leurs qualités plastiques. Dans mes courts documentaires, il n’y a pas de voix off, pas de personnages centraux, pas de dialogues, pas de sous-titres… En ce sens, Aya marque un vrai tournant dans mon parcours, puisque c’est mon premier film qui tend vers la fiction. Mais, pour autant, je ne voulais pas y sacrifier le côté haptique de mon cinéma. C’est pour ça qu’on y retrouve aussi une dimension plus fantasmatique, plus graphique, moins liée à une expérience de compréhension qu’à une expérience des sens. »

Dans Aya, Simon Coulibaly Gillard aménage un terrain fictionnel au coeur même du réel, pour un récit où l'eau est à la fois protagoniste et antagoniste.
Dans Aya, Simon Coulibaly Gillard aménage un terrain fictionnel au coeur même du réel, pour un récit où l’eau est à la fois protagoniste et antagoniste.

Et en effet, à l’arrivée, le film colle au plus près du réel tout en s’autorisant une forme d’onirisme très libre qui ouvre sur l’exploration d’un espace mental, d’une subjectivité. Concrètement, dans Aya, tous les éléments du scénario sont des éléments du réel. Mais ceux-ci sont cette fois convoqués sur un terrain à l’essence plus dramatique et narrative. « Que l’on parle du contexte de la montée des eaux, des rites funéraires ou que sais-je encore… Je n’ai absolument rien inventé. J’ai simplement fait porter à mon personnage des histoires que l’on m’a racontées. Je pars toujours de faits réels, de témoignages liés à des expériences vécues, mais je les remets ici en scène pour qu’ils intègrent une espèce de fiction. Tout en m’autorisant des épisodes oniriques où je laisse s’exprimer mes obsessions graphiques et mon goût du mystère. Comme dans cette scène de rêve où Aya fugue sur une pirogue, par exemple. J’ai vraiment développé une logique très diurne-nocturne autour du film. Le jour, on voit des choses plus logiques. Tandis que la nuit est davantage envisagée comme un monde propice aux apparitions, aux fantômes, aux fantasmes… »

Aya. De Simon Coulibaly Gillard. Avec Marie-Josée Kokora, Patricia Egnabayou, Junior Asse. 1h30. Sortie: 30/03. ***(*)

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