Radio Metronom: la fin d’une certaine innocence dans la Roumanie du début des années 70

Construit à la manière d’une boucle désenchantée, Radio Metronom confronte ses jeunes protagonistes à leurs espoirs, leurs idéaux, mais aussi, déjà, leurs compromis. © National
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Avec Radio Metronom, Alexandru Belc signe un film-plaidoyer pour la défense butée des libertés en chroniquant la fin d’une certaine innocence dans la Roumanie du début des années 70.

Scénariste et réalisateur atypique né en Roumanie au début des années 80, Alexandru Belc est diplômé de l’École de cinéma de Bucarest et détenteur d’un master en sciences politiques. Ses premiers pas dans le milieu du 7e art, il les fait en tant que scripte sur le palmé d’or 4 mois, 3 semaines, 2 jours de Cristian Mungiu (2007) puis en tant qu’assistant réalisateur sur Policier, adjectif de Corneliu Porumboiu (2009). Ne se reconnaissant pas tout à fait dans ce que l’on appelle alors la Nouvelle Vague du cinéma roumain, il choisit de se tourner vers le documentaire pour ses premiers longs métrages. Dans 8 mars (2012), il traite de la place des femmes dans le monde du travail, avant de faire le portrait d’un exploitant militant d’une salle d’art et essai roumain dans Cinéma, mon amour (2015). Présenté l’an dernier à Cannes dans la section Un Certain Regard, où il a remporté le Prix de la mise en scène, Radio Metronom est son premier long de fiction.

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Situant son action à Bucarest, en 1972, le film calque son pas sur celui d’Ana, adolescente amoureuse de 17 ans, timide et introvertie mais éprise de liberté voire même d’absolu. Un soir, elle rejoint des amis de son âge à une fête où ils décident de faire passer une lettre à Metronom, l’émission musicale que Radio Free Europe diffuse clandestinement en Roumanie. Ensemble, ils dansent, fument et boivent, écoutent Jimi Hendrix, Chicago, Led Zep et les Doors. Mais débarque alors sans prévenir la Securitate, sombre police secrète de Ceausescu, qui les embarque et les accuse de complot…

À l’origine, se souvient Alexandru Belc, je voulais faire un film documentaire sur la Roumanie des années 70 et en particulier sur l’émission Metronom et la personnalité emblématique de Cornel Chiriac, animateur et producteur de radio roumain qui était en exil et a fini assassiné à Munich en 1975. C’était quelqu’un de très populaire, pas seulement pour les auditeurs roumains d’ailleurs, mais aussi pour les Polonais, les Hongrois ou les Bulgares. Même s’ils ne comprenaient pas toujours la langue, ils écoutaient pour la musique. Il diffusait des choses très novatrices au parfum d’interdit. En avançant dans mes recherches pour le documentaire, j’ai eu l’occasion de parcourir des vieux dossiers de la Securitate et j’y ai découvert beaucoup d’histoires intéressantes à propos des auditeurs de l’émission. J’en ai rencontré plusieurs et j’ai décidé de changer mon fusil d’épaule. Il me semblait que la fiction était la forme la plus adéquate pour m’emparer de ce sujet.

Le sens de la fête

Pour l’aider à écrire le scénario, Belc s’est naturellement tourné vers ses parents, qui ont été les témoins directs de l’époque dépeinte dans Radio Metronom. “Le film n’est pas l’histoire de mes parents, tempère-t-il, c’est l’histoire de la génération de mes parents. Même s’il se trouve que mes parents écoutaient, eux aussi, Metronom. Mais ils restaient très prudents. Ils le faisaient en secret. Ils n’allaient pas dans des soirées comme dans le film. Toujours est-il qu’ils m’ont aidé à développer et à mieux cerner les situations et les personnages. Ma mère, par exemple, m’a raconté beaucoup de détails à propos de la vie des jeunes femmes en Roumanie dans les années 70. La mentalité des jeunes était alors très différente de celle d’aujourd’hui. Il m’importait de traduire précisément à l’écran la façon qu’ils pouvaient avoir de parler, de se mouvoir, de se comporter socialement…

© National

Tourné sur pellicule argentique en 35 mm en utilisant d’anciens objectifs, Radio Metronom cherche ainsi à plonger littéralement le spectateur dans les années 70, privilégiant la caméra à l’épaule pour accompagner les personnages dans de longs plans sinueux qui donnent parfois le sentiment d’un film en temps réel. “Les acteurs connaissaient l’intrigue générale du film, bien sûr, mais les scènes en tant que telles, je les écrivais sur le plateau durant le tournage. J’avais vraiment le sentiment de préserver de cette façon une certaine fraîcheur, et puis plus j’apprenais à connaître mes jeunes interprètes et plus j’affinais les situations en fonction d’eux. C’était une manière très organique de procéder qui me semblait bien correspondre à la période que nous ambitionnions de dépeindre. Je ne me compare pas à un Antonioni, certainement pas, mais c’est la manière dont ce genre de cinéaste pouvait travailler à cette époque et j’aimais l’idée d’essayer de renouer avec cette forme de liberté.”

Film en un sens cousin du récent Lovers Rock de Steve McQueen, segment de sa série anthologique Small Axe pour la BBC où deux immigrés caribéens se retrouvent dans une reggae house party londonienne à la fin des années 70, Radio Metronom joue lui aussi la carte du réalisme immersif dans des scènes de fête où l’énergie de la musique mène -littéralement- la danse. “Je ne voulais pas faire une sorte de vidéo-clip avec un montage très découpé sur les jeunes qui dansent. Je me suis donc assuré d’avoir les droits de certaines chansons avant de tourner afin de pouvoir utiliser de la musique directe sur le plateau. Je voulais vraiment que mes acteurs puissent se laisser aller à danser avec la musique et explorer leur rapport avec elle. Je pensais que plus longs seraient mes plans de fête et plus l’énergie serait adéquate. J’aime chorégraphier les choses. Chaque scène est, pour moi, comme un petit film, avec un début, un conflit et une éventuelle résolution.

Radio Metronom. D’Alexandru Belc. Avec Mara Bugarin, Serban Lazarovici, Vlad Ivanov. 1 h 42. Sortie: 15/02.

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