Michel Hazanavicius : « Le cinéma, c’est la façon dont vous allez raconter une histoire que tout le monde connaît « 

Coupez!: un tournage qui part en vrille, et son making of. © Lisa Ritaine
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Michel Hazanavicius livre un remake finaud de Ne coupez pas!, du Japonais Shin’Ichirô Ueda, où le tournage d’un film de zombies vire au cauchemar mais plus encore à l’hommage inspiré au cinéma.

Si Michel Hazanavicius a toujours veillé à surprendre, osant par exemple un film muet, The Artist, après les OSS 117, avant de signer dans la foulée un drame de guerre, The Search, sa filmographie n’en présente pas moins diverses lignes de force. Un penchant évident pour le pastiche notamment, assorti d’un goût à peine moins prononcé pour les films gravitant autour du cinéma: The Artist, encore, et son hommage inspiré à l’âge d’or précédant l’avènement du parlant, ou Le Redoutable, mettant en scène, circa 1967, un Jean-Luc Godard pétri de contradictions. Ces deux tendances, elles sont aujourd’hui réunies dans Coupez!, une comédie de plateau de cinéma, où le tournage d’un film de zombies fauché sous la houlette d’un réalisateur aux tendances vaguement psychopathes (Romain Duris, parfait) a tôt fait de partir en vrille, le cauchemar se muant toutefois, presque imperceptiblement, en hommage vibrant au 7e art et à son artisanat. Un tour de force de comédie ayant eu le don de dérider le festival de Cannes, dont il faisait l’ouverture -l’occasion d’une rencontre détendue avec le cinéaste. “ Je pense être plus intéressé par la façon dont nous racontons les choses que par ce que nous disons exactement, observe ce dernier. Prenons, par exemple, une histoire d’amour: il n’y a rien de bien nouveau au fait qu’une personne en aime une autre, qui ne l’aime pas en retour mais en aime une troisième. Cette histoire, même déclinée avec des hommes ou avec des femmes uniquement, ne présente rien de vraiment nouveau en soi, c’est la façon de la raconter qui fait toute la différence à mes yeux. Et c’est ce que j’appelle le cinéma. Le cinéma, c’est la façon dont vous allez raconter une histoire que tout le monde connaît de manière à rendre votre film unique, spécial et personnel. Voilà pourquoi j’aime mettre la lumière sur le dispositif cinématographique et sur la façon de raconter les histoires.

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Les coulisses d’un film-catastrophe

À l’origine de Coupez!, on trouve Kamera o tomeru na!, film japonais de 2017 tourné en quelques jours avec des moyens dérisoires -3 millions de yens, soit un peu plus de 21 000 euros à peine- par Shin’Ichirô Ueda, un opus bien vite auréolé d’une réputation culte. “Ce film est un miracle, apprécie Michel Hazanavicius. Pas seulement en raison de son budget mais aussi par sa qualité. C’est un film très futé, s’appuyant sur une excellente histoire.” Le réalisateur du Prince oublié travaillait sur un scénario voisin quand le producteur Vincent Maraval lui a proposé d’en tourner un remake, invitation ayant fait office de déclic. “ J’avais une histoire linéaire et très basique, à savoir une journée dans la vie d’un réalisateur qui débutait alors qu’il mettait un pied hors de sa voiture, et observait: “C’est ici que commencent les problèmes: nous avons 18 plans à tourner aujourd’hui, faisons le proprement. Il s’agit de rester concentrés, pas comme les jours précédents, parce qu’on doit absolument avoir terminé ce soir puisque c’est notre dernier jour sur le tournage.” Et, bien entendu, tout tournait mal. C’était assez proche de Coupez! , mais avec une structure nettement moins bonne. J’adore le retournement qu’impose le troisième acte du film. Comme spectateur, on a tendance à juger ce que l’on voit, et à dire: “C’est mauvais, c’est merdique”. Mais quand on découvre ce qui s’est déroulé hors cadre, et qu’on comprend, on regrette cette méchanceté, pour faire l’expérience de la gentillesse. J’ai trouvé cette idée brillante.

Michel Hazanavicius
Michel Hazanavicius © gettyimages

Le tournage cauchemardesque qu’il met en scène dans la première partie du film, Michel Hazanavicius l’a, forcément, nourri de son expérience personnelle, et des innombrables incidents pouvant émailler la vie d’un plateau de cinéma. Tout en veillant à les amplifier pour les besoins de la dramaturgie et à leur préserver un caractère générique. “ C’est un peu comme si, afin de provoquer le rire des spectateurs, on avait provoqué un alignement catastrophique des planètes, sourit le cinéaste. Tant de petites choses peuvent se produire. Par exemple, j’avais un jeune acteur qui n’avait qu’une réplique, deux syllabes, mais il avait un défaut de prononciation, et n’arrivait pas à dire la seconde: au lieu de “C’est nul”, il n’arrêtait pas de dire “C’est nioul”.Donc, on recommençait, je lui demandais de dire “C’est nul”, on mettait tout en place avec les figurants, etc., mais, invariablement, ça donnait “c’est nioul”. Au bout de quatre prises, j’ai décidé de passer à la suite, mais j’étais intrigué, et j’ai voulu qu’on ne prenne que le son, mais ça n’a rien changé. À la fin, je lui ai reposé la question: “Tu ne peux pas dire “C’est nul”? Et il m’a répondu: “Non, je ne peux pas, tout les mots se terminant par “l”, je dois les dire comme ça. Comme réalisateur, on n’arrête pas de devoir composer avec de petites choses idiotes -comme quand un nuage apparaît tout à coup dans un ciel entièrement bleu, et que vous ne pouvez rien faire d’autre qu’attendre. C’est toujours comme ça…

