Romain Duris face au « Règne animal » et à un monde en mutation
Romain Duris incarne un père à fleur de peau confronté aux métamorphoses de ceux qu’il aime dans Le Règne animal, drame fantastique de Thomas Cailley.
Personnalité historique dans un biopic aux accents romantiques (Eiffel de Martin Bourboulon), réalisateur d’un mauvais film de zombies dans une comédie horrifique (Coupez! de Michel Hazanavicius) ou mousquetaire cabotin dans une grosse production de cape et d’épée (Les Trois Mousquetaires de Martin Bourboulon)… Romain Duris donne, ces derniers temps, le sentiment de chercher à fuir à tout prix la tranquillité ronronnante des films d’appartement à la française pour aller s’amuser du côté du cinéma de genre, des costumes et du faux sang. Pourtant, assure-t-il, il n’y a chez lui aucun plan de carrière, ni de projet très élaboré ou cohérent sur le long terme. “Je lis les scénarios qu’on me propose et je fais des choix. C’est aussi simple que ça. Là, je m’apprête à retravailler avec Guillaume Senez, avec qui j’avais fait Nos batailles. On va tourner au Japon, un film plutôt social. J’avance vraiment et avant tout à l’instinct.”
D’instinct, il en est justement beaucoup question aujourd’hui dans Le Règne animal, objet assez singulier qui se frotte à nouveau au cinéma de genre et dans lequel il campe François, un homme inquiet et protecteur dans un monde en proie à une vague de mutations qui transforment peu à peu certains humains en animaux. Alors que sa compagne est touchée par ce phénomène mystérieux, il embarque leur fils de 16 ans, Émile (Paul Kircher), pour le sud-ouest de la France, où des événements inattendus vont bouleverser ses certitudes et l’amener à changer son regard sur les choses… “Quand j’ai reçu le scénario, se souvient le comédien, j’ai trouvé que c’était rare. Et très percutant, aussi. Il faut se rappeler de l’époque, c’était l’après-Covid, l’après-confinement, et cette histoire faisait écho à cette période en allant encore un stade plus loin. Dans Le Règne animal, il ne s’agit plus d’un simple virus, en effet, mais d’une transformation des êtres. Avec un point de vue très axé sur la jeunesse, qui avait quand même pris cher durant le Covid. Bref, j’ai trouvé que ce scénario résonnait de plein de manières. C’est un peu une histoire sur le monde d’après, sur une autre chose invraisemblable qui pourrait nous arriver, et qui déplacerait la norme, l’idée même de normalité.”
Vivre le moment
Tourné dans l’écrin de verdure offert par les Landes de Gascogne, le film ambitionne de mêler le spectaculaire et l’intime au cœur d’un récit fantastique travaillé par la question de la transmission et celle du rapport complexe entre les hommes et la nature. Hanté par le spectre de l’urgence écologique, Le Règne animal s’empare en tout cas de son sujet avec un bel élan vital, évitant tout catastrophisme complaisant pour tendre plutôt vers une invitation à la réinvention -de ses personnages mais aussi de l’humanité en général dans ses interactions avec le reste du vivant. Sensible à cette dimension positive, à quelque chose comme une quête d’harmonie, Romain Duris dit encore une fois avoir privilégié l’instinct au moment de se préparer pour le rôle. “Franchement oui, la plus grande préparation pour moi, sur un film comme celui-là, c’est d’être prêt à être là, être disposé à tout prendre, tout ce que propose le réalisateur, et à vivre le moment. Mais à le vivre vraiment. J’ai compris très tôt que ce que je pouvais offrir de mieux à Thomas Cailley, c’est ma disponibilité. Ma disponibilité physique et d’émotions. Je voulais vraiment pouvoir me faire traverser par toutes les émotions que les personnages traversent. Je ne voulais pas que ce soit faux, que ce soit biaisé. Je voulais que ce soit pur. Je voulais être généreux et à fond. Les scènes d’émotions, elles nous ont vidés. On finissait les journées en sueur tellement on était passés par plein d’états. Pour moi, la plus grande préparation, c’est ça. C’est une disponibilité, une concentration totale. Essayer de ne pas louper le moment. D’être avec tout le monde du début à la fin.”
Et force est de constater qu’il trouve une alchimie toute particulière dans la relation père-fils qu’il forme avec le jeune et surdoué Paul Kircher, révélé l’an dernier d’assez bouleversante façon dans Le Lycéen de Christophe Honoré. “Je ne sais pas si elle est due au fait qu’il n’a pas encore tourné beaucoup de films, ou à son âge, ou à sa personnalité, mais la grande force de Paul c’est sa façon très originale de jouer. Que ce soit dans le ton ou même physiquement. Il est constamment dans une espèce de déséquilibre, ou en tout cas dans un équilibre original, qui crée de la surprise, et puis de la magie. Ce n’est pas un comédien qui répète forcément les mêmes intentions d’une prise à l’autre, ça bouge pas mal. Et parfois il y a de la maladresse, parfois il y a de la fragilité… Et tout ça donne des moments vraiment très beaux. Donc c’est génial de jouer avec ça, d’être en face et d’observer ça. Ce n’est jamais vraiment comme on s’y attend. Et moi j’adore ça. Alors la question, maintenant, c’est: est-ce que dans dix ans il aura encore ça? Est-ce que le métier va gommer ces espèces de fantaisies vraiment très sincères? Est-ce que lui-même le sait? Difficile à dire. Ce qui est étonnant, c’est que ses parents sont comédiens (Paul Kircher est le fils d’Irène Jacob, actrice culte de La Double Vie de Véronique et de Trois couleurs: Rouge, et du grand comédien de théâtre Jérôme Kircher, NDLR). Donc on ne la lui fait pas. Mais il garde une espèce d’étrangeté vraiment très étonnante. Et ça c’est beau. Et moi j’ai hyper hâte de voir la suite. Est-ce qu’on peut rester magique toute sa vie? C’est quelque chose que moi, personnellement, je cherche en tout cas. Je suis loin d’y arriver à chaque fois, hein (sourire). Mais c’est quelque chose après quoi on court forcément en tant qu’acteur.”
Le Règne animal, notre critique ***
De Thomas Cailley. Avec Romain Duris, Paul Kircher, Adèle Exarchopoulos. 2 h 08. Sortie: 04/10.
Neuf ans après Les Combattants, Thomas Cailley assied le caractère profondément singulier et original de son cinéma dans le paysage hexagonal avec ce drame fantastique noué autour d’une attachante relation père-fils sur fond de mutations qui transforment peu à peu certains humains en animaux. S’engouffrant avec beaucoup de liberté dans la brèche ouverte par le Teddy des frères Boukherma, le film questionne notre rapport à la différence et séduit par son humour, sa relative imprévisibilité, le naturel de ses dialogues et ses incessants changements de ton. Mais les béances laissées par un scénario en gruyère qui néglige ses personnages secondaires (Adèle Exarchopoulos n’a littéralement rien à jouer…) restent problématiques.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici