Robert Guédiguian, Sisyphe heureux

Robert Guédiguian, toujours fidèle à certains idéaux solidaires. © DR
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

La Villa de Robert Guédiguian est hantée par la mort mais l’espoir et la solidarité y font revenir le soleil. Le combat continue…

Découvrir le dernier film de Guédiguian, pour celle ou celui qui suit et aime son oeuvre depuis des années, c’est comme recevoir des nouvelles d’un vieil et cher ami. N’y sont pas pour rien sa fidélité à une troupe d’acteurs (Ascaride, Darroussin, Meylan, Boudet mais aussi les jeunes Anaïs Demoustier et Robinson Stévenin) et à certains lieux (le quartier marseillais de l’Estaque en tête). Ni à certains idéaux solidaires proposés en partage. Au point qu’on emmène dans chaque nouveau film un bagage intime qui enrichit l’expérience. C’est encore le cas pour La Villa, où le cinéaste a placé en flash-back lumineux des images de Ki lo sa?, un court métrage de 1985 où le trio Ascaride-Darroussin-Meylan visite, plein de jeunesse et de fougue, les lieux du nouveau film…

« Ça n’a jamais été un projet délibéré, mais au bout d’un certain temps, c’est devenu quelque chose de conscient, commente Guédiguian, aussi pour certains spectateurs qui lors de débats d’après-film, quand j’évoque ma « famille » de comédiens, disent: « Mais nous aussi on fait partie de la famille! » Quand « le temps de la vie rejoint le temps du cinéma » et que « les gens se posent par rapport au monde les mêmes questions qui agitent les personnages« , une complicité se tisse, « qui dépasse le seul cadre du cinéma« . Notamment à l’âge et à l’heure où bien des réalisateurs politiquement engagés -à la notable exception de « l’ami » Ken Loach- ont jeté l’éponge ou sombrent dans la désillusion, voire le pessimisme. Guédiguian croit toujours en un monde meilleur, aux « idées qui ne meurent jamais« , même s’il « ne pense plus que les choses puissent aller définitivement mieux, comme au temps (les années 70) de la folle utopie d’un socialisme à la française« . Il réaffirme avec force « qu’il faudra toujours qu’un certain nombre de gens, dont moi, continuent en permanence à se battre« . Et d’évoquer Albert Camus qui disait: « Il faut imaginer Sisyphe heureux. » « Je suis Sisyphe, et je suis heureux, voilà! Je me dis que ce sera toujours comme ça, qu’il y aura toujours un rocher à remonter en haut de la colline. J’adhère à une autre phrase de Camus, prononcée dans son discours de réception du prix Nobel: « Notre génération devrait se dire que si elle n’arrive pas à changer le monde, il lui faut au moins faire en sorte qu’il ne se défasse pas… » »

Robert Guédiguian, Sisyphe heureux

Le gros crayon de Coppola

Les méthodes du cinéaste ne se défont pas, c’est sûr. Ses six à sept semaines de préparation in situ, dans les futurs décors (réels) du tournage, restent une période cruciale. « C’est là que les choses se cristallisent le plus, explique-t-il, même si je ne fais parfois que me promener, fumer, boire un verre s’il y a un bistro… Je réfléchis tranquillement et je vois comment faire, il me vient des idées de plans, de positions de caméra, qui ne changeront presque plus au tournage. »

Dans la calanque de La Villa, « ce lieu qui est un refuge, un havre de chaleur humaine et aussi une sorte d’îlot communiste« , Guédiguian filme aussi, et bien, le passage du temps, de manière palpable. « Quand le temps presse, le ton monte, et le niveau baisse! » La formule est chipée joyeusement à l’écrivain Régis Debray, avec lequel il a tout récemment débattu. « Il faut que le temps soit juste, être attentif au temps de lecture d’un plan. Chez John Ford, qui a fait je crois 150 films, il n’y a pas un seul plan trop long. Sa maîtrise du temps est absolue! Ça ne va ni vite ni lentement, ça va comme il faut pour raconter cette histoire-là et pas une autre. C’est aussi vrai d’Ozu! »

Interrogé sur la dramaturgie de La Villa, son réalisateur répond que « dans les films où il n’y a pas de suspense, il faut qu’il y ait des surprises, à tout point de vue, dans le récit avec des coups de théâtre, des chocs narratifs, mais aussi dans l’image, avec la découverte progressive de l’espace où se déroule l’action. La surprise fait spectacle et c’est important, le spectacle. Je ne crois pas à un cinéma qui tourne le dos au public, qui se fait sans le peuple… »

Son prochain film se déroulera sur un canevas plus large, car il aime « alterner tragédie et comédie, petits films intimistes et films plus gros, plus chers, avec plus de décors, des effets spéciaux, plein de figurants, ces films qu’on écrit « avec un gros crayon » comme disait Coppola, par opposition à ceux qu’on écrit « avec un petit stylo ». L’expression m’a toujours bien fait marrer! » Guédiguian peut bien rire, depuis le succès fou de Marius et Jeannette voici déjà 20 ans, faire financer ses films n’est jamais plus un problème, et il peut aller librement où son désir le porte. Pour notre grand bonheur.

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