Faux nanar et vraie virtuosité

Le cinéma comme école de patience en somme, qualité dont semble plutôt dépourvu Rémi, le réalisateur de Z!, le film dans le film. Rien d’un autoportrait, assure Michel Hazanavicius, “même si il y a certains éléments que je reconnais: le fait de toujours courir, qui correspond au vécu d’un réalisateur. On passe notre temps à courir après le temps, donc ce sentiment d’urgence est bien présent. Et puis, j’aime le fait qu’il soit un peu las, qu’il ait un peu négligé ses ambitions pour se complaire dans sa zone de confort, à faire de petites choses. Moment où sa fille vient lui mettre la pression, lui rappeler qu’il peut aspirer à plus d’intégrité et d’ambition. Même pour un film de zombies passable, on peut se battre. C’est un conflit avec lequel nous devons toujours nous colleter: accepter la réalité -va pour “c’est nioul ”, OK -ou se battre pour obtenir ce qu’on voulait.

L’un des défis de Coupez! résidait assurément dans sa première scène, celle du tournage, 32 minutes d’un plan-séquence virtuose. Un exercice d’autant plus ahurissant, sans doute, que le film dans le film ressemble, pour le coup, à un nanar pur jus, avec des acteurs jouant mal des situations abracadabrantes. “ Je ne suis pas obsédé par le plan-séquence, mais j’aime en tourner, explique le réalisateur. Pour celui-ci, j’ai story-boardé l’ensemble de la scène et des 240 plans qui la composent. Il fallait chorégraphier le tout, répéter cette chorégraphie dans l’espace, et le timing avec les comédiens. Mais la difficulté principale, c’était en effet de devoir faire un mauvais film, pas le mien, mais celui du personnage joué par Romain Duris, qui se plante. Et donc, il fallait notamment un plan beaucoup trop long, où rien ne se passe, parce que ce vide et ce rythme atroce étaient le prix à payer pour l’épiphanie du troisième acte. C’était très étrange à observer, sans pouvoir rien améliorer, vu qu’il fallait que le tout reste en l’état.” Un geste contre-nature -“ on a toujours tendance à vouloir améliorer ce que l’on fait, indispensable, toutefois, pour que le film fonctionne. Et Coupez! est à cet égard une incontestable réussite, qui parvient à brillamment déborder de son cadre de comédie tendance potache pour se révéler exercice de précision saluant le génie du cinéma, fût-il bricolé.

Michel Hazanavicius, lui, devrait continuer à surprendre, puisque son prochain long métrage le verra se tourner vers l’animation pour La Plus Précieuse des marchandises, un film sur l’Holocauste inspiré d’un conte de Jean-Claude Grumberg, un projet qu’il caresse depuis quelque temps déjà. “J’aime explorer et essayer de nouvelles choses, je ne calcule pas. Je n’ai pas envie de faire toujours le même film. Après Le Prince oublié , j’ai commencé à travailler sur ce film d’animation au départ de cette histoire superbe, un conte classique se situant durant la Shoah. L’histoire est magnifique, mais le sujet assez lourd, et le projet a été interrompu par la pandémie. Il fallait trouver un complément de budget à l’étranger, les producteurs voulaient arrêter la production six mois avant de le terminer. Je leur ai dit qu’on attendrait neuf mois, et j’ai tourné Coupez! dans l’intervalle. J’ai été très heureux de pouvoir me plonger dans une comédie: nous étions tous comme des gosses à la fin de l’année scolaire, tout excités à la perspective des vacances. Comme la structure du film est intelligente, nous avons pu nous permettre des blagues régressives, idiotes et stupides, sans que ça pose problème: il y a un équilibre. Le film peut être subtil et touchant à certains moments, hyper-stupide à d’autres. Cette expérience a constitué une libération.

De Z (comme Z) à Coupez!

Annoncé en ouverture du festival de Cannes sous le titre Z (comme Z), le nouveau film de Michel Hazanavicius devait en changer quelques jours plus tard pour finalement s’intituler Coupez!. En cause, la guerre en Ukraine, et la charge symbolique prise par la lettre Z, devenue le symbole de soutien aux armées russes, le réalisateur accédant à la demande de cinéastes ukrainiens. “ J’ai fait un film sur l’armée russe en Tchétchénie ( The Search, NDLR) et je ne pense pas que quiconque puisse, honnêtement, me soupçonner de sympathie pro-russe à cause d’un “Z”, c’est une coïncidence, nous confiait-il à ce propos. Quand nous avons tourné le film, la question du “Z” ne se posait pas, mais aujourd’hui, ce n’est plus possible. Il faut être très prudent, parce que même si personne, ici à Cannes, ne va nous suspecter, la propagande en Russie est tellement puissante et dingue qu’on ne sait jamais ce qu’ils vont pouvoir dire. Le plus important, c’était le point de vue ukrainien: pour eux, il était vraiment difficile d’accepter que le plus grand festival du monde s’ouvre sur cette lettre. Décliner leur requête aurait été faire preuve d’indifférence, et je ne voulais pas rester indifférent.

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