Que vaut Terrestrial Verses, le film qui dénonce l’absurdité du système iranien?

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Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Dans Terrestrial Verses, Ali Asgari et Alireza Khatami dénoncent l’absurdité du système iranien en s’appuyant sur une forme proche du film à sketches.

Sur papier, rien ne prédestinait Ali Asgari et Alireza Khatami à faire un long métrage ensemble, en l’occurence Terrestrial Verses. En apparence très posé et très sage, le premier, qui vit à Téhéran, réalise depuis une dizaine d’années des films empreints de naturalisme en prise sur les réalités de la société iranienne. Plus cool et punk, le second, quant à lui, qui réside désormais au Canada, aime flirter avec l’humour noir, le fantastique et la magie. “Au festival de Venise, en 2017, nous présentions chacun un film, se souvient Ali Asgari. On se connaissait un peu via Facebook, mais on ne s’était jamais rencontrés. Alireza m’envoie alors un message pour me demander s’il peut assister à la projection de mon film, qui était mon premier long métrage. Il se pointe, et après 20 minutes de projection, il s’en va. C’est peu dire que je l’avais mauvaise…” “Je pourrais dire que je suis parti parce que j’étais malade, sourit Alireza Khatami. Mais ce serait mentir. Si j’ai quitté la salle, c’est parce que je sentais que je ne pouvais plus supporter l’esthétique et le langage d’un certain réalisme social. Fort de ses courts métrages, Ali était alors déjà devenu une figure essentielle du réalisme social iranien. Je me suis toujours senti proche des thèmes qu’il abordait, avec des personnages féminins forts notamment, mais la forme de ses films m’ennuyait beaucoup. J’avais un peu le sentiment qu’il gâchait son talent. Quant à lui, il trouvait que mes films étaient trop centrés sur la forme et pas assez proches des personnages. La première fois qu’on a vraiment parlé, suite à cette projection à la Mostra, c’était assez tendu, disons (sourire). Mais voilà, aujourd’hui nous avons réalisé un film ensemble, et ce film est à la fois très formel et très intime. Nous y avons trouvé, je crois, un vrai équilibre entre nos deux approches du cinéma.

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Dans Terrestrial Verses (lire la critique ici), les deux cinéastes s’intéressent à la façon, parfois très insidieuse, dont le pouvoir peut exercer un contrôle totalitaire sur les citoyens dans la société iranienne contemporaine. Ils le font de manière assez conceptuelle, en enquillant neuf tableaux baignés d’humour absurde et désenchanté confrontant des individus isolés face caméra à une autorité désincarnée qui régit jusqu’aux aspects les plus personnels de la vie des gens. “Pour ce film, nous voulions une forme tranchante et directe, reprend Ali Asgari. C’est comme ça que nous est venue l’idée d’enchaîner des vignettes filmées frontalement, en caméra fixe, avec des interlocuteurs qui restent dans le hors champ. Le casting a été compliqué parce que nous voulions faire de longues prises et nous avions donc besoin d’interprétations très nuancées, qui puissent maintenir l’intérêt des spectateurs. Afin de protéger nos acteurs, qui ont pris des risques en tournant ce film, nous ne leur avons fait lire à chaque fois que le segment qui les concernait. Chacun pensait ainsi tourner un court métrage, sans savoir qu’il y aurait en fait neuf histoires. Suite à l’annonce de la sélection de Terrestrial Verses ici à Cannes, dans la section Un Certain Regard, les autorités iraniennes les ont interrogés. Ne sachant rien des autres tableaux, chacun n’a pu parler que de ce qu’il avait lui-même tourné, sans avoir à mentir sur son implication dans le projet dans sa globalité.

Des personnages de citoyens placés face à l'absurdité d'un pouvoir désincarné dans Terrestrial Verses.
Des personnages de citoyens placés face à l’absurdité d’un pouvoir désincarné dans Terrestrial Verses. © dr

Un pouvoir sans visage

Débarrassé de toute afféterie décorative, Terrestrial Verses (ou Chroniques de Téhéran pour la traduction française) va à l’essentiel. “Nous avons beaucoup été influencés par la technique du débat dans la poésie persane classique pour la structure du film, explique Ali Asgari. C’est l’idée très simple d’une conversation entre deux personnages au sujet d’un problème de société. Dans ces poèmes, un personnage dit quelque chose et l’autre lui répond. Nous avions envie de greffer ce procédé dialectique au cœur de notre cinéma. Il y a souvent beaucoup d’humour dans ce type de poésie, et ça aussi nous voulions le conserver.” “Oui, prolonge Alireza Khatami, l’humour est sans doute l’outil le plus efficace politiquement pour délégitimer toute forme d’oppression. Quand vous dites “L’empereur est nu”, l’image de l’empereur nu s’imprime dans l’esprit de tout un chacun et cette image ne peut plus être effacée.

Très kafkaïen dans sa manière de dépeindre l’administration iranienne, le film accentue le côté claustrophobique de ses situations en recourant à un format d’image 4/3 et en ne montrant jamais le visage du pouvoir. “Nous tenions vraiment à ce que la loi, l’autorité, ne soit qu’une voix, pas un visage, opine Alireza Khatami. Pour bien marquer la dimension oppressive et difficile à combattre du pouvoir, son côté presque Big Brother. Pour autant, il était important pour nous que les personnages de citoyens qui apparaissent à l’écran ne soient pas des victimes. En ce sens, Terrestrial Verses est tout de même porteur d’espoir. Nous y tenions beaucoup. Toutes les histoires présentées dans le film sont basées sur des faits réels. Nous en avons simplement parfois accentué le côté grotesque. Les conversations que nous avons nous-mêmes pu avoir avec les autorités pour tenter d’éviter des interdictions de tournage durant notre carrière étaient parfois tellement absurdes et frustrantes… Nous n’avons hélas bien souvent pas dû aller chercher bien loin pour trouver matière à alimenter nos récits.

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