Serge Coosemans

Selon The Guardian, le blockbuster ne cause plus, il flingue

Serge Coosemans Chroniqueur

Les blockbusters américains seraient de plus en plus taciturnes, avance un article du journal britannique The Guardian, qui déplore la disparition du parler au profit de l’image. « Bollocks! », hurle en réponse Serge Coosemans, qui vient justement de s’envoyer Batman v Superman: Dawn of Justice. Mots pressés, mots sensés, mots qui disent la vérité, mots maudits, mots mentis, mots qui manquent du fruit d’esprit, voici le Crash Test S01E44

Selon un récent article du Guardian, les héros de films hollywoodiens seraient de plus en plus taciturnes et ce, afin de pouvoir mieux se vendre sur les marchés étrangers. Le journal anglais a activé son compteur de répliques: dans le dernier Jason Bourne, Matt Damon n’a qu’une trentaine de choses à dire. Dans Batman v Superman: Dawn of Justice, Superman ne parle que 43 fois. Dans Mad Max: Fury Road, Tom Hardy grogne 52 répliques et dans Only God Forgives, Ryan Gosling ne l’ouvre que 17 fois sur 90 minutes de film. Pour The Guardian, la principale raison de ces grands silences serait strictement économique: désormais, pour qu’un film américain se rentabilise vraiment, il faut obligatoirement qu’il cartonne aussi en Chine, en Amérique du Sud, en Europe et dans les pays arabes et comme ce sont des territoires aux mentalités très différentes, il vaudrait donc mieux éviter des dialogues qui pourraient s’avérer trop complexes à traduire ou explicites au point de choquer certaines censures. Le journal britannique cite un exemple selon lui parfait: il y a dans Star Trek Beyond et dans Independance Day: Resurgence, des personnages dont les relations sont clairement homosexuelles. Mais comme les dialogues n’y font aucune référence, cela pourra être compris comme de la bromance ou même une sorte de lien familial dans les pays qui continuent à interdire la représentation de l’homosexualité à l’écran. Bref, les chances commerciales du film ne sont pas ruinées chez les bigots pas plus que chez ceux qui militent pour la représentation des minorités. Malin?

Plus que l’article, en tous cas, qui est, il faut bien l’avouer, un peu vite torché. Déjà, il oublie les tartines de Tarantino, certes interdit en Chine mais néanmoins pas mal exporté et rentable ailleurs. Il oublie surtout qu’un blockbuster n’est pas l’autre, que dans Captain America: Civil War notamment, Captain America et Iron Man comptabilisent à eux deux plus de 300 répliques et ils sont chacun accompagnés de 5 personnages dont le moins bavard, en quelques minutes seulement de présence à l’écran, parle plus que Jason Bourne dans l’entièreté de sa dernière aventure. Il me semble sinon encore évident que Jason Bourne, Superman vu par Zack Snyder, Mad Max et les personnages de Nicolas Winding Refn sont tous des archétypes de héros tourmentés et taiseux comme il en a toujours existé. Je caricature pour le fun et l’exemple mais avec ses 52 répliques dans Mad Max: Fury Road, il reste possible que Tom Hardy y cause plus que Clint Eastwood sur 3 ou 4 de ses films tournés à la charnière des années 60/70.

The Guardian s’échoue en fait carrément dans la choucroute quand il avance encore que le film hollywoodien contemporain s’adressant principalement aux nouvelles générations, qui sont des générations de l’image, le dialogue n’y a plus aucune espèce d’importance. Alors que tous ceux qui les ont vu gardent en tête des images fortes de ces films, qui se souvient d’une seule réplique de The Revenant, de Boyhood, de Gravity et de Star Wars: The Force Awakens, questionne maladroitement le journal, sans tenir compte du fait que ce sont là 4 affaires très différentes. Je pense en effet que The Revenant et Gravity auraient sans doute beaucoup gagné, artistiquement du moins, à être complètement taiseux; bien davantage claustrophobiques et désespérés, donc. Je ne vois pas non plus pourquoi citer Boyhood puisque son génie consiste justement à rendre sa splendeur à la banalité du quotidien, ce qu’aurait vraisemblablement théâtralisé et dramatisé des dialogues trop écrits? Quant à The Force Awakens, c’est le ponpon, vu que la seule phrase réellement iconique de toute l’histoire de Star Wars, c’est « Je suis ton père », qui est quand même loin d’être du Audiard.

Une vision carrément Brexit

En fait, c’est simple: le temps de ce papier, The Guardian semble avoir du cinéma une vision décliniste, nostalgique, anti-mondialiste et anti-jeunes, carrément Brexit donc. À lire cet article, le cinéma serait devenu simplet, mauvais et politiquement correct parce qu’il vise désormais surtout à plaire aux gamins, aux Chinois et aux Arabes. Je crois que c’est un peu plus complexe que ça. Il se fait que cette semaine, un soir que je n’avais rien de mieux à faire, je me suis justement envoyé Batman v Superman: Dawn of Justice, qui n’est en fait ni taiseux, ni même facile. Ce qui m’a surtout frappé, c’est qu’au début et durant une bonne grosse heure, le principal enjeu du film est de se procurer une arme illégale capable de maîtriser et au besoin d’éradiquer Superman. Cette première partie est surexpliquée, surlignée, totalement tirée en longueur. On INSISTE donc lourdement sur le fait que Superman est un allié problématique des Etats-Unis, qui pourrait un jour menacer le pays, et qu’il faudrait donc mieux s’armer en conséquence et même s’autoriser des frappes préventives à son égard. Autrement dit, désolé The Guardian, mais moi, je n’ai pas l’impression que ce film cherche à plaire aux Chinois et aux Arabes de façon très consensuelle. Il a même plutôt l’air de leur adresser un message politique drôlement clair.

Ou pas. Parce qu’en fait, c’est assez confus. Est-ce que cela tient de la propagande US ou de la critique de la politique néo-conservatrice américaine? C’est ambigu et je crois bien que c’est volontaire, que ces confusions et incohérences typiques des blockbusters actuels ne sont pas là parce que les scénaristes ne savent plus écrire mais plutôt parce qu’on leur demande très consciemment de rester flous et ambigus, de fourrer dans ces films des trucs pour la droite, pour la gauche, pour les Arabes et les Chinois, pour les hétéros, les gays, les intellos et même les gros cons. Parlons comme un DJ: quand Pixar réussit des films qui mélangent des vannes et des références pour adultes à des intrigues pour gosses, ça mixe deux sources principales et ça marche, ça sonne bien, le mélange est séduisant. Le blockbuster moderne procède différemment. Le blockbuster moderne monte à fond dans le rouge les 48 curseurs de la console et il en sort forcément une cacophonie innommable mais une cacophonie qui se vend comme la camelote qu’elle est parce que n’importe qui peut trouver là-dedans un truc susceptible de lui plaire. Ça ne veut pas dire que les scénaristes ne savent plus écrire, ça veut dire qu’on ne leur demande que des scripts à fond dans le rouge et sans aucune retenue, ni logique, parce que c’est la politique commerciale du moment. Ça passera le jour où des équivalents d’Easy Rider, Chinatown et French Connection feront à nouveau de l’argent, le jour où les extraterrestres en plastique seront à nouveau considérés comme de simples attractions pour gogols. Ça pourrait arriver très vite, quand les Américains admettront que les films asiatiques sont souvent plus malins et subtils que les leurs, par exemple. Et marchent mieux en Asie que l’Homme Sardine, la Femme en Peau de Zob et le Canari Mutant ou Dieu sait ce qu’il reste à adapter du fond des tiroirs de la Marvel et des oubliettes de chez DC.

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