Pourquoi les LGBT ont-ils été si longtemps sous-représentés au cinéma?
Un film de Vikings avec une héroïne homosexuelle se battant contre le patriarcat, l’apparition de héros LGBT dans les films Marvel… Ces annonces restent encore exceptionnelles par leur rareté aujourd’hui. La représentation des minorités sexuelles dans le cinéma mainstream hollywoodien est encore trop rare mais évolue à petits pas.
On l’annonçait jeudi sur Indiewire, Catherine Hardwicke, derrière de Thirteen et Twilight: Fascination, a signé pour réaliser un film sur une guerrière viking se battant contre le patriarcat. Le film intitulé Heathen sera une adaptation de la série de comics à succès écrite et dessinée par Natasha Alterici. On y suit l’histoire de Aydis, une guerrière viking impitoyable, bannie et méprisée par son village pour avoir embrassé une autre femme. Aydis se lance alors seule dans une guerre féministe contre le représentant ultime du patriarcat: Odin, le dieu-roi des Asgards et père omniscient du dieu Thor. La série mêle donc des thématiques féministes et homosexuelles avec les histoires de la mythologie scandinave.
D’un autre côté (celui des blockbusters hollywoodiens), Tessa Thompson annonçait lors de la Comic-Con à propos de son personnage de Valkyrie dans la saga Thor qu’« avant tout, en tant que roi, elle doit trouver sa reine ». Valkyrie, tout juste nommée « roi d’Asgard », sera donc le premier héros du Marvel Cinematic Univers (MCU) à être ouvertement bisexuel. Trouver une reine « sera sa première priorité. On a quelques idées. On vous tient au courant », a ajouté l’actrice.
Ce genre d’annonce a très longtemps été rare à Hollywood, surtout dans les grosses franchises de blockbusters. Bien que les comic books regorgent de personnages queer, presque aucun n’apparait dans les adaptations de Marvel, ou alors ils ne laissent paraitre aucun indice sur leur sexualité et deviennent hétérosexuels à l’écran. Cette absence de personnage LGBT dans le cinéma mainstream tient son origine d’un code de censure établi en 1930 et dont Hollywood semble enfin tenter de se détacher.
Interdiction de représenter toute forme de « perversion sexuelle »
Depuis les débuts du cinéma, l’homosexualité est très rarement montrée à l’écran et quand elle l’est, elle est traitée comme quelque chose de drôle, honteux ou même effrayant. À l’origine de cette fermeture du cinéma hollywoodien: le code Hays ou Motion Picture Production code. Ce code de censure a été établi en 1930 par le sénateur William Hays, président de la Motion Pictures Producers and Distributors Association, et est resté en application jusqu’en 1966. Dans les années 1920, plusieurs scandales frappent l’industrie du film naissante à Hollywood. Le code Hays est donc une mesure préventive. Une forme d’autocensure, d’autorégulation pour éviter tout scandale a posteriori.
Le code interdit tout ce qui porterait atteinte aux valeurs morales du spectateur. Composé de trente-six règles, il a pour but de limiter la représentation et donc la normalisation de personnages ou comportements peu recommandables ou considérés comme corrompus. Les premières représentations de personnages homosexuels étaient donc des personnages considérés comme anormaux ou placés dans le rôle du mauvais: des abuseurs d’enfants, des victimes de violence ou des drag queens.
Selon le code Hays, les homosexuels sont moralement peu recommandables car ils font partie de la catégorie « perversion sexuelle », qu’il est formellement interdit de représenter à l’écran. Est qualifié de « perversion sexuelle » tout ce qui sort du schéma traditionnel de la famille de l’époque. Cette catégorie est celle qui a eu l’impact le plus long, même après la suppression du code. En effet, alors que la nudité et la violence ont rapidement été réintégrées dans les films, la représentation de personnes LGBT est restée un grand tabou. Comme le fait remarquer Medium, encore aujourd’hui, quarante ans après la suppression du code, les personnages LGBT ont rarement la chance de vivre librement au cinéma et de jouir d’une fin heureuse. Pendant trente ans, le code Hays a diabolisé les personnages LGBT au cinéma, les stigmates de cette période sont encore présentes aujourd’hui dans la sous-représentation de ces personnages à l’écran.
Pourquoi la représentation est-elle importante aujourd’hui?
L’objectif du code Hays était clair: éviter la normalisation de comportements considérés comme moralement inappropriés. Aujourd’hui encore, alors que les mentalités ont changé dans la plupart des pays occidentaux (avec notamment la légalisation du mariage homosexuel), la communauté LGBT manque largement de représentation. Dans une étude datant de 2016, on montre que 6% des Européens se considèrent comme LGBT et le taux de réponses positives monte à 10% pour ceux qui se considèrent comme « pas seulement hétérosexuels », surtout chez les 14-29 ans. À l’époque, ça faisait 74,14 millions d’individus.
