Le Répondeur, comédie habile et séduisante signée Fabienne Godet, est transcendée par l’irrésistible performance du jeune comédien français Salif Cissé.
En 2020 sortait A l’abordage de Guillaume Brac, un film d’été rafraichissant porté par de jeunes comédiens débutants, parmi lesquels Salif Cissé. Diplômé dans la foulée du Conservatoire national d’art dramatique, le jeune homme enchaîne les rôles au théâtre, à la télévision (on le voit notamment dans Lupin) et au cinéma (l’année dernière dans La Vie de ma mère ou Juliette au printemps). Avec Le Répondeur, dont il tient le premier rôle, il confirme brillamment les espoirs placés en lui, s’emparant avec grâce et virtuosité d’un personnage pourtant casse-gueule. Il y joue Baptiste, jeune imitateur en quête de succès qui se retrouve embauché par Pierre, un écrivain à succès, pour le remplacer, et plus précisément répondre à ses appels téléphoniques. Un rôle dans un rôle donc, une mise en abyme ludique du métier d’acteur.
«C’était presque comme une formule mathématique, confie Salif Cissé. Il fallait naviguer entre les différentes incarnations –Baptiste dans sa vie de tous les jours, Baptiste comédien sur scène, Baptiste qui imite Pierre– et trouver une fluidité.» D’une certaine façon, on voit le comédien en action, la façon dont il prépare son rôle de répondeur. Il écoute des interviews de l’auteur, l’observe, mais c’est lorsqu’il lit ses romans qu’il finit par trouver sa voix. «Le travail de l’imitateur est d’aller chercher l’essence chez les gens, souligne-t-il. Les mots que Pierre écrit avec son cœur, qui sortent de son stylo à 3 heures du matin, sont les mots les plus proches de lui. Finalement, c’est dans son art que Baptiste trouvera sa vérité.»
Dans un troublant parallèle, c’est dans son chant que Baptiste se révèle; c’est lorsqu’il chante les mots d’un autre que son intimité se dévoile. «Les gens ont souvent une image un peu erronée du métier d’acteur. Ils pensent qu’on se cache derrière nos personnages, mais selon moi, les moments où l’on s’approche le plus de leur vérité, c’est lorsqu’on arrive à mêler notre intimité à la leur. Ça me faisait peur au début, mais aujourd’hui, j’y ai trouvé une forme de soulagement, d’expiation.»
«Les failles, c’est qu’il y a de plus beau chez les êtres humains.»
Amitié profonde
Ce qui impressionne chez Salif Cissé, c’est sa propension à interpréter des hommes qui acceptent leur fragilité, qui dévoilent leurs failles. «C’est amusant, parce que des hommes comme Baptiste, j’en connais plein. Cette masculinité m’est familière. J’aime jouer ces personnages qui ne sont pas dans l’hypocrisie de la surpuissance ou dans un héroïsme exacerbé. Les failles, c’est qu’il y a de plus beau chez les êtres humains. C’est ce qui fait qu’on s’attache à eux, qui nous fait comprendre qu’on est humain, comme eux.»
L’empathie passe par l’écoute, et l’écoute est le moteur des profondes amitiés qui parcourent le film. «C’est l’une des choses qui me plaît le plus dans le film: l’amitié y est au cœur. Entre Pierre et Baptiste, deux personnes que tout oppose. La vie crée ce genre de rencontre qui n’aurait jamais dû avoir lieu. Ça m’est arrivé dans ce métier de faire la connaissance de gens d’un tout autre milieu social que le mien, d’un âge différent, et avec qui, finalement, je m’entends comme avec un ami d’enfance. Et puis, il y a aussi l’amitié avec Fanny, la collègue de Baptiste au théâtre, une amitié fraternelle. J’aime qu’elle le chahute, le conseille, qu’elle puisse être dure avec lui mais aussi très délicate. J’ai beaucoup aimé interpréter ces scènes avec Manon Clavel (NDLR: excellente elle aussi, et qui sera prochainement à l’affiche de Kika d’Alexe Poukine, découvert à Cannes), c’est une amitié qui ressemble beaucoup à celles que j’ai dans la vraie vie.»
Nouvelle star
Mais pour libérer les sentiments, il faut maîtriser la technique. Le rapport au jeu s’est avéré particulièrement physique pour le comédien. «Le rôle présentait de nombreux défis, avoue-t-il. Il y avait une foule de strates de jeu à déployer. Parmi les acteurs que j’admire, il y a notamment Christian Bale, un acteur qui aime se transformer, même si je sais qu’en France, la méthode Actors Studio, c’est pas vraiment le délire! Mais moi, j’ai toujours voulu m’en approcher, pas forcément l’appliquer de façon stricte, mais au moins prévoir une grande préparation physique. Sur le papier, le rôle paraissait vraiment difficile, notamment parce qu’il fallait maîtriser les imitations, mais j’ai tout de suite senti une connexion avec le personnage. C’est un jeune artiste qui essaie de vivre de son art, qui fait en sorte de pouvoir s’installer dans un milieu qui n’est pas le sien. Et puis, je dois dire que j’ai beaucoup d’admiration pour Denis Podalydès, que j’ai découvert en allant à la Comédie-Française. L’imiter s’est avéré être un défi passionnant. Techniquement, on ne pouvait pas diffuser un play-back de sa voix sur le plateau, ça n’aurait pas fonctionné. J’ai dû apprendre, avec l’aide d’un imitateur qui m’a aidé à identifier des gimmicks, sa façon de parler, à changer le débit de ma voix, le rythme.»
Dans le film, en plus d’imiter Denis Podalydès, Salif Cissé doit également prendre en charge le spectacle d’imitateur de Baptiste. «C’était peut-être là le plus grand défi. On a travaillé pendant tout un mois sur ce spectacle, pour l’écrire, trouver les personnages, travailler les imitations. Quand Baptiste chante dans les aigus, je dois adopter le registre pour que l’illusion fonctionne. Si je chante faux, ça s’entend. Les répétitions ont duré un mois et le tournage douze jours d’affilée. C’était extrêmement fatigant, mais aussi extrêmement stimulant. Une vraie performance, tout ce que j’aime.»
Une performance d’une rare complexité, mais où la technique ne l’emporte jamais sur l’émotion. On reverra Salif Cissé à la rentrée dans Météors, le deuxième film de Hubert Charuel (Petit paysan), où sa grande délicatesse crée un riche contraste avec les actes que doit poser son personnage, lui donnant une profondeur saisissante. Un talent à suivre, de très près.
Le Répondeur
Comédie de Fabienne Godet. Avec Salif Cissé, Denis Podalydès, Aure Atika. 1h42.
La cote de Focus: 3,5/5
C’est l’histoire d’un vieil écrivain qui cherche l’ombre, et d’un jeune imitateur qui cherche la lumière. Un jour, Pierre propose à Baptiste de devenir sa doublure voix. Il lui confie son téléphone, espérant ainsi être débarrassé de toute intrusion personnelle ou professionnelle durant sa journée d’écriture. Entre marivaudage romantique et conflit filial, la gérance va vite virer à l’ingérence.
Le Répondeur repose sur un argument à première vue invraisemblable, mais il suffit d’une scène à Salif Cissé pour nous permettre de suspendre notre incrédulité, comme dans toute bonne fiction. Comédie flirtant avec les genres, du buddy movie à la romcom, le film se délecte du principe de la fausse identité et du double pour créer de la tension dramatique aussi bien que des situations comiques. Un authentique feel good movie, avec son lot de beaux plus que de bons sentiments.