Ramdam Festival, parfum de scandale

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Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Fictions et documentaires en avant-première, rétrospectives, soirées, rencontres… Du 15 au 22 janvier à Tournai, le Ramdam Festival fait son cinéma.

« Ramdam, le festival du film qui dérange. » Au-delà du caractère prétentieux, racoleur, voire carrément putassier, du slogan, c’est sa légitimité même qui pose question: peut-on décemment objectiver ce geste aussi résolument arbitraire et incertain qui consisterait à déranger? Poser la question, c’est sans doute déjà y répondre. Surtout qu’il n’y a pas non plus, loin s’en faut, de quoi crier au loup devant le menu de cette nouvelle édition, troisième du nom: a priori, pas l’ombre d’un brûlot façon Salò ou les 120 Journées de Sodome (Pier Paolo Pasolini, 1975), Sick: The Life and Death of Bob Flanagan, Supermasochist (Kirby Dick, 1997) ou même Ichi the Killer (Takashi Miike, 2001) à l’horizon. Du soufre, rien que l’odeur. Du scandale, juste le parfum. Ce qui n’enlève rien, toutefois, à la nature qualitative du travail de sélection effectué en amont -du genre à contenter le plus exigeant des cinéphiles. Et n’exempte pas de reconnaître au festival tournaisien une capacité certaine à proposer des films poil à gratter à même de s’épanouir là où ça fait mal: de l’essence viciée de l’âme humaine aux plaies purulentes du grand corps social. Survol d’une programmation bien dans l’air du temps qui se construit essentiellement autour de trois axes thématiques susceptibles de fâcher.

La violence

Sujet le plus grassement nourri de la sélection, la violence, plus ou moins larvée, traverse pratiquement chacun des films proposés à Tournai, quand elle n’en constitue pas le noeud gordien. C’est le cas de Rebelle de Kim Nguyen, consacré à la funeste réalité des enfants soldats; de God Bless America de Bob Goldthwait, improbable équipée grand-guignolesque et sanglante sur les routes de la bêtise made in USA; de Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow, sur la traque de Ben Laden par une unité des forces spéciales américaines; ou encore de Broken de Rufus Norris, où les angoisses pré-adolescentes se cristallisent dans la torpeur pavillonnaire d’une banlieue du nord de Londres. Tandis que la violence morale, prenant la forme d’un harcèlement de tous les instants dont est victime une jeune étudiante tout juste débarquée à Mexico, noyaute le Despues de Lucia de Michel Franco. Et on ne parle même pas du documentaire consacré à Marina Abramovic, artiste monténégrine de tous les extrêmes capable d’emmener, de brutale et perturbante façon, le corps et l’esprit dans leurs derniers retranchements (Marina Abramovic, The Artist Is Present de Matthew Akers). Sans oublier les allures de conte crépusculaire nourri aux peurs enfantines du chef-d’oeuvre absolu de Charles Laughton, La nuit du chasseur, que le Ramdam a l’excellente idée de remontrer sur grand écran -tout comme l’éprouvant Schizophrenia de Gerald Kargl, d’ailleurs.

Le sexe

Ils se tournent autour comme des fauves en cage. Puis, une Laetitia Casta dominatrice, le tenant en laisse, fouette Benoît Poelvoorde, dans un registre dramatique qui ne sourit pas toujours à celui-ci et sur une bande-son hermaphrodite signée Etienne Daho… Voilà qui a le don, si pas de déranger, à tout le moins d’intriguer. C’est l’un des fragments teaser d’Une histoire d’amour d’Hélène Fillières, d’après le Sévère de Régis Jauffret, récit d’une relation empreinte de fatale attraction et d’autodestruction. Le sexe, dans ses acceptations les plus déviantes, fait toujours possiblement scandale, mais c’est pourtant et respectivement la nudité poético-misérabiliste et l’amour tragiquement solaire de la chair qui se voient célébrés dans La merditude des choses de Felix Van Groeningen et Le bonheur d’Agnès Varda, tous deux proposés au rayon Rétrospectives. Et si le spectre du viol plane encore sur le nouveau Broken de Rufus Norris, le festival choisit aussi de revenir sur l’amour très chaste que se portent réciproquement un jeune homme et une vieille dame dans Harold and Maude, classique des classiques signé Hal Ashby.

L’argent

Le fric, dernier tabou de la civilisation moderne? C’est sans doute plus vrai aujourd’hui que jamais. L’an dernier, à Tournai, Margin Call de J.C. Chandor soulignait déjà l’indécence du monde de la finance. Si les gros billets, et les rapports de domination-soumission qu’ils génèrent, sous-tendent la relation amour-haine du couple Casta-Poelvoorde dans Une histoire d’amour, un autre film du volet Fictions du Ramdam s’attaque cette année plus frontalement au sujet. Signé par le sulfureux Im Sang-soo, L’ivresse de l’argent, à défaut d’odeur, annonce en effet clairement la couleur: l’ivresse du titre étant aussi, et peut-être surtout, celle du pouvoir, éminemment corrupteur. Secrets, mensonges, manigances, trahisons et luxure -on y revient- sont notamment au programme de cette plongée en apnée dans les affaires marécageuses d’une puissante famille d’industriels coréens à la morale trouble. Façon de rappeler aussi que si le fric c’est chic, alors le chic c’est freak.

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RAMDAM FESTIVAL, DU 15 AU 22 JANVIER, À TOURNAI. WWW.RAMDAMFESTIVAL.BE

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