Pour toutes ces personnes, ne pas être représentés dans la culture populaire (notamment dans les gros films hollywoodiens), c’est ne pas exister. De plus, la multiplication de personnages LGBT à l’écran participerait à une certaine normalisation. Plus on les verra, moins on considérera le sujet comme « tabou » et plus ce sera accepté. Dans le même sens, une étude montre que la représentation et l’identification à des personnes homosexuelles représentées positivement dans les films tendent à réduire le sentiment d’homophobie.
Chaque année, la Gay & Lesbian Alliance Against Defamation (GLAAD) publie un rapport concernant la représentation des personnes LGBT dans les films des sept maisons de production américaines majeures (20th Century Fox, Lionsgate Entertainment, Paramount Pictures, Sony Pictures, Universal Pictures…). En 2018, 18,2% des films de ces sept studios incluent des personnes LGBT, ce qui est un énorme bond en avant par rapport aux chiffres particulièrement bas de l’année 2017 (12,8%). Dans ces rapports, Disney se distingue pour être le plus mauvais élève en la matière. En 2017 et 2018, seul un film sur 16 comprend un personnage LGBT. Il s’agit de LeFou, amoureux de Gaston dans le remake de La Belle et la Bête.
Le test de Vito Russo
Représenter des minorités à l’écran, oui, mais pas n’importe comment. Pour ses rapports, la GLAAD analyse chaque film comprenant des personnages LGBT et lui fait passer le test de Vito Russo. Il est inspiré du test de Bechdel qui analyse la manière dont les femmes sont présentées à l’intérieur de la narration des films. Vito Russo est un activiste LGBT américain et cofondateur de la GLAAD. C’est aussi un historien du cinéma particulièrement connu pour son livre The Celluloid Closet qui revient sur la manière dont Hollywood a évoqué le thème de l’homosexualité et comment sa représentation a contourné le code Hays. Historiquement, puisqu’elles représentaient le contraire de la morale, les personnes LGBT étaient largement mal présentées dans les productions audiovisuelles. Le test de Vito Russo vise à garantir une représentation de qualité et éviter les stéréotypes. Pour passer le test, il faut que les trois affirmations suivantes soient vraies:
- Le film contient un personnage identifiable comme lesbienne, gay, bisexuel, transgenre et/ou queer.
- Ce personnage ne doit pas uniquement ou principalement se définir par son orientation sexuelle ou son identité de genre (c’est-à-dire qu’il comprend le même type de traits de caractère couramment utilisés pour différencier les personnages hétéros/ non transgenres les uns des autres).
- Le personnage LGBT doit être lié à l’intrigue de telle manière que son retrait ait un effet significatif, ce qui signifie qu’il n’est pas là pour simplement faire des commentaires, montrer une certaine authenticité urbaine ou (peut-être le plus souvent) lancer une punchline. Le personnage doit être important.
Toujours selon le rapport de la GLAAD, en 2018, 65% des films ont passé le test avec succès (13 films sur 20), il s’agit du pourcentage le plus élevé depuis le premier rapport en 2012 où le taux était de 43% (6 films sur 14).
On applaudit Marvel mais on critique Toy Story
L’annonce de Marvel concernant Valkyrie a été reçue très positivement. Par contre, quand il s’agit de films pour enfants, la pratique reste fortement critiquée. Alors que Valkyrie est un personnage à part entière du film Thor: Love and Thunder prévu pour 2021, un couple homosexuel entre-aperçu dans Toy Story 4 fait grincer des dents. Dans cette scène, on peut voir deux mamans déposer leur petite fille à l’école et la récupérer plus tard.
La représentation de couples homosexuels est tout aussi (si pas plus) importante dans les films pour enfants. Interviewés pour un documentaire, des enfants de couples homosexuels expliquent qu’ils ne considèrent pas leur famille comme bizarres mais pour que les autres enfants réalisent que les familles non-hétéronormatives sont aussi « normales » que toutes les autres, il faut qu’elles aient une visibilité sociale et culturelle. Cela implique de les voir dans les publicités, les films et partout ailleurs où les familles sont représentées.
Pour l’instant Disney-Pixar fait de petits pas en cette direction. Déjà en 2016, dans Le Monde de Dory, on pouvait apercevoir un couple de femmes promenant une poussette dans un zoo. Disney ne s’est pas exprimé à ce sujet et les créateurs ont laissé la question ouverte: « Elles peuvent être ce que vous voulez qu’elles soient. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse ». Dernièrement, concernant la scène de Toy Story 4, Pixar s’est trouvé au croisement de deux camps, entre remerciements et critiques. Le magazine britannique Gay Time, de son côté, souligne le poids de ce « petit pas en avant pour la représentation »: « C’est une petite scène, c’est sûr, et ce n’est certainement pas la représentation majeure que les personnes queer attendent, mais ça reste important. »
Pour l’année 2018, la GLAAD met en évidence des films comme Love, Simon, Millenium: Ce qui ne me tue pas ou Blockers qui se centrent sur des personnages LGBT recherchés et nuancés et espère qu’ils serviront d’exemples aux grands studios pour l’avenir.
Sophie Decaestecker
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